Live report : Condor Live - Festival Mythos (Rennes), le 15 avril 2016
Dans le cadre du projet Condor Live, Marc Sens n’est pas dépaysé. Il faut dire que le guitariste, qui avait collaboré avec Serge Teyssot-Gay au sein du combo Zone Libre sur PolyUrbaine en 2015 a l’occasion de retrouver un autre ancien membre de Noir Désir, lequel se trouve être Bertrand Cantat. A leurs côtés figure également Manusound, officiant aux machines et à la basse.
Mais avant de voir le trio sur scène, il convient de se rendre à Rennes, dans le cadre du Festival Mythos. C’est à l’entrée du parc du Thabor, au Jardin Botanique, qu’est installé le chapiteau au sein duquel les artistes vont s’approprier, près d’une heure durant, l’œuvre de Caryl Férey, qui prendra la peine de présenter le projet et les musiciens avant que ces derniers n’apparaissent face à un public venu nombreux malgré l’horaire - 19 heures un vendredi, en ouverture de soirée, donc - et assis sur des chaises installées de manière très scolaire.
Scolaire, la prestation du trio ne le sera pas. Caryl Férey, régional de l’étape - tout comme Manusound - ayant grandi à Montfort-sur-Meu (ce qui lui donne l’occasion de glisser quelques traits d’humour dans sa présentation), avait prévenu : cette représentation "trippante" s’appuie sur la lecture d’un extrait de son dernier ouvrage, Condor donc.
L’extrait choisi, "un roman dans le roman", est selon son auteur, "particulièrement barré". Nous voilà donc prévenus. Marc Sens fait résonner sa guitare de manière minimaliste, d’abord, avant que davantage d’ampleur sonore n’envahisse l’espace et les spectateurs.
En effet, si Condor Live a une indéniable dimension politique, critiquant ouvertement la dictature de Pinochet et le capitalisme en règle générale, en s’intéressant à ce Chili des années 70 qui fut l’un des premiers à céder à la tentation, les sonorités s’attaquent avant tout au corps et au cœur de l’auditeur.
Lorsque Bertrand Cantat s’exclame, l’impression est alors renforcée. Depuis les événements que l’on connait tous, l’auteur du génial Horizons sous l’alias Detroit a perdu en crédibilité lorsqu’il verse dans la critique des puissants, c’est évident. Pour autant, l’une des forces de Condor Live est que, pour une lecture musicale, le deuxième élément prime sur le premier.
En d’autres termes, Marc Sens est si habile avec sa guitare - qu’il manie aussi bien avec un archet, de manière acoustique, larsenique ou plus classique - que la musique prend le pas sur la trame narrative de l’histoire.
On ne comprend donc pas tous les détails, loin s’en faut, de l’histoire d’amour au sein d’un champ de ruines entre Catalina et son Colosse, allégorie de Victor Jara, chanteur dont les doigts furent brisés par les militaires qui le criblèrent ensuite de balles dans un stade de Santiago.
Bertrand Cantat semble en tout cas plus que jamais à son aise avec ce méta-roman. Il faut dire que la critique des salauds l’a toujours attiré et qu’il peut ici bénéficier de textes que l’on croirait issus de son propre cerveau ("les capitaux ont capitulé", "de guerre lasse") tandis qu’il sublime certains extraits ("il avait les yeux si bleus qu’il faisait beau dans la nuit").
Tel Alain Bashung, l’ex-Noir Désir aime les mots pour la façon dont ils s’imbriquent avec la musique plus que pour leur signification. Entre séquences de lecture et de chant, le "parlé-chanté" de Bertrand Cantat sonne particulièrement juste, et celui-ci a la bonne idée de ne pas abuser des cris bien placés dont il gratifie néanmoins le public ici et là. Habité, hanté, en plein trip chamanique ou abattu et décontenancé, les émotions qui habitent les musiciens s’imposent à un public qui ressent le vent et le froid caractérisés par des effets sonores sous-jacents placés entre chacun des chapitres.
S’il semble parfois gêné par sa voix, levant la tête pour tousser à l’écart du micro - les cordes vocales ont toujours été le talon d’Achille de l’artiste - le temps du massacre du Temps Des Cerises semble bien loin. Bertrand Cantat est redevenu un artiste et un chanteur habile, capable de s’impliquer dans des projets passionnants qui suffisent à ne pas nous faire regretter l’arrêt des activités de Noir Désir. Qu’il faisait bon être à Rennes pour écouter le trio au sein d’un comité respectueux et attentif...
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