Cloudwarmer - the climate detectives study nostalgia and terror in the dreams of middle america

Après s’être essayé avec plus ou moins de bonheur, associé à un certain Jamarr Mays, à une synthwave dystopique et technoïde sous le sobriquet de Deathwave International dont on chroniquait succinctement le dernier EP en date par ici, le New-Yorkais Eddie Palmer (à droite sur la photo plus bas) mettait en août dernier ses attraits hédonistes de côté pour revenir en compagnie de son camarade Brett Zehner à ses premières amours, celle du futurisme cauchemardé de l’Amérique d’après guerre qu’explorait jusqu’à son interruption il y a tout juste deux ans leur projet The Fucked Up Beat.

1. The Happy & Sinister Humans From Muncie / Who Sat Idly In Front Of Television Sets & Devoured Their Neighbors Bit By Bit
2. The Abandoned Pets Displaced In Vacant Omaha Buildings / Who Survived Frigid Climates & Were Then Disappeared From The Earth
3. The Melancholy Household Appliances Of Peoria / Who Waited All Night For Someone To Take Them Home
4. The Town Without A Face / Who Feared Geography
5. The Invaders From The South ! / Who Found Themselves Dispossessed In The Dark Fields Of Kansas
6. The Oh So Wonderful Patriotic Communities Of Planet America / Who Fed Their Children To The Wolves For A Taste Of Gasoline
7. The Paradox Men / Who Marauded Through Ohio Forests & Prayed For Rain
8. The Atomic Youth Of Yesterday / Who Now Build Walls & Rule The Scorched Lands
9. The Kaleidoscope Conveyor Lifts of Lordstown / Who Were Violent & Majestic
10. The Dimensioneers Of Kenosha / Who Are Gods Eternally & Built Factories In Their Likeness
11. The Monochrome Davenport Townsfolk / Who Became Lost In The Supermarket One Afternoon Never To Be Seen Again

date de sortie : 03-05-2019 Label : Autoproduction

Un premier diptyque l’an passé Anthropocene / Capitalocene, qui semblait s’intéresser aux catastrophes écologiques des premières heures de la guerre froide à nos jours et à leurs conséquences, renouait déjà discrètement avec le sampling rétro-futuriste aux effluves paranoïaques de programmes radiophoniques et autres bandes-son ciné ou télé auxquels les auteurs dEuropa, malheureusement demeurés sous le radar des amateurs de musiques expérimentales jusqu’ici, nous avaient habitués, mais peinait à retrouver l’ampleur de leurs travaux passés, lui préférant le minimalisme d’atmosphères trop superficielles faisant la part belle aux nappes de synthés épurées.

Mais sur the weather conspires with you - encore un peu timide cependant et peut-être un brin trop inconséquent, pas suffisamment angoissé en tout cas passée sa parfaite intro 62°23′30″N 145°09′03″W pour réellement marquer les esprits - et surtout donc l’album qui nous occupe ici, au titre forcément réminiscent du chef-d’oeuvre The Fucked Up Beat Investigates Strange Weather Patterns And The UFO Cults Of Cold War Nevada, la paire renoue avec un certain dynamisme aux boucles hypnotiques, trouvant un équilibre assez fascinant entre instrumentation organique et samples rétro, imaginaire anxiogène et échos d’une histoire parallèle de l’Amérique où conspirations politiques et théories du complot se mêlent aux légendes urbaines, à une SF d’un autre temps et à des terreurs subconscientes devenues pour certaines une réalité. A cet égard, difficile d’ignorer la référence à Trump et ses lubies réac (alors même que Reagan lançait entre deux tirades publicitaires vintage sur l’incantatoire et sournois The Oh So Wonderful Patriotic Communities Of Planet America / Who Fed Their Children To The Wolves For A Taste Of Gasoline son fameux "America is back"...) d’un morceau tel que The Atomic Youth Of Yesterday / Who Now Build Walls & Rule The Scorched Lands, surtout connaissant l’engagement politique des intéressés - qui avaient fait don en 2017 d’une composition exclusive tout aussi fantasmagorique, faussement légère et vraiment hantée au premier volet de notre compil IRMxTP.

Ce Night Moves For Denise Bryson bénéficiait encore d’une dimension jazzy remisée aujourd’hui au placard (à l’exception d’une trompette ici ou là comme sur l’halluciné The Dimensioneers Of Kenosha / Who Are Gods Eternally & Built Factories In Their Likeness aux drums tribaux enfiévrés) au profit de beats syncopés plus ou moins organiques (l’enchanteur The Kaleidoscope Conveyor Lifts of Lordstown / Who Were Violent & Majestic), ethno-lounge (The Invaders From The South ! / Who Found Themselves Dispossessed In The Dark Fields Of Kansas) ou chamaniques (la brillante ouverture The Happy & Sinister Humans From Muncie / Who Sat Idly In Front Of Television Sets & Devoured Their Neighbors Bit By Bit), entrecoupés d’incursions drum’n’bass extra-terrestres et au rythme desquels se télescopent soundtracks sans âge, enregistrements surannés, choeurs échantillonnés et arrangements oniriques, le tout au service d’une nouvelle thématique : le dérèglement climatique.

Sur ce dernier opus, première vraie claque depuis le retour du duo tous compteurs à zéro sous cette identité météorologique, cette préoccupation se double toutefois d’autres perturbations : d’un quotidien conformiste (samples publicitaires sortis de leur contexte à l’appui sur The Melancholy Household Appliances Of Peoria / Who Waited All Night For Someone To Take Them Home par exemple) ; de la psyché (sérénades et dialogues hollywoodiens hachurés ou loopés sonnent comme autant de névroses empilées jusqu’au vertige, cf. The Town Without A Face / Who Feared Geography) ; de la morale (le sus-mentionné The Oh So Wonderful Patriotic Communities Of Planet America...) ; ou plus largement de la tangibilité de l’existence elle-même (The Abandoned Pets Displaced In Vacant Omaha Buildings / Who Survived Frigid Climates & Were Then Disappeared From The Earth avec ses étranges effluves world music d’une autre dimension ou The Monochrome Davenport Townsfolk / Who Became Lost In The Supermarket One Afternoon Never To Be Seen Again, dont la coda techno semble sortir de nulle part pour nous déposer ailleurs encore), autant de concepts plus ou moins familiers pour les admirateurs de nos deux théoriciens du cut-up sonore et de leur précédente incarnation.


Quelque part entre l’étrangeté ésotérique et habitée de Coil ou Nurse With Wound et celle, plus évanescente et faussement easy listening, d’un Funki Porcini, Cloudwarmer rivalise ainsi de talent et de singularité avec le Français Leonis en terme de collages mentaux empruntant à la musique concrète et de mélange des genres (ici trip-hop, ambient, dub, musique africaine, hip-hop instrumental voire encore un brin de synthwave 80s sur The Paradox Men / Who Marauded Through Ohio Forests & Prayed For Rain, entre autres) mais s’en différencie sur le fond par cette dimension d’inconscient collectif plutôt que de mash-up intime dont suinte une musique qui en incarne toute la schizophrénie, comme sur la forme par une nébulosité symbolisant la relativité du temps. Une temporalité distordue, malmenée, déconstruite et reformulée par le duo sur cette nouvelle salve d’instrumentaux, qui semble creuser via son exploration transversale d’une histoire oubliée les origines d’un malaise existentiel bien plus actuel : celui d’une Amérique gorafisée qui ne s’explique pas encore totalement sa perte de contact avec le réel.

Chroniques - 06.05.2019 par RabbitInYourHeadlights
 


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