Earthling : les Terriens sont de retour
Depuis leurs deux albums de haute volée au milieu des années 90, nous n’avions plus de nouvelles d’Earthling. Et puis, il y a quelques mois, le duo nous surprenait en sortant Insomniacs’ Ball après plus d’une décennie de silence. Difficile de résister à la tentation d’interroger Tim Saul et Mau, les deux membres historiques du groupe, afin de savoir ce qu’ils ont (encore) dans le ventre. Beaucoup de choses assurément, et ne comptez pas sur eux pour passer de la pommade dans le dos à tous leurs collègues de l’époque...
Bonjour, Insomniacs’ Ball est le troisième album d’Earthling, et sort treize ans après votre dernière collaboration. Quand et comment vous est venue l’idée de sortir un nouvel album sous le nom d’Earthling ?
Tim Saul : Nous étions en contact et écrivions ensemble depuis six ou sept ans, mais sans véritable pression ni attente. Et finalement, le projet a pris de l’ampleur, jusqu’au point où nous avons eu suffisamment de matière pour sortir l’album que nous souhaitions.
Mau : Au fil des années, je voulais écrire des morceaux, et je savais pertinemment que ce ne pourrait être que pour Earthling.
Quel effet cela fait de travailler à nouveau ensemble après tout ce temps ?
T : Cool, et vraiment simple.
M : Aucun stress.
Est-ce que vos méthodes de travail ont changé ? L’évolution du matériel depuis 1997 a-t-elle fait évoluer votre son ? Quelles sont les machines indispensables pour vos compositions ?
T : La méthode a changé, c’est évident. Déjà, nous vivons désormais dans des pays différents, alors on s’envoie nos travaux par internet. La conséquence est que nous avançons plus vite qu’avant, notamment pour enregistrer les voix et mixer les pistes.
Cet album a été entièrement auto-financé. Évidemment cela change tout, d’autant plus qu’un ordinateur portable peut désormais vous permettre de faire des choses qui nécessitaient auparavant l’entrée en studio à un prix élevé. Désormais, je ne compose plus sur un Atari 1040 ou un sampler Akai S950, et depuis le dernier enregistrement d’Earthling, j’ai écrit et produit de la musique pour un orchestre symphonique. J’ai aussi beaucoup travaillé pour le cinéma et la télévision.
Insomniacs’ Ball évoque plusieurs thèmes, parmi lesquels l’oubli. Avez-vous l’impression d’avoir été oublié par votre public depuis tout ce temps ?
T : Si c’est le cas, on ne peut pas leur en vouloir. Mais je ne pense pas qu’ils nous aient oublié, c’est nous qui avions disparu. Mais maintenant, nous les rappelons à nous !
M : On n’a pas vraiment été oublié. Mais je pense que personne ne s’attendait à ce que l’on sorte un nouvel album. J’espère que ce sera une agréable surprise pour tous ceux qui tomberont dessus.
Pour la distribution d’Insomniacs’ Ball, avez-vous choisi Bandcamp par conviction ou par défaut ? Êtes-vous satisfait de l’accueil fait à l’album jusqu’ici ? Que pensez-vous de ces nouveaux modes de distribution numériques ?
T : Nous aimons la franchise de la démarche et le côté immédiat de Bandcamp, mais nous sommes prêts à retravailler avec un label si une bonne opportunité se présente. Les retours sur l’album sont pour l’instant très positifs, il suffit juste de faire passer le mot parce qu’une bonne partie des gens qui se seraient procuré notre musique à une époque n’est pas encore au courant pour ce nouvel opus.
M : J’aime bien l’idée de publier quelque chose sans le crier sous tous les toits, un peu dans l’esprit du Livre des Illusions de Paul Auster.
D’ailleurs, depuis la première diffusion de l’album sur Bandcamp, le tracklisting a légèrement changé, Lab Baby et A Great Year For Shadows formant désormais la doublette introductive. Pourquoi cette modification ?
T : La situation économique !
Effectuons un petit retour en arrière si vous le permettez. Vous vous êtes rencontrés via une annonce passée par Tim qui cherchait un rappeur imaginatif. Il se dit que pour briser la glace, vous avez parlé du roman de Luke Rhinehart, The Dice Man, avant d’enregistrer un morceau dans la foulée. L’histoire est-elle vraie ? De quel titre s’agissait-il ?
T : C’est vrai, et on a écrit I Could Just Die qui clôt Radar.
M : Oui, on était à fond dans The Dice Man et dans cette idée de décisions aléatoires, que de toute façon rien n’a de sens et que les plans parfaits ne fonctionnent jamais.
Avec le recul, regrettez-vous de n’avoir pas pu sortir Humandust à l’époque, en 1997 ? Ce rejet de la part de votre label de l’époque a-t-il conditionné la mise en sommeil d’Earthling ?
T : Oui, on regrette, mais c’est la vie tu sais !
M : Aujourd’hui encore, cet album serait trop sombre pour EMI !
Humandust marquait une évolution musicale assez nette, explorant un univers plus crépusculaire, voire ténébreux. Certains événements personnels avaient-ils guidé cette rupture, ou était-ce simplement un choix ?
T : Il n’y avait pas de grand changement de cap, c’était simplement là que nous en étions sur le plan créatif à l’époque. Je crois aussi que les gens oublient que Radar comportait des morceaux comme Planet Of The Apes, extrêmement sombre dans ses paroles.
M : Ce n’était pas une période très glorieuse. C’était comme aller au bureau et travailler de 9h à 17h...
Vous aviez invité Ray Manzarek à jouer sur deux titres de l’album, y a-t-il une petite histoire derrière cette collaboration avec le mythique claviériste des Doors ?
T : Au début, c’était une blague. Adolescents, nous étions tous les deux de grands fans des Doors et on avait pris l’habitude de chanter leurs chansons en studio et dans le bus, pendant nos tournées. C’est là que notre manager nous a surpris en fixant une collaboration. Il nous a fallu des jours pour y croire.
Ray disait que Jim Morrison aurait adoré Mau. Il disait "c’est un putain de poète, mec".
Prendre le téléphone et discuter avec Ray de quel son de clavier des Doors j’aimais - il les avait tous samplés - et de ce que je voulais qu’il joue sur nos morceaux, c’était vraiment surréaliste, mais aussi complètement naturel, quelque part.
En 1995, vous paraissiez agacés lorsque l’on évoquait une connivence dans "le son de Bristol". Avec le recul, que pensez-vous de ce que l’on a appelé le trip-hop ?
T : Il y avait quelques réels innovateurs et une pléiade de mauvais imitateurs. Mais n’est-ce pas le lot de tout nouveau courant musical ?
M : Ça ne m’a ni surpris ni agacé qu’on nous classe dans le courant trip-hop. Je ne pense pas que ce soit exactement ce que nous sommes, du moins pas autant que Portishead ou Massive Attack, mais sinon, de quoi auraient-ils bien pu nous qualifier ?
Sur Radar, Geoff Barrow apportait sa contribution à plusieurs titres. Comment jugez-vous l’évolution plus sombre de Portishead, qui prend désormais ses distances avec le trip-hop ?
T : Ils sont en perpétuelle évolution. C’est génial qu’ils n’aient pas arrêté.
M : C’est normal, vous ne pouvez pas continuer à faire la même chose encore et encore. Enfin si, des groupes de merde comme Morcheeba peuvent le faire mais c’est à des années-lumière de Portishead.
D’une manière plus générale, que vous inspire Bristol aujourd’hui, sur le plan musical ?
T : J’ai habité un peu partout ces derniers temps, mais là je suis à Londres, et je ne suis pas trop la scène de Bristol. Le dernier truc qui m’a interpellé c’est le dubstep, il y a quelques groupes vraiment intéressants là-bas. Bristol a toujours été un bon endroit pour les musiciens indépendants et je suis sûr que ça le restera.
M : Je n’ai pas d’avis. Je suis de Londres et je vis à Paris.
Merci à Tim Saul et Mau pour leur disponibilité. Insomniacs’ Bell est disponible à l’écoute et au téléchargement via Bandcamp.
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