James Yorkston : Fife power !
Le 13 décembre, James Yorkston ouvrait pour Bert Jansch au New Morning. Peu avant son entrée en scène, notre envoyée spéciale le rencontrait. Interview décontractée.
La mélancolie enfiévrée et par moments presque désespérée de Just Beyond The River a laissé place sur The Year Of The Leopard à des mélodies plus posées et doucement lumineuses... serait-ce là le reflet de changements majeurs dans votre vie ?
On commence par quelque chose de lourd, là ! Je pense que Just Beyond The River était un challenge, je n’essayais pas de créer quelque chose de sombre, mais c’est sorti de cette manière. Si l’auditeur est un adepte de la pop, il n’y aura pas grand chose dans cet album pour le satisfaire. L’idée était aussi d’avoir un son "live", et c’est pour cela qu’il y a très peu d’overdubs. Avec The Year Of The Leopard, nous voulions nous lâcher complètement, en y mettant notre coeur et aussi beaucoup plus d’instruments, beaucoup plus d’overdubs, on voulait s’éclater, donc c’est vrai que c’est le reflet de mon état d’esprit actuel. Je suis plus heureux que je ne l’étais il y a deux ans.
Comment êtes-vous venu à la musique folk ? Est-ce un univers dans lequel vous avez baigné dès votre plus jeune âge ?
La musique folk... je pense que tu parles de la musique traditionnelle. Quand j’étais jeune, ma famille avait l’habitude de partir à County Cork, en Irlande du Sud, et a cette époque les enfants étaient admis dans les pubs. Mon père m’emmenait avec lui et mes trois frères, je buvais des sodas bien sûr, mais ce fut mon premier contact avec la musique traditionnelle. J’ai fait ça jusqu’à mes 12-13 ans, puis quelques étés plus tard, j’y retournais seul. La musique traditionnelle me renvoie toujours aux souvenirs d’été de ma jeunesse.
Vous avez fait vos premières armes au sein du Fence Collective, formation locale du village écossais de Fife où vous avez grandi et dont l’un des membres, HMS Ginafore, chante sur ce nouvel album. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le Fence Collective est composé de plusieurs chanteurs, musiciens et artistes. Certains sont comme moi musiciens à plein temps, c’est le cas de King Creosote, ou de KT Tunstall qui à présent ne joue plus vraiment avec le collectif ; il y a aussi The Lone Pigeon qui joue maintenant avec les Aliens, nous vivons de notre musique. D’autres font ça pour le fun, comme HMS Ginafore, que nous respectons immensément, elle écrit de fantastiques paroles et a une voix superbe. Je lui ai demandé de chanter sur mon album car si je ne l’avais pas fait jamais elle n’aurait sorti de disque. Les seuls qu’elle ait sortis l’ont été au sein du collectif et n’ont vendu que 200 ou 300 copies.
Ecrire et composer, cela va-t-il de paire pour vous, ou est-ce qu’au contraire l’une de ces deux composantes prend le pas sur l’autre pour faire naître une chanson ?
Les deux ne marchent pas ensemble, même si évidemment à un moment ils doivent aller ensemble. Habituellement je joue de la guitare en regardant le foot ou le billard à la télé, des sports très ennuyeux. J’ai mon carnet de notes, qui est également mon portefeuille et j’écris quand je le sens. Ensuite, je cherche dans mes mélodies quelque chose qui puisse aller avec ce que j’ai écrit.
Votre groupe, The Athletes, joue-t-il un rôle important dans la direction musicale que prennent vos albums ?
Si ce n’était pas pour les Athletes, le son serait différent. J’écris toutes les musiques et fais tous les arrangements. Par exemple, Faisal, notre batteur, est très léger dans son jeu, presque comme un percussionniste. Nous étions en tournée aux USA, et il y avait ce musicien dont je tairai le nom, seul il était fantastique, mais pour un concert londonien il a fait venir tout son groupe et son batteur tapait comme un dingue, ce qui a gâché le son. Avec les Athletes j’ai des musiciens compétents, qui s’adaptent à mes compositions, et je suis donc très heureux avec eux trois.
Le son de The Year Of The Leopard semble plus ample, plus profond que celui de vos précédents opus... quel a été l’apport de Paul Webb en tant que producteur ?
Je pense que le rôle d’un producteur est de créer une atmosphère dans laquelle l’artiste se sent à l’aise afin qu’il puisse s’exprimer au mieux. Paul était très conciliant, et il ne m’a pas mis la pression, les choses étaient cool. Il a permis aux chansons de s’amplifier, comme pour 5 AM, il a ajouté l’orgue hammond et le piano, on ne peut pas vraiment l’entendre, c’est juste un effet. C’est très subtil dans le mix. Sur Us Late Travellers, c’est lui qui a suggéré l’orgue, il a été très bon.
Est-ce son récent travail avec Beth Gibbons qui vous a décidé à faire appel à lui, ou était-ce déjà un vieux rêve d’admirateur de Talk Talk ?
Je ne connais pas Talk Talk, mais je cherchais un producteur, et j’aimais beaucoup Beth Gibbons. L’idée de Paul, pour avoir un rendu particulier, était d’utiliser de vieux instruments onéreux, pour revenir à un son plus pur. Tout a été enregistré sur bande.
A-t-il changé votre façon de travailler en studio ?
Il n’a pas changé ma façon de travailler en studio, mais il a aidé avec ses idées. S’il m’avait dit "je veux faire un disque punk", j’aurais dit non. Mais il avait envie de prendre la même direction que moi.
On a l’impression que votre inspiration américaine des débuts, qui avait déjà perdu du terrain sur Just Beyond The River, a pratiquement disparu avec ce nouvel album... Ainsi, si la guitare acoustique demeure presque omniprésente, le banjo notamment s’est effacé au profit d’instruments à vent, d’un Fender Rhodes sur Orgiva Song et même d’électronique à l’occasion du splendide Woozy With Cider. Cela vient-il de vos amours musicales du moment ?
Quand on enregistrait le banjo sur Just Beyond The River, ça ne collait pas, et j’en ai eu tellement marre que je l’ai éclaté contre le mur. Pendant la tournée, le bassiste trouvait que le son du banjo était pourri. A notre retour je me suis dit "je ne peux pas jouer de banjo", donc je n’ai pas ressenti le besoin d’en utiliser pour cet album. Je pense que c’est intéressant d’explorer de nouveaux instruments, comme la clarinette, que j’utilise davantage... essayer et voir comment ça sonne. Dans le prochain album, il y aura à nouveau du banjo.
Ecoutez-vous beaucoup la musique de vos contemporains, et si oui y a-t-il certains artistes ou groupes que vous admirez particulièrement ?
J’écoute le Fence Collective, King Creosote, Edwin Collins. Mais qui sont mes contemporains d’après vous ?
Comme nombre de musiciens anglo-saxons, vous citez Jacques Brel au même titre que Scott Walker ou Johnny Cash parmi vos influences... en France, les amateurs de musique anglo-saxonne ont toujours du mal à comprendre un tel intérêt pour cet artiste, certes admiré du public mais qu’ils jugent souvent grandiloquent et trop porté sur la mise en avant du chant au détriment de la musique. En quoi vous inspire-t-il ?
Je cite Jacques Brel, mais aussi Georges Brassens, Barbara... Jacques Brel c’est les paroles, la musique, l’énergie. Je n’aime pas son époque "cabaret". J’ai connu Brel à mes 15 ans, et il y avait aussi Scott Walker... Peut-être parce que c’est exotique... Jamais nous n’avons eu Brel à la radio, c’était une musique précieuse. Brassens est drôle, Léo Ferré est génial, et Barbara... c’est romantique, mais dramatique aussi.
Vous vivez à Edimbourg, mais votre musique est restée très rurale. Est-ce une façon pour vous de résister au milieu urbain qui vous entoure ?
Edimbourg c’est petit, vert, c’est très beau. J’ai grandi dans un petit village, mais c’est très facile d’écrire là-bas. Je trouve ça romantique.
Vous dites que le titre du nouvel album, en plus d’être un hommage au roman "Il Gattopardo" ("The Leopard" en anglais) de l’écrivain italien Lampedusa adapté au cinéma par Luchino Visconti, viendrait d’un puma aperçu à plusieurs reprises par vos proches à proximité de Fife l’an dernier... avez-vous l’impression, tel ce puma, de ne pas être à votre place ? Et si oui, est-ce seulement géographique ?
Ce puma doit se demander ce qu’il fiche là... tout comme je me demande ce que je fiche là. Les gens ici aiment l’argent et la célébrité, mais je ne me sens pas comme ça. Le livre n’est pas triste... cette chanson, The Year Of The Leopard, ce n’est pas un gros constat, ça consiste juste à se demander ce qu’il va se passer...
Le roman de Lampedusa dont on parlait est très poétique, et traite entre autres de la façon dont l’environnement et la fatalité des évènements incontrôlables conditionnent le caractère, la personnalité... d’autre part, le contexte de l’oeuvre est celui d’un changement radical. Vous reconnaissiez-vous dans tout cela en réalisant The Year Of the Leopard ?
Ma principale pensée était "si je fais ce que j’ai vraiment en tête, je pourrai faire ce que je veux sur le prochain disque". Je ne voulais pas faire un remake... J’écris déjà pour le prochain album, je peux faire ce que j’ai envie de faire. Ce que j’écris pour les prochaines chansons est plus celte, je veux suivre mes envies.
Pour terminer, si vous ne deviez toucher qu’une seule personne au coeur avec cet album, qui voudriez-vous que ce soit ?
Moi, bien sûr !
Un grand merci à James Yorkston pour sa disponibilité. Merci également à Shao pour son aide précieuse à l’élaboration des questions, et à Annaïck pour la traduction.
Pour découvrir la musique du songwriter écossais, rendez-vous sur sa page myspace.
Interviews - 30.01.2007 par
,Avec un album par an c’est tout juste si James Yorkston ne fait pas partie de notre paysage quotidien. De quoi en oublier de faire un point sur son cinquième opus Folk Songs pourtant noté depuis longtemps déjà sur notre agenda et paru chez Domino la semaine dernière : 1. Hills Of Greenmoor 2. Just As The Tide Was Flowing 3. Martinmas Time 4. (...)
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