Chapelier Fou - Invisible
613 était l’espoir, symbolisé par ce nombre invariable de graines que contient une grenade, porteuses de fécondité comme de vie. Invisible est le fruit légèrement plus âcre des envies de Chapelier Fou. Les dédales lumineux dans lesquels se perdait son premier album sont désormais obscurcis de-ci de-là par de nouvelles branches fulminantes. Et les fruits qui y pendent annoncent une saveur désormais plus acide que sucrée. Plus complexe aussi.
1. Shunde’s Bronx
2. Cyclope & Othello
3. Vessel Arches (feat. Gérald Kurdian)
4. Fritz Lang
5. L’eau qui dort
6. Le Tricot
7. Protest
8. P Magister
9. Moth, Flame (feat. Matt Elliott)
Les bricolages sonores raffinés de Louis Warynski, alias Chapelier Fou, n’ont eu de cesse de se justifier d’eux-mêmes sur les trois maxis ( Darling, Darling, Darling... , Scandale ! , Al Abama ) et l’album que le Messin a déjà soumis à son public. Quatre pièces bercées d’une folktronica subtile et joueuse, insouciante sans jamais être naïve. Mais Invisible n’est pas de cet acabit. En prenant le parti de sensibiliser sa musique encore plus aux sensations concrètes qui l’entourent, Chapelier Fou passe un pied du côté de la folie noire. Finies les boucles, le son est plus évasif, et l’intention est cisaillée et plus acérée, par des compositions ouvertes et changeantes. Il n’écarte cependant en rien l’optimisme rayonnant de ses précédents travaux. Il le nuance plutôt, l’habille de ses expériences et des couleurs du monde qu’il a parcouru grâce à ses tournées : on sent vite qu’ Invisible se cache sous l’écorce d’un optimisme plus humanisé qu’auparavant.
Ce nouvel essai n’abandonne ainsi pas les mélodies poétiques qui ont mis sous la lumière son auteur. Les résurgences harmoniques des cordes se font en fait touche par touches, et Chapelier Fou n’absout définitivement pas ses compositions de la tendresse du son de ses instruments, dont le frottement et le pincement des cordes sont furtivement caressés par la rondeur des beats. Jamais agressifs, jamais lâches, les coups portés par ce sculpteur de sons sont embaumants, bien que saisissants. Mais quoi qu’il en soit, Cyclope & Othello reprend tout de même rapidement le violon puis la guitare pour mieux en vriller les plaintes sonores : comme s’il fallait conjurer l’optimisme béat de 613, les instruments réalisent leur chant du cygne avant de se muer en cassandres musicales, prêtes à prêcher ce en quoi plus personne ne veut (n’ose ?) croire. Trois premiers morceaux, de Shunde’s Bronx jusqu’au Vessel Arches où Gérald Kurdian pose sa voix pour un titre étonnamment groovy, qui installent une atmosphère enfumée et déjà pressante. Fritz Lang reste toutefois un modèle du genre, enfin, quel genre si ce n’est celui, dédié, de l’artiste chapeauté : tandis qu’une mélodie vous tient liés mains et pieds, l’électronique s’immisce progressivement pour retravailler le jeu trop propre d’un élève du conservatoire. Enchanteur.
Pourtant, après L’eau qui dort, ballade qui devient vite électrisée et hyperactive, Invisible perd soudain en route de sa teneur quand Le Tricot vient assoupir doutes et intrigue qui planaient jusque là, par un pianotement essoufflé qui sonne comme une fausse fin. Mais à la faveur des saccades qui fouettent le fougueux Protest, Invisible libère finalement sa pulpe la plus virginale. C’est ingénieux, et le Chapelier Fou ne se permettra plus d’égarer son auditeur. De quoi paver la voie à P Magister, pièce protéiforme à la texture impeccable et à la précision géniale. Glissements, raclements, battements sourds ou vifs, l’agilité et la dextérité de l’artiste bluffent par leur profondeur d’action. Chapelier Fou n’est pas qu’un beatmaker, mais il sait honorer ce talent de la façon la plus soignée qui soit. Plutôt magicien dans l’âme, il ne perd enfin pas l’occasion de reconvoquer son ami Matt Elliott sur Moth, Flame (il était déjà présent sur le morceau Half of the Time de 613 ), couronnant à la fois l’obscur et la complexité de l’album. Sous l’office d’un piano sanglotant et de quelques sursauts glitch, la noirceur s’impose par cette composition fataliste et fluctuante, sur laquelle pèse la voix caverneuse du fondateur de The Third Eye Foundation.
Invisible est un album dont les visages multiples se retrouvent tant au travers du kaléidoscope que suggèrent ses neufs pochettes que dans ses variations mélodiques. L’horizon irisé de l’artiste messin est pluriel, même si celui-ci se fait toujours plus tranchant quand il tombe dans la pénombre. Il serait inélégant de dire que Chapelier Fou a grandi, car 613 augurait déjà une grande maturité dans les textures et leur mise en perspective. À l’instar de ses pochettes, Invisible se mêle plutôt d’un noir évocateur qui vient border des formes aux couleurs et perspectives assez universelles pour atteindre directement les émotions humaines. Quand on écoute Chapelier Fou, comment alors ne pas être tenté, pour reprendre un autre conte onirique que celui de Lewis Carroll, de répéter qu’« on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »
Allez, 20 de plus, on approche du sommet ! L’ascension se poursuit, tantôt ardue, tantôt étonnamment aisée. Ça groove tout de même pas mal dans cette sélection, ça chante un peu aussi, on prend des forces avant la dernière montée, pour laquelle il faudra probablement sortir les mousquetons. Un parcours, quoi qu’il en soit, qu’il faudrait avoir fait au (...)
Il est rare que l’on mette en avant des compilations dans le streaming du jour. Néanmoins, il aurait été dommage de ne pas relayer ce projet intitulé A L’Est Du Nouveau dont la particularité est que les dix-huit artistes sont Lorrains.
Au fond, qu’y a-t-il de plus beau que des arrangements de cordes qui épousent des beats virevoltants ? Alors même qu’elle n’en attend aucune, la question pourrait amener beaucoup de réponses et davantage encore de débats.
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