House Of Low Culture - Poisoned Soil
Pas facile facile la musique d’House Of Low Culture. Autarcique, sèche et pas vraiment gaie. Pourtant, pour peu que l’on accepte d’y risquer une oreille, on finit par y découvrir des recoins étrangement accueillants.
1. Spoiled Fruits Of The Kingdom
2. The Ladder That Leads To Nowhere
3. Inappropriate Body
Deux titres de quinze minutes chacun, un titre de vingt. Des chœurs élégiaques et habités, mystiques même, des nappes aiguës, d’autres profondes, des frottements indéterminés qui rappellent de loin l’orage qui gronde, des notes parcimonieuses et ténues qui déroulent une mélodie bien évidemment contemplative étant donné l’extrême lenteur de l’ensemble et puis cette voix étouffée, trafiquée et menaçante. Ces moments paroxystiques où tous les bruits se confrontent et ceux où au contraire ne subsistent que les cordes d’une guitare ou le filet d’une voix dans une dynamique absolument imprévisible. Comme si rien n’était construit et dans le même temps, tout était écrit : difficile de ne pas voir une part d’improvisation là-dedans. Pourtant, il faut bien avouer que la dynamique des morceaux est tellement juste, tombe tellement bien, qu’elle ne peut-être que le fruit d’une réflexion importante. Bref, Poisoned Soil, c’est un petit peu tout et son contraire. À la fois extrêmement aride – absolument rien là-dedans ne permettra à l’auditeur de trouver ses marques et rien ne le caressera dans le sens du poil – et luxuriant – on y trouve une telle profusion de détails qu’il y a de quoi explorer longtemps. On a l’impression d’avoir déjà entendu cela mille fois mais, on en est absolument certain, jamais de cette façon-là.
Comme bien souvent avec la musique drone, les repères s’effacent. Quand le morceau a-t-il débuté ? Il y a une minute ? Quinze plutôt ? Ce que l’on sait, c’est que tout cela passe extrêmement vite et que les multiples changements de direction font que ne s’y ennuie jamais. Un bon milliard d’idées au creux de chaque pièce, des directions tout aussi nombreuses. Mais dans la cohérence. On ne peut pas confondre un titre avec un autre et dans le même temps, on ne sait pas quand on passe de l’un à l’autre. On y entend du Master Musicians Of Bukkake, des poussières d’Isis aussi, des fragments de Sunn O))) et même du chant grégorien et le tout avec ce spleen superbe, communicatif et paradoxalement très accueillant. On pourra toujours dire que cette musique est avant tout cérébrale, dire qu’elle a beaucoup de points communs avec ce rock progressif de sinistre mémoire, décrire le braillement de la voix à une minute quarante-cinq vite rejoint par un cliquetis inquiétant à deux minutes mais non, aucun risque de ce côté-là : oui, effectivement cette musique est cérébrale mais aussi, et avant tout, instinctive et sauvage ! Comme si l’animal qui sommeille en nous était analysé pour mieux le faire hurler… C’est assez curieux, ce mélange des genres, cet effacement consciencieux des frontières : les tripes dans la tête, les neurones dans le ventre. Cette impression enfin d’une bande-son primitive extrêmement pensée.
À ce petit jeu-là, Aaron Turner n’est pas le plus malhabile, son disque est même une réussite totale. Accompagné de sa compagne, Faith Coloccia (plus connue pour son projet Mamiffer) et de B.R.A.D. (Asva, Burning Witch ou encore Master Musicians Of Bukkake, tiens, tiens !) aux percussions, le trio avance à l’instinct et délivre une musique minérale jouée près de l’os. On y trouve des moments très cinématographiques, comme les premières secondes d’Inappropiate Body par exemple et son fourmillement de cordes, comme si le titre racontait les aventures d’un insecte se baladant sur les os d’un cadavre, ce genre. Car oui, les pensées sont plutôt noires, l’atmosphère loin d’être solaire, elle fait plutôt écho à ce qu’il se passe sous terre, à ce que l’on ne voit pas mais que l’on devine, elle suinte l’inquiétude, traduit parfaitement l’angoisse mais pour autant n’est pas réservée aux dépressifs de tout poil… Comme on peut aussi être happé par un film de Murnau sans avoir la moindre envie de se complaire dans ses idées noires mais parce que la force des images nous touche simplement. C’est un peu ce qu’il se passe ici : les chœurs presque liturgiques de House Of Low Culture restent saisissants et nul n’est besoin d’être porté sur la musique médiévale ou les chants grégoriens pour pouvoir les apprécier, les changements de directions multiples font sens alors qu’on peut aussi aimer les constructions plus classiques. Le disque n’est pas destiné qu’aux initiés qui seraient les seuls susceptibles de « comprendre ». D’abord, parce qu’il n’y a sans doute rien à comprendre et ensuite parce qu’avec un peu de curiosité, on peut très bien s’accaparer Poisoned Soil, les ambiances qu’il offre étant suffisamment magnifiques et prenantes pour que chacun y trouve son compte.
Bien évidemment, cette musique-là est à mille lieues de celle d’Isis. On y retrouve toutefois cette même construction, le calme qui précède la tempête mais avec une dynamique étirée jusqu’à l’extrême limite, un mille-feuille d’émotions pourvues par ces bandes trafiquées, la nature en arrière-plan, la roche sous-jacente. Et sans une once de gras. On y trouvera certainement quelques longueurs aussi mais dans le même temps, l’ensemble est à tel point sincère et cohérent que ces petites réserves s’effacent vite devant sa majesté. Depuis ses débuts en 2000 avec Submarine Immersion Techniques Vol. 1, l’entité House Of Low Culture n’a cessé d’évoluer au gré des rencontres et des participants, enrichissant petit à petit sa palette musicale et son répertoire d’émotions tout en restant dans l’ombre d’Isis. Maintenant que ce dernier n’est plus, il y a fort à parier qu’Aaron Turner pousse son projet sur le devant de la scène et s’il continue à sortir des albums de cette trempe, on ne peut que lui en savoir gré.
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