One Lick Less - Spirits Of Marine Terrace
Deuxième album de One Lick Less, Spirits Of Marine Terrace continue à tracer les esquisses d’une americana extrêmement originale qui frappe autant par son authenticité que par la tension qui l’habite. Attention, grand disque !
1. Unkind Folk Tale
2. HK
3. Perishing Riot
4. Waterlilly In The Bathtub
5. Alifib
6. Eyes Want
7. Wiegenlied
Avec son introduction qui caresse les chakras et sollicite l’ouverture du troisième œil, Spirits Of Marine Terrace a de quoi surprendre. Quand on a beaucoup écouté & We Could Be Quiet, on se demande de prime abord où est passée leur americana de combat même si l’on aime beaucoup cette ouverture tout en psychédélisme fureteur qui téléporte le corps quelque part dans le sud de l’Asie. Mais la surprise ne résiste pas longtemps au retour de tout ce qui fait la singularité de One Lick Less : une ossature guitare-batterie extrêmement féline qui n’a pas peur de se lancer dans des digressions hallucinées où le duo communique facilement sa transe à notre cerveau qui lui-même part en errance dans les circonvolutions offertes par cette musique indomptée. Le tout surmonté d’une voix écorchée.
« Transe », « Indomptée », « écorchée », ce sont bien ces mots.
C’est bien pour ça que l’on a toujours autant de mal à la catégoriser : du folk enragé, du blues félin, du drone agité, du math-rock acoustique, du post-rock qui sort les griffes (ou plutôt les plectres), du psychédélisme fuselé, et tout un tas de tout avec un zest de rien, tout cela correspond et dans le même temps, tout cela est très réducteur. One Lick Less aime les grands espaces, lorgne toujours du côté de l’Amérique mais jette un œil au reste de la mappemonde (quelques incursions en Inde, on l’a déjà dit, mais aussi du côté de la perfide Albion et de sa pop insulaire, voire quelques périples au fin fond d’obscurs ports le temps d’un Alifib assez singulier, on y reviendra). Bref, One Lick Less cristallise son ADN mais l’enrichit aussi. Exactement le même groupe mais plus tout à fait le même non plus. Ce qui frappe d’emblée, c’est la longueur des morceaux, là où & We Could Be Quiet culminait à six minutes, Spirits Of Marine Terrace ose les presque neuf minutes et, en moyenne, les titres sont plus longs. Ose parce qu’il faut tout de même une sacrée dose de jusqu’au-boutisme pour maintenir la tension caractéristique qui habite chacun de leurs morceaux si longtemps, le tout sans s’épuiser ni épuiser l’auditeur. Le disque montre une belle variété même si le traitement est partout le même, constituant la patte de One Lick Less : Basile Ferriot écorche son kit avec une frappe qui tient autant de l’estafilade que du pain dans la gueule quand Julien Bancilhon explore toutes les possibilités de ses pédales d’effet home made et des cordes de sa guitare, les griffant, les frottant, les pinçant, les frappant entre autres gestes épidermiques quand il ne psalmodie pas quelques paroles ou les crie. L’alchimie toujours en place.
Unkind Folk Tale en ouverture pose les fondations : une introduction qui évoque un Apocalypse Now délocalisé dans un enfer sidérurgique, comme si le duo signifiait qu’il était en partance pour un long voyage tout autant mental que physique, l’esprit traçant sa route dans une direction, le corps en arpentant une autre puis le morceau se met en place, un fragment de psychédélisme qui revêt un masque acoustique et la même dichotomie : d’un côté quelque chose de très structuré avec un couplet, un refrain, de l’autre, des explosions de slide et de cymbales qui s’échappent sans cesse, dessinant une ossature beaucoup plus floue. Intense. Et vraiment singulier. HK est beaucoup plus retenu dans son entame mais on voit bien comment guitare et batterie déchirent l’espace. Là aussi, une sorte de transe égratignée se met en place, carrément noise par moment. Intense. Et vraiment singulier. Et c’est pareil pour tous les autres morceaux, tantôt apaisés tantôt violents, mais toujours acoustiques et toujours d’une grande élégance, pour preuve la mélodie à l’agonie de Perishing Riot, elle aussi, encore une fois, très singulière. Ce Spirits Of Marine Terrace, c’est un fragment d’humanité mis en musique, un disque tout nu qui exhibe ses nerfs, ses muscles, sa chair et ses hématomes, un écorché qui expose ses strates pelées en projection holographique. La reprise transfigurée d’Alifib de Robert Wyatt exhumée de l’immense Rock Bottom le montre bien : on reconnaît la mélodie comme si le groupe y avait mis un peu d’ordre (parce que ce long lézard éthéré ne se laisse pas facilement apprivoiser) mais dans le même temps, les divagations synthétiques sont bien rendues mais sans recours à la moindre adjonction synthétique justement. Le tempo est ralenti pour faire sonner le morceau comme une espèce de comptine délavée pour marin fatigué qui explose à grand fracas ensuite. L’esprit de l’original est conservé mais le duo en a raclé la chair pour ne garder que le nerf qu’il enveloppe ensuite d’une armure fuselée. Oui l’esprit est là mais le traitement est indéniablement du One Lick Less. Ça situe le niveau.
On se demande en permanence d’où le duo tire sa substance. De cette voix fatiguée qui tranche avec ces arrangements tout à la fois énergiques et élégants, de cette batterie féline et de cette guitare contondante qui ne s’affrontent jamais mais toujours se complètent, de ses morceaux qui montrent un sens de la composition toujours alerte, de ce petit plus indéfinissable qui habite le groupe ? De tout cela et de bien plus encore. Pour preuve, le titre de l’album une nouvelle fois littéraire qui fait sans doute référence à l’exil de Victor Hugo à Jersey, période durant laquelle le poète dialogue avec les esprits de Dante, Shakespeare, Molière, Platon, Eschyle, Galilée, Caïn ou Jésus et des formes plus abstraites comme la Critique, le Drame ou la Mort. Une liste prestigieuse initiée par une conversation avec Léopoldine, sa fille morte dix ans plus tôt, le 11 septembre 1853 à la table de Marine Terrace, le confortant dans ses intuitions poétiques, philosophiques et métaphysiques. Pourquoi ce titre et cette référence ? Pour nous signifier qu’il ne sert à rien d’analyser et que le groupe tire sa force d’un éther impalpable ? Que quand il joue, lui-même converse avec les esprits d’Illustres pas toujours morts (Robert Wyatt justement, Neil Young aussi, Bill Orcutt, Woody Guthrie, Robert Johnson, voire les Violent Femmes et tout ce que le folk ou l’americana ont de plus punk) ? Qu’importe, ce qui est sûr, c’est qu’à chaque fois que je lance le disque, les frissons m’assaillent. Il a fallu lutter pour éviter le track by track qui n’a aucun intérêt. Lutter pour ne pas multiplier les lignes. Lutter pour éviter les superlatifs, « fabuleux », « merveilleux », « exceptionnel », qui à la longue perdent de leur hauteur, se diluent et ne veulent plus rien dire. Et pourtant, l’envie est bien là de vous le crier à travers l’écran : écoutez ce disque ! Achetez-le ! Car en plus d’être emballé sous une sublime pochette (fruit de l’imagination de Basile Ferriot et sérigraphiée par Brian Cougar), ce qui s’y trame est à tel point fulgurant et authentique que Spirits Of Marine Terrace devient immédiatement la bande originale qui rythme les moindres parcelles de vie en squattant fièrement et continuellement la platine. Toujours possédé par on ne sait trop quoi, One Lick Less éructe, sa musique parcourue de soubresauts acoustiques qui électrisent le corps, et trace en sept morceaux magnifiques les contours d’un blues personnel et très spécial qui ne ressemble à rien de connu.
Intense. Et singulier.
En un mot, essentiel.
Publiés conjointement sur Les Disques De Plomb, Whosbrain Records et VLA Records, le superbe vinyle accompagné du CD seront pour vous à partir de 12 minuscules euros.
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