Sparklehorse - Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain
Enfin, 5 ans après le magique It’s A Wonderful Life, Sparklehorse s’est décidé à sortir un nouvel album ! Tout le monde l’attendait comme le messie, ce fameux Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain, s’imaginant déjà tout tourneboulé par les nouveaux tours qu’allait prendre la musique de Mark Linkous... alors oui, forcément, tout le monde a été plus ou moins déçu sur le moment. D’où l’intérêt de prendre un peu de recul pour en parler...
1. Don’t Take My Sunshine Away
2. Getting It Wrong
3. Shade And Honey
4. See The Light
5. Return To Me
6. Some Sweet Day
7. Ghost In The Sky
8. Mountains
9. Morning Hollow
10. It’s Not So Hard
11. Knives Of Summertime
12. Dreamt For Lightyears In The Belly Of A Mountain
Une écoute plus tard, un oeil sur la pochette, un peu refroidi, on se dit qu’elle ne pourrait mieux résumer l’album : le masque de clown de Vivadixiesubmarinetransmissionplot, l’oiseau de Good Morning Spider et les fleurs de It’s A Wonderful Life, nous avons bel et bien affaire à un retour vers le passé. Une compilation plutôt qu’un véritable album construit ? A l’instar du magnifique Morning Hollow, plus belle réussite du disque déjà présente à l’identique en bonus track du précédent, Mark Linkous avoue volontiers qu’il aurait exhumé de vieilles chansons du placard pour les retravailler tout seul ou avec ses collaborateurs... Alors, c’est tout ? Une simple redite, belle mais anecdotique, ce Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain, pourtant si longuement espéré comme un nouveau chef-d’oeuvre ?... Difficile à croire... une nouvelle écoute contemplative s’impose.
Tout en faisant glisser mon regard du lumineux single d’ouverture à l’émouvant Getting It Wrong, je recule d’un pas, et mon dos heurte quelque chose de grand... je me retourne : tiens, c’est At War With The Mystics, le dernier album des Flaming Lips ! Ainsi il n’était pas bien loin... Alors même que la rupture bruitiste au vocoder sur Don’t Take My Sunshine Away (où sévit justement Stephen Drozd, batteur des... Flaming Lips) m’a rappelé The Yeah Yeah Yeah Song, en arrivant à Getting It Wrong c’est à Goin’ On que je pense : cette même fragilité dans la voix, cette même douceur mélancolique... dans les deux cas la richesse et l’épure vont de paire. Certes Getting It Wrong, plus minimaliste et effacé, souffre forcément d’une telle comparaison, mais je n’en demeure pas moins touché.
En prenant encore un peu de recul, quelque chose sur la pochette de l’album me saute aux yeux : sur ce montage, le masque de clown regarde fleurs, oiseau et autres petits animaux à travers une fenêtre... Le reflet d’un sentiment d’emprisonnement ? Linkous serait, paraît-il, quasiment resté cloîtré chez lui depuis le 11 septembre 2001... Toutefois, en repensant à l’impression première que la pochette nous avait donnée, ça peut sembler plus complexe : et s’il contemplait son passé, justement ? L’enfant sous la couronne, ne serait-ce pas lui-même, composé de tous ces éléments du passé et du présent ? Observant d’autres éléments qui désormais ne font plus partie de lui ? Regarderait-il avec nostalgie l’insouciance qui le berçait alors ? Mélancolique, chérissant ses souvenirs avec la certitude de ne jamais pouvoir en reconstruire de tels ? Ou au contraire, avec l’impatience de renouer bientôt avec ce bonheur perdu ?... L’album semble hésiter entre ces deux réponses, tantôt hors du monde, tantôt plein de candeur et d’espoir... Il ressemble en tous points au masque : ce qui se passe derrière ne se voit pas forcément à la surface. Ainsi, renseignements pris, Some Sweet Day, pourtant la chanson la plus douce et apaisée de l’album, aurait été écrite il y a longtemps par Mark Linkous pour sa première petite amie, récemment décédée : là où il y a de la lumière, il y a forcément de l’ombre...
Un pas de plus en arrière et je suis justement dans l’ombre : celle d’un géant, Dave Fridmann, membre de Mercury Rev dont il produit par ailleurs les disques, de même que ceux des Flaming Lips. Omniprésent sur It’s A Wonderful Life, il n’est plus crédité ici que sur cinq morceaux seulement (parmi lesquels ceux d’ouverture et de clôture, Don’t Take My Sunshine Away et Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain) mais n’en irradie pas moins le plus gros de l’album de son influence plus ou moins directe. Toutefois, l’ampleur de production d’ It’s A Wonderful Life ne se ressent véritablement ici que sur Morning Hollow, issu des mêmes sessions : Linkous a semble-t-il tenté de s’affranchir de cette influence, ne réussissant malheureusement qu’à perdre en profondeur sonore pour au final ne parvenir à s’en détacher vraiment que sur une poignée de chansons. Sur Shade And Honey par exemple, où Linkous est seul crédité, les cordes et claviers typiques des productions de Fridmann n’en sont pas moins toujours là, à l’identique, mais sans cette formidable capacité à envelopper l’âme de l’auditeur pour le plonger tout entier dans la mélancolie d’un rêve doux-amer.
Mais alors que résonne Mountains, le géant s’éloigne à grands pas et son ombre se retire lentement, en révélant une autre, plus discrète : celle de Danger Mouse, producteur à la créativité débridée (Gorillaz, Gnarls Barkley). C’est lui qui aurait donné envie à Linkous de se plonger dans ses tiroirs à la recherche de pépites potentielles encore inexploitées, et peut-être bien lui encore qui aura permis à l’homme derrière Sparklehorse d’exprimer sans artifice la peine et la foi mêlées d’un Return To Me dans un tel dénuement, si douloureusement touchant. Et pourtant jusqu’ici on ne le voyait pas : cette discrétion peu coutumière, venait-elle également de l’ombre de Fridmann (ce qui expliquerait au moins en partie le peu d’influence visible de Danger Mouse sur Don’t Take My Sunshine Away, co-produit par les deux hommes) ? A moins que Danger Mouse n’ait été là que pour servir humblement le projet, appelé dès le début à ne pas s’imposer de trop ou au contraire s’effaçant peu à peu devant la personnalité de Linkous ? Sitôt après Mountains, le géant revient et la souris disparaît de nouveau, cette fois pour de bon... On ne lui en veut pas : elle aura pour le moins aidé à accoucher d’une petite montagne.
Alors que je m’éloigne moi aussi peu à peu, un oiseau au visage d’ange me survole comme au ralenti, inondant l’espace d’un rayon de lumière. Son chant, déjà entendu sur It’s A Wonderful Life aux côtés d’autres tout aussi profonds et apaisants, fait naître l’espoir sur son chemin. C’est celui de Sophie Michalitsianos, qui se cache elle-même par ailleurs derrière le groupe Sol Seppy. "Please don’t take my sunshine away", chante-t-elle aux côtés de Mark Linkous, avant d’illuminer le doux Morning Hollow. Mais l’oiseau n’est pas tout seul, d’autres créatures bienveillantes s’agitent gracieusement autour de cet album : le claviériste et électronicien Scott Minor, membre à part entière de Sparklehorse trop souvent ignoré des auditeurs tant son minutieux travail d’arrangement allie la discrétion à l’élégance, John Parish, vieux compagnon multi-instrumentiste ici co-producteur avec Dave Fridmann du morceau-fleuve clôturant l’album... et un lutin au visage buriné bien connu des piliers de bar, officiant au piano sur Morning Hollow... Tom Waits. Entraîné par tout ce joli monde, je continue mon bonhomme de chemin, et je ne vois plus le temps passer.
Je recule, je recule, et mine de rien à force de reculer je ne sais plus du tout où je vais... et ça tombe plutôt bien, car Mark Linkous non plus, on dirait. Il semble ne pas y avoir de vraie unité de ton dans cet album, qui emprunte le leur à ses prédécesseurs : tantôt mélancolique, tantôt lumineux, tantôt un peu énervé (le très réussi Ghost In The Sky, dans l’esprit des duos de Linkous avec PJ Harvey sur It’s A Wonderful Life ), tantôt pleinement apaisé (See The Light). Et pourtant non, finalement ça n’a rien d’une redite, et c’est même avant tout par ce côté désuni que Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain marque sa différence : Mark Linkous a ressorti son passé des tiroirs... En est-il arrivé à une période de sa vie où les questionnements surgissent de plus belle et avec eux des fantômes plus ou moins agréables ? Se sent-il balloté entre mélancolie et paix intérieure, entre envie d’être heureux et propension à ne jamais l’être vraiment ?
Oui, on recule, on recule, et finalement on s’envole pour flotter au rythme éthéré de la chanson-titre, douce épopée finale au travers des résidus de souvenirs d’un passé qui semble désormais à moitié révolu. D’ailleurs, contrairement à It’s A Wonderful Life, où s’opposaient non sans logique des sentiments contradictoires, ce nouveau Sparklehorse, plus dispersé, ne connait jamais pour autant de réels accents de rage, de désespoir ou de désillusion : Mark Linkous aurait-il enfin fait un pas vers le bonheur ?
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