2012 : 50 non-instrumental records (1/2)

En me penchant sur mes albums favoris de l’année écoulée, j’ai réalisé que les disques instrumentaux, rangés pour la plupart dans la case "expérimental" avec tout ce que cela peut comporter de réducteur et de rébarbatif (à tort) pour l’auditeur lambda, en constituaient une proportion encore plus écrasante qu’à l’accoutumée. Ainsi, seuls les deux premiers du classement dont je m’apprête à dévoiler la première moitié auraient trouvé leur place parmi mes 50 lauréats sans ce parti-pris de compartimenter un peu tout en évitant la facilité trompeuse des étiquettes (pop vs. drone, etc.).

Pourquoi cette suprématie de la texture et de l’atmosphère sur la tessiture et la mélodie, je ne saurais le dire, d’autant qu’au regard de la liste qui suit, ce cru 2012 n’aura pas manqué de voix remarquables, même pour un allergique aux sempiternels Frank Ocean, Grimes ou Alt-J et même si certaines d’entre elles refusent ouvertement la séduction : qu’il s’agisse de rap hardcore, de grunt menaçant ou de borborygmes psychotiques, du moment qu’il y avait sur une majeure partie d’album du chant et des mots même inintelligibles ou enfouis sous des couches d’instruments, tout semblait permis !

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50. Pop. 1280 - The Horror

- Le disque : Post-punk oppressant, noise enflammée et blues névrosé au programme de ce deuxième album des Brooklynites aux allures de polar pulsionnel et poisseux, qui aura eu le mérite de me faire oublier les dernières sorties anecdotiques de Clinic et A Place To Bury Strangers.

- La voix : rageuse, décadente, possédée.

- Chroniqué et en écoute.

50bis. Woods - Bend Beyond

- Le disque : Faux classique mais véritable instantané d’alt-country romantique aux digressions droguées, le petit dernier du trio new-yorkais emmené par Jeremy Earl a séduit tout le monde cette année par la grâce d’un songwriting aiguisé et d’une production subtilement vrillée, et pour une fois aucune raison de le leur reprocher.

- La voix : aigrelette, attendrissante, noyée sous les effets.

- Chroniqué et en écoute.


49. Chris Cohen - Overgrown Path

- Le disque : Ce premier album sous son véritable patronyme de l’ex The Curtains et Cryptacize, ancien homme de l’ombre de Deerhoof ou Danielson, démarre sur un sommet de psyché-pop mélancolique (Monad) et ne cessera plus dès lors de jongler entre les comptines lunatiques de Kevin Ayers, la folie douce de Syd Barrett et le spleen émerveillé des Zombies, du pain béni en somme pour le nostalgique du Flower Power qui sommeille plus ou moins profondément en chacun de nous.

- La voix : juvénile, flottante, 60’s.

- En écoute.


48. Why ? - Mumps, etc.

- Le disque : Un petit retour en grâce aussi lumineux qu’illuminé pour Yoni Wolf et sa bande, avec un album qui arrose son groove hip-pop d’arrangements cristallins et de chœurs aériens sans oublier pour autant les racines lo-fi des débuts, comme en témoigne le parfait Jonathan’s Hope en ouverture.

- La voix : nasillarde, nonchalante, désarmante.

- Chroniqué et en écoute.


47. Damien Jurado - Maraqopa

- Le disque : Folk dépouillée, textures électroniques ou jams drogués, Damien Jurado sait tout faire et le prouve à nouveau, épaulé par Richard Swift à la production, avec ce Maraqopa multi-facettes qui de rondeurs vintage en rêveries acoustiques fait mine de se chercher pour mieux nous perdre.

- La voix : vacillante, erratique, touchante.

- Chroniqué (par l’ami FredM) et en écoute.


46. The Horse Loom - s/t

- Le disque : Co-produit par son camarade de label Chris Summerlin (Kogumaza, Felix) et le guitariste acoustique Nick Jonah Davis, ce premier LP de Steven Malley renoue avec le picking intense des primitivistes américains, et le jeu à la fois aride et virtuose des pionniers de la folk anglaise, citons notamment Bert Jansch ou Jack Rose pour donner une idée.

- La voix : vibrante, chaleureuse, fervente.

- En écoute :



45. Nadja - Dagdrøm

- Le disque : Quand Aidan Baker et Leah Buckareff trempent leurs rythmiques pesantes (assurées ici par Mac McNeilly de The Jesus Lizard), leurs riffs saturés et autres percées doomesques dans une émulsion de shoegaze nébuleux, il en ressort un disque aux sonorités insaisissables, qu’on pourrait qualifier pour faire vite de métal impressionniste.

- La voix : On n’a pas rêvé, vous l’avez entendue vous aussi ?

- En écoute :



44. Cock And Swan - Stash

- Le disque : Jazzy et sinueuses, les comptines à la fois planantes et percussives du duo de Washington donnent dans la lo-fi foisonnante et primale, bien aidées par l’instrumentation naturaliste de William Ryan Fritch, compagnon de label (Lost Tribe Sound) sous l’alias Vieo Abiungo.

- La voix : blanche, rêveuse, éthérée.

- Chroniqué et en écoute :



43. Horseback - Half Blood

- Le disque : Mi-sanguin, mi-desséché, le stoner black-métallisé de Jenks Miller à forte teneur psychédélique et saturée nous promène de désert en rocailles sous un soleil de plomb. Pas si noir noir donc, malgré sa pochette déliquescente et son growl maléfique qui en ont marqué plus d’un.

- La voix : malsaine, étranglée, vindicative.

- Chroniqué (par l’ami Leoluce) et en écoute :



42. Franck Vigroux & Ben Miller - Transistor

- Le disque : Entre deux sorties plus expérimentales et abstraites aux confins de l’ambient digitale et d’une dark techno minimaliste et malaisante à la façon des regrettés Pan Sonic, le Lozérien s’associait au vétéran "anti-rock" de Detroit Ben Miller, chanteur de feu Destroy All Monsters, pour une petite quarantaine de minutes d’hypnose fantasmatique et flippante aux saillies tantôt stridentes ou abrasives.

- La voix : éraillée, fatiguée, hallucinée.

- En écoute.


41. Sigur Rós - Valtari

- Le disque : Même s’il y a eu bien d’autres sommets en terme d’ambient lyrique cette année face auquel ce Valtari aurait eu bien du mal à tirer son épingle du jeu, difficile de ne pas louer ce virage à 180 degrés par rapport aux redites pop de l’opus précédent. Les Islandais ont retrouvé l’inspiration, et si le souffle céleste de Takk... demeure hors de portée malgré les envolées orchestrales du poignant Varúð en vidéo ci-dessous, cette poignée de chansons cotonneuses aux textures chancelantes et voilées font leur petit effet.

- La voix : elfique, émouvante, haut-perchée.

- Chroniqué et en écoute.

- Le clip de l’année :



40. Bigg Jus - Machines That Make Civilization Fun

- Le disque : Parmi la nuée de rappeurs prépubères encensés par la critique cette année, combien seront un jour capables de sortir un album aussi singulier que celui-là ? Sept ans après le demi-échec du décevant Poor People’s Day, le MC à dread locks de Company Flow reprend en effet les choses là où Black Mamba Serums les avait laissées, alternant brûlots martiaux, soul angoissée et dub abrasif sur fond de beats en roue libre passés au crible d’une matrice détraquée.

- La voix : hachée, anxieuse, désincarnée.

- Chroniqué et en écoute.


39. sink \ sink - The Darkest Dark Goes

- Le disque : Inclassable, l’ambient-pop du trio Néo-Zélandais traîne ses rêveries en clair-obscur dans le sillage gothique et nébuleux du 4AD de la grande époque, arrangements éthérés et manipulations analogiques venant étoffer leurs mélopées féériques mâtinées d’harmonies hantées. A découvrir du côté du label Feedback Loop du Portugais Leonardo Rosado.

- La voix : acide, spectrale, ensorcelante.

- Chroniqué et en écoute :



38. Tindersticks - The Something Rain

- Le disque : Acclamé bien qu’un brin inégal au regard de leurs deux opus précédents, ce dernier cru en date de la bande à Stuart Staples culmine paradoxalement sur son morceau d’intro au spleen rétro où le spoken word du claviériste David Boulter supplante le chant du sus-nommé. Pour le reste, ce disque gueule-de-bois continue de briller dans ses meilleurs moments par son psychédélisme narcotique et ses digressions baroques marquées par les BO 60’s ou le free jazz.

- La voix : capiteuse, égarée, neurasthénique.

- Chroniqué et en écoute.


37. Spiritualized - Sweet Heart Sweet Light

- Le disque : Après 30 ans de carrière dont 22 aux manettes de ce projet formé sur les cendres des Spacemen 3, Jason Pierce touche enfin du doigt sur ce Sweet Heart Sweet Light la spiritualité qui ne cessait de lui échapper derrière le voile du fuzz et des trips bien chargés. Album de l’assagissement et de la rédemption, on y retrouve l’Anglais enfin en phase avec ses désirs d’adulte et ses responsabilités de père de famille, délaissant les envolées droguées au profit d’une americana ambitieuse qui fait la part belle aux ballades planantes et autres épopées gospel.

- La voix : rêche, traînante, apaisée.

- Chroniqué et en écoute.

- Le clip de l’année (bis) :



36. Mark Eitzel - Don’t Be A Stranger

- Le disque : Armé essentiellement d’une guitare et d’un piano, le crooner barbu d’American Music Club continue de cultiver son sens de l’épure mélodique sur ces 12 classiques instantanés aux délicates textures ambient marchant dans les pas des classiques de son groupe, voire parfois dans ceux de Nick Drake sans avoir à rougir de la comparaison (cf. The Bill Is Due).

- La voix : mélancolique, chaude, réconfortante.

- En écoute.


35. Bill Baird - Career

- Le disque : En plus de nous avoir ressorti toute la disco de Sunset via Bandcamp, le Texan nous aura gratifiés cette année de cette bonne grosse virée psyché aux guitares saturées et aux voix filtrées lorgnant sur le groove bricolé des débuts de Beck ou le blues-rock déglingué de Jon Spencer, qui tacle au passage entre deux trips sous LSD l’inhumanité de l’industrie du disque et la naïveté de ses prétendants à la gloire sur microsillons.

- La voix : vocodée, saturée, névrosée.

- Chroniqué et en écoute :



34. Nomen Novum - If You Look For It, It’s There

- Le disque : La flamboyance lo-fi aux synthés rétro-futuristes de l’épique Vanity Prism sur notre compilation Clouds irradiait déjà plus tôt dans l’année de ce premier LP du Géorgien David Norbery, dont les petit hymnes aussi jouissifs qu’aventureux n’hésitent pas à télescoper beats caoutchouteux, collages dadaïstes et mélodies tropicalistes pour nous prendre dans leurs filets kaléidoscopiques, à l’image du tubesque Wicca Chimes.

- La voix : glam, équilibriste, décomplexée.

- Chroniqué et en écoute :



33. Public Enemy - Most Of My Heroes Still Don’t Appear On No Stamp

- Le disque : Après s’être faits une nouvelle jeunesse avec humour et finesse sur le très soul et métissé How You Sell Soul To A Soulless People Who Sold Their Soul ??? en 2007, les mythiques activistes de Long Island se sont débrouillés par leurs propres moyens pour sortir cet album qui voit Chuck D et Flavor Flav durcir le ton à nouveau avec l’appui de Gary G-Wiz du Bomb Squad à la prod, et renouer avec leur esprit radical et révolutionnaire tout en creusant les pistes funky et mélodiques ouvertes par l’opus précédent. Quant à son faux jumeau The Evil Empire Of Everything, entre hard rap ténébreux et groove vintage, il se sera malheureusement avéré moins inspiré.

- La voix : charismatique, revendicative, déterminée (Chuck D) / mordante, vibrionnante, allumée (Flavor Flav).

- En écoute.


32. EYES - A Candle In The Crown Of The Dawn

- Le disque : Krautrock, post-punk et no wave retrouvent leur flamboyance d’antan entre les pattes de ce combo californien adepte d’un rock incandescent et opiacé entrecoupé d’intermèdes plus feutrés. Un jeu de montagne russe qui rappelle les grandes heures de Faust avec ses incursions dub ou jazz animées par les soubresauts enfumés d’un sax en liberté, et témoigne de la belle ouverture d’esprit du label Field Hymns plus réputé pour ses rêveries ambient vintage éditées sur cassette.

- La voix : fluette, frénétique, discordante.

- Chroniqué et en écoute :



31. Will Samson - Balance

- Le disque : L’Anglais n’en finit plus de tutoyer les cimes embrumées de l’ambient-folk (facile quand on sait qu’il enregistrait à ses débuts sous le pseudo HIMALAYA) et livre avec l’aide de Florian Frenzel en second guitariste et de Nils Frahm à la technique son disque le plus ample et dénudé à la fois, cherchant la beauté dans l’imperfection d’un enregistrement vintage (sur du matos prêté par son compère Musette) plutôt que d’en gommer les touchantes aspérités et approximations.

- La voix : falsetto, lointaine, élégiaque.

- Chroniqué et en écoute.


30. Susan Matthews - Tales From The Forbidden Garden

- Le disque : La Galloise réputée pour ses drones fantomatiques malmène guitares et voix à la façon d’Evangelista sur ce disque étouffant, où poésie no wave et maléfices doomesques s’entremêlent dans un purgatoire noise au sol jonché de lames de rasoir et de clous rouillés, no man’s land sans dieu ni diable où les cauchemars prennent corps pour tendre un miroir discordant à nos âmes scarifiées.

- La voix : incantatoire, mortifère, tourmentée.

- Chroniqué et en écoute :



29. Dakota Suite - An Almost Silent Life

- Le disque : Chris Hooson sort quelque peu de sa morosité sur ce nouvel opus légèrement moins dépressif qu’à l’accoutumée des discrets Dakota Suite, petits cousins anglais de Sun Kil Moon ou d’Idaho qui marchent plus que jamais ici sur les traces à moitié effacées de Mark Hollis pour mieux s’évanouir dans les brumes d’un spleen acoustique mâtiné de soul triste, de jazz feutré et d’orchestrations épurées.

- La voix : douce, évanescente, silencieuse.

- Chroniqué (par l’ami Gagoun) et en écoute.


28. Mike Cooper - Distant Songs Of Madmen

- Le disque : Il n’y a pas d’âge pour jouer les têtes chercheuses, en témoigne ce dernier album en date de l’influent guitariste anglais qui fait le lien du haut de ses 70 balais entre les impros de guitare instinctives et plus ou moins déglinguées de Lauren Connors ou Bill Orcutt et les manipulations analogiques des expérimentateurs ambient du label australien Room40 - qui offrait en début d’année dernière ce disque enregistré live en Italie deux ans plus tôt - en mêlant compos originales et reprises de classiques d’americana passés au crible de son picking aride et schizophrène.

- La voix : déclamatoire, visionnaire, habitée.

- Chroniqué et offert au téléchargement.


27. Angil & The Hiddentracks - NOW

- Le disque : Ce quatrième album d’Angil et de ses talentueux instrumentistes stéphanois chez We Are Unique est aussi leur plus abouti, Mickaël Mottet tirant le meilleur de ses diverses expériences parallèles au sein de Jerri (pour la radicalité en roue libre), The John Venture (pour la schizophrénie) ou même Del (pour la luxuriance dans le minimalisme) tout en laissant suffisament de champ aux Hiddentracks pour accoucher d’un disque de tous les possibles : post-pop et avant-jazz, juste assez cadré pour que les chansons s’insinuent durablement dans notre cortex (les merveilleux This Time et I Have Stopped Wondering en tête) et pas trop non plus histoire de demeurer passionnant au fil des écoutes répétées.

- La voix : rapeuse, scandée, versatile.

- Chroniqué et en écoute.


26. A Native Hundred - Down To Your Hairs

- Le disque : Echappé de Wild Dogs In Winter dont on ne saurait que trop conseiller à nouveau le superbe Homba aux amoureux de Hood ou The For Carnation, Rhys Jon Baker n’aura guère eu besoin que de trois bouts de field recordings, une guitare, des boîtes à rythmes et quelques arrangements de cordes - Jamie Romain (A Band Of Buriers) officiant au violoncelle - et de synthés épars pour trousser ce petit classique irréductible dont les miniatures lancinantes et dépouillées à la croisée de la folk lof-fi, de l’électronica, du shoegaze ou encore du post-rock ont le don de ne plus vous quitter.

- La voix : plaintive, meurtrie, obsédante.

- Chroniqué et en écoute :



La suite bientôt...