Bilan 2015, un casse-tête chinois - part 6 : Albums #60 - #51
Une série involontairement dédiée aux inclassables pour terminer cette "moitié basse" de bilan, y compris d’ailleurs dans les déceptions dont j’émaille par séries de trois, en fin d’article, chaque tranche de ce classement. D’accord ou pas d’accord, vous êtes d’ailleurs les bienvenus à venir dire ce que vous en pensez ici après une rapide inscription.
60. Turzi - C
Après l’électro-rock-psyché-motorik de A et un B plus pop et nomade quoique tout aussi enflammé dans sa relecture moderne et branchée d’un krautrock ouvert aux quatre vents, le Versaillais Romain Turzi livre avec C son album le plus posé et musicalement ambitieux. Un sans-faute dans sa première moitié cinématographique aux chœurs opératiques et aux synthés racés marqués du sceau des soundtracks 70s sur fond de basses rondelettes évoquant parfois Serge Gainsbourg ou les voisins de Air (Colombe), un peu moins passionnant dans sa seconde partie au chant superflu dont l’urgence emphatique peine parfois à rivaliser avec l’excellence des premiers opus, mais dans l’ensemble c’est du très bon.
59. Thomas Brinkmann - What You Hear (Is What You Hear)
Génie méconnu de l’abstraction minimale, l’Allemand Thomas Brinkmann est comme un poisson dans l’eau chez Mego, surtout quand il délaisse la dubtronica circulaire qui a fait les belles heures de son propre label Max Ernst ou les inframodulations austères et tendues d’un Mortimer Trap (son dernier sommet cosigné par Oren Ambarchi) pour les structures dronesques tout aussi oppressantes de ce What You Hear (Is What You Hear), dont les progressions denses et désincarnées, flirtant parfois avec le harsh noise ou la musique industrielle, se font et se défont sur un minimum d’éléments, avec un maximum d’effet sur nos synapses soumises ici à rude stimulation synesthésique.
58. The Dears - Times Infinity Volume One
"Times Infinity Volume One renoue avec la dramaturgie et le romantisme désespéré des grandes heures du combo, qui signe là son disque le plus poignant depuis l’acclamé No Cities Left. La référence est évidente avec l’électrisant Here’s To The Death Of All The Romance, suite directe du crève-cœur 22 : The Death Of All the Romance mais c’est finalement sur les faramineux You Can’t Get Born Again et Onward And Downward où la claviériste Natalia Yanchak retrouve un rôle prépondérant au chant que les Montréalais retrouvent pleinement la dimension tragique qui faisait tout le prix de leurs parfaites premières galettes. Quête sans espoir d’une dernière chance de réparer l’irréparable, le premier ne lésine pas sur les synthés 80s tandis que le second use d’un saxo délicieusement vintage et de gimmicks d’arrangements 60s pour pleurer sur l’inévitable - "in the end, we will die alone" - mais dans les deux cas l’évidence mélodique et les émotions transcendent chaque élément, des cordes douloureusement classieuses aux claviers bontempi paradoxalement investis d’une certaine grâce sans âge."
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57. James Murray - The Sea In The Sky
Dans la lignée d’un Loss émouvant mais plombé par une austérité rapprochant le drone de la musique sacrée dans tout ce que cela peut avoir de frustrant pour l’auditeur en quête de reliefs musicaux plus contrastés, The Sea In The Sky cultive le même minimalisme mais travaille la matière sonore comme on sculpterait dans les exhalaisons d’un bloc de glace en pleine sublimation des paysages éphémères voués à s’évanouir en volutes hypnotiques dans l’air ambiant, pour mieux se condenser dans nos tympans en lames de givre presque abrasives, souffle diaphane de froid mordant.
56. Daniel Bachman - River
"Reprenant Jack Rose (Levee) et le bluesman afro-américain William Moore (Old Country Rock), influence avouée de John Fahey, l’ex Sacred Harp ne change pas de direction sur River mais continue de creuser brillamment son sillon, avec une maîtrise de plus en plus poussée de l’instrument qui lui permet d’ouvrir ce nouvel opus sur près de 15 minutes épiques partagées entre ferveur mélodique et harmonies de mauvais augure, picking limpide en flux tendu et riffs steel lancinants. Won’t You Cross Over To That Other Shore c’est un peu le pilier de la mythologie instrumentale du guitariste virginien, ce souffle de vie sur une terre desséchée, cet espoir de tromper la mort en ne s’arrêtant jamais de jouer."
< streaming du jour > < top pop/rock/folk 2015 >
55. Kelpe - The Curved Line
"Dernier survivant d’un glitch-hop aussi ludique qu’onirique, Kel McKeown démontre au détriment d’un Dan Snaith, d’un Kieran Hebden ou d’un Jon Hopkins, trois poids lourds du genre en perte de vitesse depuis les tributs au mainstream de leurs dernières sorties, que l’on peut faire danser sur de l’électro exigeante sans rien sacrifier de ses tendances libertaires ou planantes (cf. les roulements free de l’aérien Sick Lickle Thing ou le final kosmische d’Incantation). De la funk martiale de Red Caps Of Waves à l’ambient tribale et tropicale de Morning Two en passant par l’échappée stellaire droguée de Valerian, l’album contient d’ailleurs plus d’un chemin de traverse, preuve que Kelpe n’est pas encore prêt de se reposer sur ses lauriers malgré un succès d’estime grandissant dans les milieux autorisés."
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54. Quttinirpaaq - Dead September
Chaotique et chauffée à blanc, l’indus/noise de Matthew Turner se nourrit toujours de post-punk nihiliste, de harsh sans concession et de techno des bas-fonds dans un maelstrom hypnotique autant qu’incandescent qui vrille les synapses et passe les tripes au papier de verre. C’est toujours crade et malaisant, plus rythmé et mordant, moins psyché et rampant cette fois mais comme pour les doomesques Let’s Hang Out et No Visitors avant lui on y prend un plaisir malsain au goût persistant de revenez-y, la faute à une belle variété d’atmosphères (diverses nuances de noir ou de gris profond dira-t-on), d’humeurs (en général assez violentes tout de même) et de tempi sous les couches de bruit.
< top metal/harsh 2015 > < la chronique de leoluce sur DCALC >
53. Paul De Jong - IF
Pour son premier disque en solo, l’ex compère de Nick Zammuto est vraiment celui qui reprend le flambeau de The Books, conjuguant folklore ricain, dadaïsme et samples décalés dès le countrysant Auction Block d’ouverture avant de revenir à davantage de sobriété. Qu’on soit dans l’absurde (This Is Who I Am) et le délirant (Hollywald) ou la mélancolie d’un piano et de cordes azimutés au séquenceur (Debt Free), comme à la grande époque du duo new-yorkais et notamment sur Lost And Safe en 2005, un vrai souffle lyrique emballe les expérimentations du bonhomme, espèce de Dan Deacon analogique empilant cavalcades de boîtes à rythmes, mélodies violoneuses, pulsations de synthés répétitives et voix sorties d’on ne sait trop quels archives phonétiques (Baxter @73) ou westerns de séries Z, et néanmoins capables de moments d’un pureté séraphique (la sérénade Age Of The Sea, les chœurs de The Art Of What).
52. The Body & Krieg - The Body & Krieg
Le black hardcoreux du New-Jersien Neill Jameson aka Krieg se fond dans les tourments indus/harsh de The Body, entité metal toujours plus singulière sortie après sortie et sur laquelle on reviendra plus haut. Averses déstructurées de beats mécaniques sans pitié et torrents abrasifs d’échardes et de tessons servent de toile de fond aux hurlements d’une goule clouée au pilori et roulée dans les barbelés sur cette collaboration à proprement parler où l’on ne sait trop qui fait quoi, si ce n’est que Jameson tient le micro et growle comme si sa vie en dépendait.
51. Kneebody & Daedelus - Kneedelus
Avec leur collaboration scénique à Jazz à Vienne dont on attendait depuis six ans la transposition sur album, le dandy électro Alfred Darlington aka Daedelus et le quintette jazz-rock Kneebody emmené par Ben Wendel au sax avaient mis la barre très haut, trop haut peut-être en confrontant instrumentation live et manipulations synthétique pour en faire quelque chose de baroque et totalement nouveau sans pour autant se départir d’un groove assassin commun au deux projets. Finalement transformé chez Ninja Tune, l’essai s’en retrouve parfois un peu trop sage façon jazz-hop gentiment syncopé ou jazz contemplatif délicatement texturé, mais tout aussi schizophrénique, stimulant et barré sur ses meilleurs morceaux, le névrosé The Hole et les épileptiques Loops, Drum Battle et Platforming en tête.
N’attendez plus, ils n’y seront pas :
Destroyer - Poison Season
Après le glam aussi exubérant qu’élégant de la décennie précédente et la synth-pop cuivrée d’un Kaputt qui ressuscitait brillamment l’easy listening mélancolique des Pet Shop Boys de la grande époque, Dan Bejar s’attaque à la chamber pop et se prend les pieds dans le tapis d’un maximalisme maniéré aux saxophones envahissants où copulent les influences précédemment citées sans aucun sens de la retenue. Dommage pour les beaux Girls In A Sling et Bangkok perdus dans un ensemble terriblement emphatique et décousu.
Ratatat - Magnifique
C’était jusqu’ici le sans-faute pour Evan Mast et Mike Stroud, dont les quatre albums en tant que Ratatat avaient su faire évoluer leur groove à nul autre pareil entre synthés lyriques et guitares syncopées. Avec son titre forcement propice à l’expectative, Magnifique déçoit pourtant par son hédonisme facile, exercice d’autorecyclage efficace mais superficiel et définitivement indigne du talent du duo new-yorkais.
Son Lux - Bones
Sur une pente descendante à 70 degrés depuis le parfait We Are Rising, Ryan Lott ne sera parvenu à flirter avec le succès qu’en touchant le fond, comme c’est malheureusement souvent le cas. Si le minimalisme auquel le titre de l’album fait référence est bien présent, le successeur du déjà très moyen Lanterns ne s’en noie pas moins sous les beats racoleurs, les effets kitsch et autres lignes vocales grandiloquentes, inventant une chillwave de stade dont on se serait bien passé.
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