Aluminium - Aluminium
Habituellement, aux réveillons familiaux, on sort l’Aluminium à la fin, pour emballer les restes. Nous on a essayé de le sortir pendant, pour emballer les gens... une expérience dont personne n’est ressorti indemne.
1. Aluminum
2. I’m Bound To Pack It Up
3. Why Can’t You Be Nicer To Me ?
4. Astro
5. Never Far Away
6. Little Bird
7. Let’s Build A Home
8. Who’s A Big Baby ?
9. The Hardest Button To Button
10. Forever For Her (Is Over For Me)
Aluminum : "Tiens, on dirait un mélange d’Un américain à Paris et de West Side Story, mais en plus hanté..." Mon père, docteur ès George Gershwin et Leonard Bernstein, a l’oreille. Et la petite soeur étudiante en musicologie d’enchaîner, mêlant sans surprise snobisme et suffisance : "Vous seriez-vous finalement mis à la Grande Musique ?" Un ton et une sentence qui nous font déjà sourire, à la seule idée de l’explication prévue une heure plus tard sur ambiance White Stripes à fond les ballons. En effet, derrière les cordes, vents, cuivres et autres percussions cristallines de l’orchestre symphonique que nous entendons se cache l’Aluminum de White Blood Cells, première des dix reprises du duo de Detroit qui constituent ce véritable concept-project, initié par le patron d’XL Recordings Richard Russell et mis en musique par Joby Talbot, multi-instrumentiste virtuose de The Divine Comedy.
I’m Bound To Pack It Up : En parlant d’amer-loque à Paris... "It’s so new, man !... so fresh !", lâche notre cousin ricain secrètement défoncé, avachi dans le canapé. Tiens oui, Thomas Newman... c’était à ses BO que ce deuxième morceau radieux commençait à me faire penser. La douceur de la harpe et du piano devient lyrisme d’une envolée de cordes dont la lumière se teinte de quelques nuages encore discrets, mais mon ado métalo-boutonneux de frère, lui, ne décolle pas. "C’est chiant votre truc !" Attends mon gars, tu vas voir tes cheveux dans un morceau ou deux... Toutefois, pas le temps de rétorquer que ma mère a déjà réagi : "Mais non voyons c’est très bien ça, pour une fois que vous nous faites écouter quelque chose de mélodieux..." On le prendra comme un compliment.
Why Can’t You Be Nicer To Me ? : Mais soudain, les lumières se tamisent inexplicablement et le salon se transforme en cabaret américain des années 40. Grand-Mère monte sur la table et relève sa jupe plissée, allumant du regard une assistance médusée. "Quelque esprit malin aura pris possession de son corps", me dis-je, étrangement peu étonné. Loin de toute réflexion, Grand-Père, lui, est aux anges. Il attrapera sa dulcinée au vol lorsqu’un ultime effort pour suivre d’un mouvement lancinant une échappée de cuivres dissonants l’aura faite déraper dangereusement à la fin d’un morceau dont l’influence sur la psychomotricité des patriarches en période de fêtes en aura surpris plus d’un.
Astro : Alors que chacun essaie tant bien que mal de se remettre de ses émotions, la relecture de l’oeuvre des White Stripes continue avec cet extrait du premier album éponyme du groupe de Jack et Meg, transposé dans une atmosphère tendue de club enfumé. J’essaie d’imaginer quel vieux film noir en technicolor a bien pu obséder à ce point l’acolyte de Neil Hannon, mais comme pour couper volontairement court à mes réflexions, c’est au tour de ma tante arrogante, alias madame je-sais-tout, de cracher son venin, répondant avec un retard calculé au cousin ricain sus-cité : "Oui, tu parles, c’est du déjà entendu tout ça", nous affirme-t-elle d’un air dédaigneux... sans préciser où, bien sûr. Je m’apprête à lui rétorquer qu’elle conclue un peu vite comme à son habitude, quand son regard vide s’éclaire sans crier gare d’une étrange lueur hypnotique. Et pendant que la fumée qu’on se contentait encore d’imaginer il y a un instant s’élève pour de bon dans la salon au rythme des percussions, la mégère devenue montreuse de serpents prend place au milieu des assiettes sur la scène improvisée encore garnie des restes de l’entrée pour continuer le spectacle. Les cobras qui sortent on ne sait comment de ses manches sifflent tels les cordes stridentes des violons, finissant de pétrifier la petite assemblée.
Never Far Away : Heureusement, les arpèges d’une harpe lumineuse viennent remettre de l’ordre dans nos esprits embrumés. Sans pour autant chasser d’autres esprits, ceux convoqués dès l’introduction de cette messe de réveillon un peu particulière, tirant les ficelles de ce jeu étrange ici avec la candeur d’un enfant au matin de Noël, là avec la satisfaction malsaine d’un petit démon d’Halloween. Dans la pièce d’à côté, les cousins et cousines en bas âge regardent "L’étrange Noël de Mr Jack" sur la petite télé. Alors que la porte s’ouvre pour laisser passer un parent soucieux du désemplissage de leurs plateaux-repas, les musiques des deux programmes en profitent pour se mêler comme par un harmonieux enchantement. L’influence de Danny Elfman était là elle aussi, attendant son heure, depuis le début. On la retrouvera jusque dans les cuivres là encore très "film noir" de Little Bird, issu du méconnu De Stijl, deuxième album des White Stripes auquel Aluminium fait judicieusement la part belle.
Let’s Build A Home : Les cordes dissonantes font se dresser les cheveux sur les têtes. De la chambre où les bambins regardaient la télé montent des cris apeurés. Précipitation des parents, juste à temps pour les récupérer à la porte, affolés : Mr Jack, passé au travers de l’écran, les poursuit coiffé d’une perruque XIXème qui lui donne un air de compositeur fou à lier. L’univers fantasmagorique de Tim Burton a profité d’ Aluminium pour prendre corps. Soudain, la lumière s’éteint.
Who’s A Big Baby ? : Tout le monde se précipite vers la porte d’entrée, pour la trouver bloquée par Beetlejuice, installé avec le plus grand sérieux derrière un grand piano à queue sur lequel s’agite tout un orchestre miniature de petits monstres. Les percus se libèrent, l’accordéon se lâche, les cordes se déchaînent, tandis que l’esprit frondeur aux vêtements zébrés, toujours actif au piano, fait marcher toute la famille dos à dos sur la tête. Ou quand le cauchemar vire au burlesque.
The Hardest Button To Button : Alors qu’au loin un clavecin et des cuivres bien connus de lui rappellent Beetlejuice à ses obligations, le petit monde de Mr Jack termine d’envahir totalement la maison. Pressés contre la porte d’entrée finalement libre d’accès, la famille au grand complet hurle d’effroi tandis que nous nous échinons à déloquer le verrou à moitié fondu par la chaleur montée en flèche. Un dernier effort et la quiétude nocturne se profile enfin de l’autre côté du battant.
Forever For Her (Is Never For Me) : L’atmosphère s’éclaircit aussi soudainement qu’elle s’était assombrie. Deux semaines après cette soirée sans queue ni tête, chacun continue sa convalescence à l’écoute répétée de cette chute lumineuse, d’une beauté à tomber par terre. La candeur et le lyrisme bouleversants des plus grands moments d’H2G2, dont la BO également signée Joby Talbot constituait l’an dernier un autre sommet de splendeur mélodique et de richesse instrumentale, y côtoie l’influence retrouvée de Thomas Newman (The Player, American Beauty, Road To Perdition), dont Talbot a définitivement réussi a égaler la paradoxale ampleur intimiste, faisant d’ Aluminium un vertigineux et passionnant voyage, à découvrir via myspace ou le site officiel de ce projet pas comme les autres.
Pour rappel, Joby Talbot se produira à l’orchestre national de Lille le 1er mars prochain. Aluminium devrait y avoir la part belle...
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