Björk - Volta
Deux ans après une BO en demi-teinte pour Drawing Restraint 9 (dernier film en date de son compagnon, le sculpteur d’avant-garde américain Matthew Barney), qui m’avait laissé une impression générale assez creuse, partagée qu’elle était entre sommets de magie (Gratitude, habité par Will Oldham aka Bonnie ’Prince’ Billy dans une interprétation très "björkienne"), expérimentations poussives (les insupportables respirations de Pearl héritées du pire de Medúlla ) et longueurs inutiles (l’interminable complainte japonaise de Holographic Entrypoint), j’attendais ce nouvel album de Björk avec une fébrilité toute particulière.
1. Earth Intruders
2. Wanderlust
3. Dull Flame Of Desire
4. Innocence
5. I See Who You Are
6. Vertebrae By Vertebrae
7. Pneumonia
8. Hope
9. Declare Independence
10. My Juvenile
L’annonce de collaborations très orientées world music (Konono N°1, Toumani Diabaté, Min Xiao-fen), un artwork pour bambins de trois ans à la limite du ridicule (les mauvaises langues parleront de pub pour Orangina), un premier single pataud co-produit par Timbaland façon techno-funk africanisante à la sauce Congotronics dont on pouvait craindre qu’il donne le ton du reste de l’album, je me préparais déjà à être grandement désappointé par ce Volta . Pour la seconde fois d’affilée, Björk allait décevoir mon admiration sans borne pour sa musique depuis son premier album Debut , une admiration qui n’avait cessé de grandir avec la découverte de Post , puis d’ Homogenic et enfin de l’indépassable Vespertine . Entretemps, bien qu’un peu en retrait par rapport à Post et surtout Homogenic , la BO SelmaSongs composée pour le film de Lars Von Trier Dancer in the Dark m’avait néanmoins beaucoup touché par son humanisme désespéré et sa candeur tragique, et même Medúlla , bien que limité par son concept d’album (presque) entièrement réalisé à la voix, recélait un lot de merveilles aériennes (ou aquatiques, influence de Robert Wyatt oblige) amplement suffisant à en faire un grand album, à commencer par sa chanson d’ouverture Pleasure Is All Mine, peut-être la plus belle jamais composée par l’Islandaise.
Mais allez, trêve de suspens déplacé. Car sitôt dépassée l’ouverture laborieuse sur le Earth Intruders précédemment cité, l’album se transforme en chef-d’oeuvre organique et exploratoire, complexe et mouvant mais toujours tout à fait abordable.
Dès Wanderlust, dans lequel des beats à la Autechre côtoient des cuivres à la fois majestueux et dignes des expérimentations free jazz du National Anthem de Radiohead, l’album décolle avec une facilité déconcertante. Une véritable chanson de départ ("I am leaving this harbour, giving urban a farewell") synonyme de délivrance. L’album tout entier sera ainsi construit comme un voyage à étapes ("from island to island"), avec ses transitions d’ambiance portuaire (cris de mouettes, bruits de machines, et sirènes de bateaux qui en se répondant forment une musique) et ses paysages sonores à perte d’oreille, voyage intérieur autant qu’extérieur tout en paradoxes et en contrepieds passionnants, voyage en solitaire pour fuir une humanité gangrenée par l’embrigadement religieux ("its habitants seem to keen on God, I cannot stomach their rights and wrongs"), pour se libérer de valeurs illusoires ("lust for comfort suffocates the soul, relentless restlessness sets me free") et néanmoins voyage humaniste, où l’introspection se fait en communion avec la nature ("whether sailing into nature’s laws, and be held by ocean’s paws") et avec à l’esprit la présence rassurante de l’être aimé.
Ainsi, dès l’ouverture de Dull Flame Of Desire, les cuivres se font plus majestueux encore, et alors même qu’Antony Hegarty, leader à la voix d’or d’Antony & The Johnsons, répond au chant de Björk sous un martèlement de percussions martiales aussi inéluctable que la marche du destin, l’album renoue avec le romantisme - forcément tragique car soumis aux lois de la nature, de vie et de mort - pétri d’émotion d’un autre duo mémorable de l’Islandaise, I’ve Seen It All avec Thom Yorke sur SelmaSongs .
Après ces deux véritables odyssées de sept minutes chacune, Innocence, deuxième co-production Timbaland, rejoint le mélange de candeur et de noirceur d’Enjoy, l’une des deux chansons de Post produites par Tricky, mais avec un côté plus funky, à la Missy Elliott, et cette fois ça fonctionne. Björk y célèbre le courage d’admettre ses peurs pour les dépasser, envisageant même la peur comme un moteur de la vie ("fear is a powerful drug, overcome it and you think that you can do anything").
Une introspection que l’on retrouve également sur I See Who You Are, ode à la fusion psychique et charnelle dans laquelle Björk chérit la pensée de son amour momentanément loin d’elle, qui pourrait faire office avec ses beats tout en clarté étouffée et la pipa de Min Xiao-fen en guise de harpe, de pendant aquatique aux sommets célestes de Vespertine .
C’est d’ailleurs par l’écoulement de l’eau que ce morceau enchaîne avec le suivant, le vertigineux Vertebrae By Vertebrae, digne d’une bande originale de Bernard Herrmann pour Alfred Hitchcock avec, à nouveau, des cuivres et une batterie martiale, qui cette fois se font inquiétants, puis carrément menaçants. "Same old cloud, claustrophobic me, let it burst like old train sounds..." Le voilà, en milieu d’album, le but de ce voyage : se débarrasser de la "bête", celle qu’a fait naître un contact trop long et trop étroit avec une civilisation dégénérescente. "Make them leave me, nature..."
Sous les imprécations de Björk, la pluie se met à tomber, c’est Pneumonia. "Get over the sorrow, girl, the world is always going to be made of this." Amertume et désillusion, cette fois les cuivres lorgnent sur Howard Shore, compositeur fétiche d’un autre cinéaste dont Björk convoque ici la douloureuse émotion organique, David Cronenberg. Mais une évidence finit par s’imposer : "you’re just crying after all to not want them humans around anymore".
Et aussitôt l’espoir renaît avec le bien-nommé Hope, dans lequel les beats de Timbaland sous-tendent un véritable ballet de kora, orchestré par le virtuose Toumani Diabaté avec une étonnante légèreté. Ainsi, si l’ouverture de l’album à cet instrument traditionnel africain symbolise effectivement une réouverture au monde, ce morceau soutenu par une basse tendue comme un arc n’a rien de traditionnel pour autant et tient l’album toujours aussi éloigné de la dérive world pour bobos que certains avaient sans doute pris plaisir à imaginer.
En témoigne d’ailleurs le morceau suivant, Declare Independence, dont l’esprit parfaitement résumé par son titre renoue avec la puissance électro-noisy de Pluto sur Homogenic . "Declare independence, don’t let them do that to you..." La tension contenue du chant de Björk éclate bientôt en exhortation vindicative à la révolte contre l’uniformisation sournoise et la taxation des libertés individuelles au nom d’un patriotisme hypocrite. "Make your own flag ! Raise your flag !" Un cri engagé mais avant tout intime de la part de l’Islandaise, la simple affirmation d’une volonté de liberté que rien, jamais, ne pourra faire plier.
My Juvenile, tel All Is Full Of Love pour Homogenic , vient clore l’album sur un profond apaisement. Antony Hegarty est de nouveau de la partie, et l’amour donne à Björk une force plus grande encore que sa liberté ou son indépendance : celle de s’ouvrir et de partager ses émotions. "Thank you for, again, to get to be able to send warmth..." Les auditeurs, eux aussi, disent merci.
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