Ghostpoet - Dark Days & Canapés

"Can you please explain it clearly to me ? We had it all... now we’re dominoes, fall like dominoes" se lamente Ghostpoet sur l’un des titres - (We’re) Dominoes - les plus mélancoliques et impressionnistes de ce nouvel album qui n’en manque pas (en tête, le semi-acoustique Trouble + Me qui n’aurait pas dépareillé au tracklisting du fabuleux Laylow de cirKus ou encore Dopamine If I Do, ses pizzicati de guitare baroque et autres violons capiteux à la Gainsbourg de Melody Nelson). Parfois au sein d’une relation, les gens changent, évoluent dans des directions opposées et à un certain point l’équilibre se rompt brutalement, tout ce qui fonctionnait semblant alors marcher de travers sans que l’on sache vraiment s’en expliquer la raison.

1. One More Sip
2. Many Moods At Midnight
3. Trouble + Me
4. (We’re) Dominoes
5. Freakshow Voir la vidéo Ghostpoet - Freakshow
6. Dopamine If I Do
7. Live>Leave
8. Karoshi
9. Blind As A Bat…
10. Immigrant Boogie
11. Woe Is Meee
12. End Times

date de sortie : 18-08-2017 Label : PIAS

Mais parfois au contraire, l’un des individus ne fait que révéler ce qui constituait déjà sa personnalité depuis les tout débuts, à mesure que s’estompe l’idée que son partenaire s’en était alors faite en extrapolant le moindre élément de celle-ci sous l’influence de ses propres attentes et de sa propre sensibilité. Il en va ainsi des récits intimes que partage le Londonien sur ce quatrième opus en 6 ans, comme d’une partie des admirateurs de son Peanut Butter Blues & Melancholy Jam inaugural, perdus en route au gré des métissages d’un musicien qui n’avait pourtant déjà de purement hip-hop, à l’époque, que le spoken word désenchanté et quelques incursions groovesques aux rythmiques syncopées. Depuis, le maniérisme vocal du musicien s’est affirmé, dans une veine à la Jarvis Cocker cachant des trésors de névroses et d’authenticité (cf. ici le tubesque Freakshow, sombre et glam à la fois avec ses chœurs féminins d’un côté et ses synthés dystopiques de l’autre), une vraie batterie et des guitares plombées se sont imposées en compagnie d’arrangements orchestraux amples et lancinants, et le flow s’est peu à peu rapproché du chant à proprement parler, en particulier sur les refrains (cf. ici Live>Leave). Enfin, les derniers oripeaux grime et 2-step des géniaux Cash & Carry Me Home ou Runrunrun se sont évanouis après avoir envenimé les morceaux les plus martiaux (Cold Win,
MSI musmiD) du ténébreux Some Say I So I Say Light, qui lorgnait déjà à ses moments perdus sur le rock de chambre (Sloth Trot) ou sur l’afrobeat (Plastic Bag Brain).



Produit par l’ingé son et guitariste Leo Abrahams, collaborateur de Brian Eno, David Byrne ou encore Jon Hopkins qui a pleinement contribué au même titre que les musiciens de studio à la dimension organique de ce nouveau bijou, Dark Days & Canapés fait écho par son titre même et sans ambiguïté au premier sommet sus-nommé. Mais s’il s’avère dans la disco d’Obaro Ejimiwe en être le plus proche en terme de cohérence atmosphérique et d’inspiration retrouvée après un Shedding Skin ouvert aux quatre vents de collaborations indie plus ou moins électriques ou intimistes mais légèrement en deçà de ses prédécesseurs, il témoigne à la fois de l’aboutissement d’une évolution désormais évidente qui s’est faite petit à petit à coups de guitares claires-obscures et d’arrangements spleenétiques à la façon du Pulp du tournant des 00s justement ou des Tindersticks des 90s (avec son piano crépusculaire et ses trémolos de guitare désespérés, Many Moods At Midnight en est ici l’exemple le plus frappant) voire pourquoi pas Talk Talk (influence avouée du beau Blind As A Bat... avec son trio de cordes impressionnistes sur fond de guitare méditative aux accords épurés), et de l’inéluctabilité d’une trajectoire déjà perceptible en filigrane sur un Peanut Butter Blues & Melancholy Jam dont on vantait à sa sortie la digestion aussi intense qu’élégante de tout un héritage bristolien mélangeur, via Massive Attack en particulier - lesquels adouberaient 5 ans plus tard leur compatriote britannique en l’invitant à donner de la voix sur l’excellente face-B de The Spoils, Come Near Me.


Woe Is Meee voit d’ailleurs Daddy G partager le micro avec son disciple avoué le temps d’un western existentialiste à la Jamaïcaine, qu’il habite en seconde moitié de son timbre enfumé, cool et vénéneux à la fois, celui-là même auquel on doit la réinvention du spoken word sur un Blue Lines qui n’a pas manqué de marquer de son empreinte hybridatrice l’ensemble des travaux de Ghostpoet. Entre l’électro-tribal One More Sip en ouverture qu’on jurerait tout droit sorti des sessions dHeligoland et un diptyque Karoshi/Immigrant Boogie presque trop ouvertement réminiscent de Mezzanine pour ne pas souffrir de la comparaison, les bons génies trip-hop étendent d’ailleurs leur ombre sur une partie du disque et pourtant, jamais Ghostpoet n’aura autant brillé par son idiosyncrasie. Une personnalité qui se fiche bien des étiquettes, du désamour éventuel des fans et des clés du succès : après tout, que la fin du monde soit proche pour de vrai ou qu’on ait simplement affronté l’implosion d’une relation en faisant de son mieux pour en sortir grandi (End Times - et cette fois, dans la rythmique au moins, c’est le Portishead de Third qui n’est pas loin), c’est de soi-même et de personne d’autre que viendra le salut, au terme d’une auscultation de l’intime qui fait toute l’universalité de ce déjà classique Dark Days & Canapés.

Chroniques - 16.09.2017 par RabbitInYourHeadlights
 


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