2013, 100 albums 100% hip-hop et sans Kanye West (part. 1)
Je crois bien que tout est dit dans le titre de cet article ! Je vous propose donc humblement une sélection toute subjective de mes 100 albums long format préférés de l’année, aussi bien des LPs que des mixtapes (pour contre-balancer ma précédente sélection d’EPs), tout ça est millésimé 2013 bien sûr et à très haute teneur hip-hop, l’affaire est garantie sans Kanye West, ni Chance the Rapper. Hé oui, comme quoi c’est possible, n’en déplaise à la nomenklatura des faiseurs de mode musicale ! Z’êtes chauds ? Moi oui, alors c’est parti pour la 1ère partie (la 2ème vous attend ici) !
1) Armand Hammer - Race Music
Armand Hammer, c’est la réunion de deux emcees de génie Billy Woods (dont nous reparlerons plus bas) et Elucid. Jusqu’à récemment, Billy Woods était considéré comme le meilleur rappeur de tous les temps que personne ne connaissait, mais 2013 pourrait bien changer la donne, car Race Music, c’est du feu, assurément l’album le plus dense qualitativement sorti cette année ! Passé quasiment inaperçu par les faiseurs de mode, ce premier LP (assorti de sa mixtape qui va bien Half Measures) est un concentré de hip-hop, l’essence de cet art, une réussite dans la conception, un truc qui vous prend les tripes et le cerveau.
L’album est massif, il couvre une gamme exceptionnellement large d’émotions et de styles, tout y passe, chaque piste est unique et inattendue, beats erratiques ou réguliers, lyrisme ou introspection. L’expérimentation qu’on recherche comme si c’était un gage de qualité est ici bien présente, et là où le grand art réside, c’est qu’on ne la remarque presque pas tellement elle est fine et réfléchie. Et pour couronner le tout et comme si ça n’était pas déjà assez, Race Music est un miracle d’écriture, chaque titre raconte une histoire parce que le hip-hop, c’est avant tout ça, raconter des histoires !
2) Jonwayne – Rap Album One (+ Cassette 3 : The Marion Morrison Mixtape )
Jonwayne était habitué à rester dans sa bulle, névrosé, manquant de confiance en lui, balançant des sons bizarres en format cassette, trainant son génie entre Brainfeeder, Stones Throw et le Low End Theory, le bonhomme avait du mal à se trouver, il aurait pu rester comme ça, sortant ses tapes avec cette discrétion que certains prennent pour du snobisme.
Et bien non, cette année, Jonwayne a décidé de montrer de bout de son nez et nous a fait péter d’abord Cassette 3 : The Marion Morrison Mixtape que je qualifierais facilement de meilleure mixtape de l’année, puis Rap Album One, un premier album que je qualifierais là aussi facilement de meilleur album hip-hop de l’année (ex æquo avec celui juste en dessus). Un hip-hop fascinant et vaste fait d’expérimentations sonores minimales et travaillées à l’excès, un hip-hop porté par un flow précis, un hip-hop d’esthète !
3) The Doppelgangaz – HARK
La pratique du grand écart facial ne s’improvise pas. N’en déplaise à JCVD, Matter Ov Fact et EP en sont devenus les spécialistes incontestés depuis quelques albums et ce HARK ne les fera pas descendre de leur piédestal.
Toujours sur le fil du rasoir entre un hip-hop sombre aux ambiances travaillées et un boom-bap old-school limpide, The Doppelgangaz signent là un album en clair-obscur, tout en nuances de gris et en maîtrise. Force est de constater que le résultat est bigrement efficace ! Et bonne nouvelle puisqu’en février 2014 va paraître Peace Kehd, futur nouvel album des New-Yorkais avec déjà un petit extrait bien gouleyant.
4) Spark Master Tape - The #SWOUP Seregenti
Après Captain Murphy l’année dernière, voilà encore un emcee mystérieux à la voix pitchée, mais la comparaison entre les deux s’arrête là... Car là où FlyLo tissait du velours, Spark Master Tape s’occupe de la toile de jute spéciale bondage, rêche à vous faire saigner !
On aime ou on déteste, on reste scotché ou on vomit, mais incontestablement le flow monocorde down-pitché à l’excès groove quand même pas mal c’est le moins qu’on puisse dire mais c’est surtout du côté des beats monstrueux et de leurs déflagrations qui faut chercher la fascination. Du grand art, l’album rap le plus malsain de l’année ! A venir une prochaine tape prévue pour 2014 (chic !) et on se régale déjà avec Kkaptain Baseball Bat Boi, un premier extrait !
5) Run the Jewels - s/t
El-P + Killer Mike = Run The Jewels ! On s’attendait à ce que ce soit énorme, on a rêvé que ce soit énorme, on espérait que ce soit énorme et bien finalement et contre toute attente l’album est énorme !
Prendre le meilleur des deux patriarches du hip-hop et créer quelque chose de novateur sans se galvauder, Run The Jewels prouve que c’est possible. Quelque chose de nouveau, mais en même temps quelque chose d’immédiatement identifiable comme étant du El-P et du Killer Mike. Que dire de plus sinon qu’on attend avec impatience un Run The Jewels 2ème du nom prévu pour 2014 !
6) Jeremiah Jae & Oliver the 2nd – Rawhyde (+ Jeremiah Jae – Bad Jokes Mixtape )
Cette année, Jeremiah Jae n’y est pas allé avec le dos de la cuillère ! Jugez du peu, d’abord Rawhyde avec l’excellent Oliver the 2nd, une extraordinaire mixtape devenue album, puis Bad Jokes, une bien bonne mixtape solo, une autopsie des Beastie Boys, une collection de derrière les fagots Yard Sale 2 et enfin une série d’EPs Dirty Collections, si on ajoute à ça les featurings, les projets parallèles comme Young Black Preachers (dont nous reparlerons plus bas) et un changement d’écurie (de Brainfeeder vers Warp), Jeremiah Jae a dû tourner au café/RedBull une bonne partie de l’année ! Cerise sur le pompon, y’a rien à jeter ! Rawhyde est un album d’une inventivité et d’une classe absolues, le chaînon manquant entre l’expérience mystique et la fête entre voisins.
7) Tha Connection – Strive The Album
La révélation de l’année ! Hus Kingpin et SmooVth ont réinventé le son sec et brut des nineties, le vrai hip-hop east-coast qui nous scotche et nous fout imparablement la chair de poule, pour ainsi dire si Strive était sorti à la fin des années 90, il serait devenu CULTE !
Le duo de Long Island a longtemps dû s’abîmer les oreilles sur du Mobb Deep pour n’en garder que l’essentiel, cette radicalité qui a fait que les Tha Connection sont devenus une nouvelle valeur sûre du hip-hop new-yorkais. Car si on ajoute leurs excellents projets solo (dont nous reparlerons plus bas) et leur toute dernière mixtape Alife’s & Air Max’s, ils ne sont pas loin d’avoir signé le grand chelem !
8) Young Black Preachers – Gesus
Les Young Black Preachers, c’est excellent, c’est Jeremiah Jae et Tre, son vieux pote du Black Jungle Squad, c’est très confidentiel (et c’est bien dommage), c’est du hip-hop perché bien bien haut et je vous rassure tout de suite, Gesus n’a rien à voir avec le Yeezus de l’autre pantin autotuné !
Gesus, c’est une trouvaille sonore toutes les trente secondes, des beats jamais entendus auparavant, des flows taillés à la serpe et finalement une aventure à l’image des tentations de Saint Antoine, le combat d’un autre hip-hop face au mainstream, Gesus vs Yeesus !
9) Hus Kingpin & Rozewood – Tokyo Tower Mixtape (+ Hus Kingpin – The Cognac Tape )
Je vous ai parlé plus haut de Tha Connection et bien voici l’excellent projet solo d’une des moitiés du groupe, Hus Kingpin, projet qu’il signe avec Rozewood. Via leur Tokyo Tower, Hus et Rozewood nous font voyager de nuit à grands coups de beats martiaux à travers les villes tour à tour rêvées ou cauchemardées.
Au milieu des charpentes rythmiques en béton armé, viennent se poser les décors urbains faits d’ambiances tour à tour pesantes, anxiogènes ou désespérées. Du grand art, d’autant plus que Hus Kingpin a sorti une autre excellente mixtape cette année, The Cognac Tape que je vous laisse (re)découvrir.
10) Hawk House - A Little More Elbow Room
Place à une sucrerie anglaise ! Composés de deux emcees (et frères), Sam et Eman, et de la déesse, pardon chanteuse, Demae, les trois Hawk House basés dans le South-London explosent les frontières entre slow jam, boom-bap, cloud rap, 2-step et r’n’b.
Ils refondent quelque chose de synthétique et pourtant d’un rendu tellement organique et vivant, un vrai bonheur aérien pour les oreilles !
11) Zeroh – Bred : A Dedication
Zeroh est un petit gars du Black Jungle Squad et peut-être même le plus doué de la bande (Jonwayne, Jeremiah Jae, Quelle Chris, Oliver the 2nd, Lord RAJA, F.A.B.L.E., n’en jetez plus).
Zeroh est le plus mélodique de la clique, je pense le plus avant-gardiste aussi, Zeroh n’a pas peur de rapper à côté de ses beats, Zeroh crée, invente et comme ses potes il a une très haute considération pour la musique. Bred : A Dedication aurait mérité d’être bien plus haut dans mon classement, oui, mais voilà, l’album est un peu court, dommage... Mais quelle claque !
12) Billy Woods - Dour Candy
Brooklyn (Billy Woods) et Manhattan (Blockhead aka l’homme aux beats d’argent) sur un même album, c’est un voyage musical direction NYC avec la ville en toile de fond pour une série de vignettes reliées entre elles pour la perfection verbale de l’emcee de l’année !
Quelque part entre El-P et MF Doom, Billy Woods livre son flow avec force brute et passion, chaque vers est un coup de poing dans le bide et le travail de Blockhead est impeccable. Dour Candy manque néanmoins de relief ce qui explique sa position dans mon classement.
13) Zagnif Nori - The Meridian Gem
Retour sur terre avec Zagnif Nori aka Iron Fingaz, membre du Noble Scity et son incarnation de la menace. The Meridian Gem développe un tempo lent et pesant, des boucles répétées à l’infini et des flows monotones, lourds et pourtant superbement acrobatiques.
Ici, pas de place pour la légèreté, c’est la rue qui parle et comme avec Tha Connection, elle nous raconte que cette nouvelle scène new-yorkaise est là pour en découdre. Enthousiasmant !
14) Ka - The Night’s Gambit
Encore un grand album d’un hip-hop lugubre ! Lugubre et minimal, brut et brutal, fait de grisaille et d’austérité, proche en beaucoup de points d’un GZA que je vénère, Ka vient en un album de désosser tout le rap new-yorkais, il a gratté chaque os de ce "vieux hip-hop", les a polis, s’est débarrassé du superflu pour ne garder que l’essentiel et l’indispensable. The Night’s Gambit est une œuvre à part, pas facile d’accès car strictement hors-norme donc indispensable.
15) Ghostface Killah (w/ Adrian Younge) - Twelve Reasons To Die (+ Ghostface Killah (w/ Apollo Brown) – Twelve Reasons To Die : The Brown Tape )
Pari risqué que celui de Ghostface Killah et Adrian Younge, faire la musique d’un film qui n’existe pas, une musique sur le fil du rasoir entre noirceur géniale et série Z, entre Tarantino et Kinavesa Enterprises, entre Morricone et Ortolani.
Pari risqué, mais pari réussi, car quand le hip-hop raconte des histoires, que le maitre de cérémonie s’appelle Ghostface Killah et que le rap se mélange aux drames antiques, cela donne un album adulte fait d’un hip-hop intelligent et intelligible.
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