The Somnambulist - Sophia Verloren
La musique de The Somnambulist naît, grandit et se meut en permanence sur les frontières. Un enracinement dans le déracinement. Sophia Verloren poursuit la voie de l’exploration et accueille toutes les sonorités pourvu qu’elles soient issues d’ailleurs. Disque nomade. Disque en liberté.
1. My Own Paranormal Activity
2. Logsailor
3. ... And The Snow Still Falls
4. Dried Fireflies Dust
5. Sophia Verloren
6. A Daisy Field
7. Steam
8. Monday Morning Carnage
On avait laissé The Somnambulist au beau milieu du Sahara le temps d’un Moda Borderline qui traînait son spleen et ses ecchymoses le long de la côte méditerranéenne tout en ayant un pied fortement ancré à Berlin. Un disque élégant, cosmopolite et lettré dont le post-punk bien noisy aux entournures, épicé de senteurs en provenance directe de l’Orient remportait immédiatement l’adhésion. En dehors d’un live édité l’année dernière, il aura fallu deux années au trio pour lui offrir une suite. Et cette fois-ci, l’adhésion n’est plus si immédiate. En revanche, elle vient et s’ancre profondément en huit titres seulement mais qui montrent une telle maîtrise et une telle exaltation qu’ils sont à même de conquérir les oreilles les plus récalcitrantes, celles qui n’aiment ni les voix modelées à grands coups de bourbon et de nicotine, les guitares triturées, les violons fureteurs à l’âme bien tzigane et les batteries véloces. La formule reste peu ou prou la même : trois instruments à l’origine d’un beau bordel et au service d’un rock racé, félin et raffiné, empruntant autant à la noise qu’aux folklores de tout poil essentiellement issus d’Europe. Une formule qui ne varie pas mais qui est somme toute suffisamment unique pour qu’on ne puisse lui trouver le moindre équivalent. On a déjà entendu ça mais jamais comme cela. Une originalité qui doit beaucoup au violon et à la voix dont on suit une fois encore les divagations et les coups de boutoir avec un plaisir non feint. Du premier au dernier titre, c’est le corps en entier qui se trouve être harponné et captif d’un voyage au long cours qui délaisse cette fois-ci l’Orient pour explorer la toundra et les steppes slaves après maintes escales en Europe centrale. C’est dépaysant mais c’est surtout magnifique car malgré l’air frais qui pénètre plus souvent qu’à son tour par les larges ouvertures distillées au beau milieu des morceaux, le groupe n’en oublie pas pour autant ses racines occultes ancrées quelque part entre The Ex (l’exploration) et les Bad Seeds (l’élégance même dans la gueule de bois).
Il en va ainsi de Sophia Verloren qui débute par My Own Paranormal Activity, arpèges et stridences avançant de pair pour dessiner les contours d’un morceau qui marque par son allure crâne et ses multiples changements de rythmes et de directions. Un morceau qui annonce parfaitement un Logsailor encore plus décousu dont les chœurs hurlés, hachés menu et répétés à l’envie entrent à grands coups de marteau dans la boîte crânienne pour s’y inscrire durablement. Rien à voir avec le court et magnifique ...And The Snow Still Falls qui rompt un peu avec cette entame charpentée, préférant explorer la voie du recueillement et de l’introspection. Une mélodie à tomber, des arrangements à pleurer. Car n’oublions pas que The Somnambulist peut se targuer d’un sens de la composition que bien peu possèdent de ce côté-ci de ces contrées musicales-là. Inutile de se lancer dans la description de chacun de ces huit titres puisque cela n’a jamais eu le moindre intérêt. Et pourtant la tentation est grande ! On s’autorisera toutefois à citer le long titre éponyme où le groupe lâche les amarres et se lance dans une exploration tous azimuts des possibles attachés à sa condition de trio. On s’arrêtera aussi le temps d’une phrase sur le très classe A Daisy Field qui accueille la voix d’Albertine Sarges offrant un contrepoint délicieux aux accents caverneux de Marco Biancardi. Et puisqu’on en est là et qu’il ne reste que deux morceaux, poussons un peu plus loin et posons aussi quelques mots sur Steam et sa curieuse répétition qui donne l’impression que le disque bégaye. Il ne reste alors plus que le magnifique Monday Morning Carnage, un titre qui convoque carrément le Mercury Rev des tout débuts, celui du premier EP - Car Wash Hair - et son Untitled répétitif et abstrait d’une demi-heure avec lequel cette ultime piste montre quelques accointances. On peut alors bien se relire et s’avouer que l’on a un peu triché mais c’est qu’en même temps, ce disque mérite tellement plus que quelques lignes ou en tout cas toute votre attention. D’autant plus que le trio a mis les petits plats dans les grands en convoquant nombre d’invités qui viennent remarquablement étoffer leur palette musicale déjà singulière en soi sans la dénaturer, preuve que le groupe montre une belle personnalité. Des arrangements sans doute plus denses que sur le précédent, ce qui explique une adhésion différée mais sans pour autant sacrifier l’efficacité sur l’autel de la complexité.
Dépourvu de la moindre once de graisse, tenant la ligne d’une musique qui frappe avant tout par sa grande curiosité et qui n’hésite pas à injecter dans sa mixture des accents issus de tous horizons, Sophia Verloren est un parfait condensé de rock intelligent et fureteur qui marche surtout à l’intuition. Un truc félin aussi à l’aise dans l’attaque que dans l’esquive. Avec toujours ce supplément d’âme qui fait toute la différence. Et puis surtout, le groupe n’en fait jamais trop, y compris lorsque les morceaux divaguent et prennent leur temps. Pas un temps mort, rien d’inutile, le puzzle s’assemble consciencieusement, implacablement, sans coup férir et la machine ne faiblit jamais. Il ne reste bien plus alors qu’à suivre les pérégrinations du violon de Rafael Bord, des peaux de Marcello S. Busato, de la guitare et de la voix capiteuse de Marco Biancardi le long d’une carte mentale qu’ils tracent devant nous d’un titre à l’autre, d’une émotion à l’autre, d’un territoire à l’autre. Retracer du bout des doigts les nœuds et les branches qui dessinent un réseau extrêmement dense donnant à Sophia Verloren toute sa richesse. Libre et sans concession, The Somnambulist enveloppe de son ombre racée un beau moment de musique qui s’insinue et hante la boîte crânienne dès qu’il est lancé et la hante encore bien après qu’il se soit tu.
Intense.
Et beau.
Quelques autres titres en écoute sur le bandcamp de The Somnambulist.
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Premier album d’un trio cosmopolite, Moda Borderline sied parfaitement aux musiciens aguerris de The Somnambulist : une musique qui se joue des frontières et des chapelles, élégante et captivante.
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