Le streaming du jour #1328 : Dr Geo - ’The Lo-Fi Studies’ / Dead For A Minute - ’Diégèse’ / Passepied - ’Makunouchi-ISM’
Non pas un mais trois albums pour ce streaming consacré à Specific, label que l’on ne se lasse pas de surveiller du coin de l’œil.
Trois sorties issues de Specific, trois sorties qui permettent une nouvelle fois de mettre en exergue - si besoin était - la vitalité et l’éclectisme du label. Son côté jusqu’au-boutiste aussi. Non seulement, ses vinyles sont toujours beaux mais ils sont également toujours intéressants, avec ce petit côté extrême qui est la marque de fabrique de la maison messine depuis ses débuts. Les disques qu’elle propose poussent leur credo jusqu’aux limites. Ainsi, cette fois-ci, faut-il s’attendre à de l’über-métissé, de l’über-énervé et de l’über-pop. Comme à chaque fois, on n’a peut-être pas toujours les clés concernant le style que cernent ces trois albums mais on s’y jette dessus en s’attendant à tout, la curiosité exacerbée et l’on sait qu’il ne faudra pas s’arrêter à une première écoute moribonde si jamais cela arrive car, in fine, on se laissera cueillir. Comme à chaque fois.
Dr Geo - The Lo-Fi Studies
Compilant les deux EP sortis plus tôt chez Kito Kat, The Lo-Fi Studies se révèle sacrément hypnotique et de nouveaux détails viennent affleurer à la surface de l’édifice à chaque écoute, des détails auxquels, jusqu’ici, on n’avait pas prêté la moindre attention. Extrêmement métissées, les dix plages montrent un groove nucléaire et déviant alors que le titre ne trompe pas : elles sont bâties sur une ossature pour le moins rachitique et lo-fi. La faute à l’optigan, ancêtre du sampleur qui n’obéit ni au doigt ni à l’œil, émaillant la musique de Dr Geo de multiples accidents bienvenus, la rendant vibrante et bouillonnante mais aussi instantanée, l’instrument étant si irascible qu’il est difficile de reproduire les morceaux à l’identique, ce qui confère à l’ensemble une certaine forme de poésie. Un disque dans lequel on se sent irrémédiablement bien, passant du dub au reggae, de la soul au psychédélisme, toujours langoureux, toujours pelé, toujours bizarre et inattendu, un sourire venant systématiquement barrer le visage tout du long. Et puis, le Doc peut se targuer d’un sens maousse de la mélodie qui fait mouche. À peine écoutés, la plupart de ces dix titres se ruban-adhésivent fortement au cortex pour ne plus le lâcher, de la mélancolie exacerbée du superbe #1 introductif au pizzicato bucolique et non moins superbe du violon hanté de #10, c’est un feu d’artifice. On ne sait jamais trop qui de l’optigan ou Dr Geo contrôle l’autre mais ce que l’on sait en revanche, c’est que ces deux-là nous contrôlent nous. La réunion des deux EP sur un seul vinyle (avec un chouette locked groove planqué en fin de face A) montre la cohérence de ces expérimentations et on espère qu’une suite verra très vite le jour bien qu’il y ait déjà ici de quoi explorer longtemps. Extrême dans ses explorations en tout cas, Dr Geo.
DEAD FOR A MINUTE - Diégèse
Là, on laisse de côté les expérimentations chaloupées pour une bonne dose de saine violence. Vingt minutes à peine mais qui disloquent le cortex bien longtemps après que le dernier hurlement se soit tu. Hardcore vs. chaos, avec une telle équation, l’auditeur n’a que peu de chance et si le groupe semble emprunter son nom à Botch, c’est plutôt à un Converge débarrassé de ses fioritures ou à Orchid que l’on pense : droit dans le mur. Excepté l’ultime Le Poison Sur La Langue, les titres avoisinent les deux minutes et amalgament riffs vicieux, destructeurs et samples cinématographiques, cris libérateurs, paroles désespérées et rythmique coup de boule. Échantillonnée, disloquée, hachée menu, la musique est particulièrement cathartique, un effet amplifié par des îlots de guitare esseulée (Fétiche) disséminés ici et là venant mettre en exergue toute la violence qui les entourent. Jubilatoire. Et puis, complexes, les compositions se contorsionnent et exposent de temps en temps des embryons de mélodie qui prennent toujours par surprise, renforçant si besoin était le côté jusqu’au-boutiste de Diégèse, si bien nommé car parfaite représentation d’un monde déliquescent qui n’en finit plus de crever. Dead for a minute ? Tu parles, dead pour toujours semble-t-il. Cerné par un nouvel artwork vraiment superbe, ce bout de plastique monoface (la seconde étant joliment gravée de la pochette initiale) ressuscite en vinyle le disque initialement sorti en 2002 d’un groupe trop tôt disparu. Un groupe qui conserve encore aujourd’hui le même pouvoir de sidération, la même urgence tendue, à l’image des douze minutes ultimes du Poison Sur La Langue où l’on sent bien que Diégèse fonctionne à la manière d’un abrasif en nous ponçant littéralement le cerveau jusqu’à s’arrêter subitement, comme ça, sans prévenir. Du grand art. Extrême dans son hardcore en tout cas, DEAD FOR A MINUTE, cela va de soi.
PASSEPIED - Makunouchi-ISM
Exit le chaos-core, place à l’über-pop de PASSEPIED. Sans doute le disque le plus éloigné de ma zone de confort : entre disco, prog, J-pop et j’en passe, à peu près tout ce que je n’écoute jamais. Mais bon voilà, depuis Tokyo Karan Koron et Charisma.com, je me méfie de mes jugements à la hâte. Il y a toujours là-dedans un truc ou deux à prendre, quelque chose qui finit par s’insinuer et trouver un écho favorable. Les Japonais n’ont pas leur pareil dès qu’il s’agit de réunir les éléments les plus kitsches et croquignolets pour en faire quelque chose de surprenant : ici, une voix suraiguë (Natsuki Ogoda) et des claviers - vraiment - envahissants (Narita Haneda). Sur le papier, ça donne déjà froid dans le dos et les premières écoutes sont à l’avenant : PASSEPIED se montre extrêmement irritant. Ça dégouline de partout, ça fait rire jaune et ça donne envie de balancer le disque au travers de la pièce pour finir de l’exterminer à grands coups de grolle. Oui, mais voilà, je ne sais par quel miracle, on finit par s’habituer. Sans doute parce que derrière ces montagnes d’arrangements surannés se cache un vrai grain de folie. Et pour peu qu’on lui laisse une chance, il y a là-dedans des éléments franchement hallucinants et une forme de jusqu’au-boutisme forcené qui forcent le respect : des lignes de clavier vraiment barrées et des constructions ciselées (Normandy, Tooryanse ou encore Dare ? mais on pourrait vraiment citer tous les morceaux), un goût immodéré pour la mélodie glucosée (Yes/No en ouverture ou Wasuremono plus loin par exemple), un sens de l’emphase qui ne faiblit jamais (Nanairo No Shonen et son piano outré pour n’en citer qu’un), le tout donnant l’impression d’entendre Queen copuler avec les Bee Gees sous le haut patronage du Dieu Prog. Oui, ça fait peur mais d’un autre côté, vous n’avez jamais entendu ça avant et vous ne l’entendrez plus jamais après. Alors bien sûr, on n’a pas toutes les clés (du moins en ce qui me concerne) mais la curiosité l’emporte au final. Un disque tout à la fois très frais et exaspérant, ce qui en fait donc un objet intéressant. Extrême dans sa pop en tout cas, PASSEPIED.
Voilà qui vient clore ce petit tour d’horizon des dernières sorties Specific, un label qu’on n’est pas près de lâcher. Son éclectisme, son sens de l’ouverture et la qualité intrinsèque de tout ce qu’il publie font évidemment impatiemment attendre la suite. « Could you be more... Specific ? », on ne voit pas trop comment.
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