The Skull Defekts - Peer Amid
Sur Peer Amid, le cerveau en ébullition de The Skull Defekts trouve sa voix, à tous les niveaux.
1. Peer Amid
2. No More Always
3. Gospel Of The Skull
4. The Silver River
5. In Majestic Drag
6. Fragrant Nimbus
7. What Knives, What Birds
8. Join The True
Pas vraiment les premiers venus, The Skull Defekts. Une avalanche d’albums et d’EP depuis 2005, sans compter les multiples collaborations et projets annexes de ces singuliers Suédois, touchant à des genres très différents. Portés sur l’abstract et l’électronique terroriste à leur début, comme sur Open The Gates Of Mimer (2005) par exemple, avec son unique titre de 55 minutes qui voyait le groupe, alors trio (le noyau dur constitué de Henrik Rylander et Joachim Nordwall plus Thomas Ekelund à ce moment-là), collaborer avec le terrifiant Lasse Marhaug pour une pièce fondamentalement expérimentale et noise mélangeant bidouillages électroniques, feedback et guitares gorgées de fuzz. En revanche, un album comme The Black Hand (2007) furetait plutôt du côté du drone synthétique alors que Blood Spirits And Drums Are Singing (2007) marquait l’arrivée du chant dans leurs compositions aux beats répétitifs pour un résultat franchement rock et incisif quand ils s’essayaient à l’électronique froide et au glitch sur Skkull (2007 encore). En 2008, The Temple était déjà gorgé de tout cela, noise et tribal à la fois, synthétique et psychédélique avec pas mal de velléités expérimentales et l’on pensait alors que le groupe, ayant réussi à synthétiser la somme de ses influences et expériences glanées au cours de son parcours déjà riche, avait atteint l’harmonie, le point d’équilibre tant recherché, celui à partir duquel il ne peut plus y avoir évolution mais simplement répétition. Un bel album, incontestablement, mais comme on se trompait. Il ne pouvait laisser présager de la réussite totale que constitue Peer Amid.
Après de multiples mues, la chrysalide s’est rompue, le papillon noir vient d’apparaître et il est du genre sidérant.
L’une des explications à ce pas inattendu en avant est sans doute à chercher du côté du line-up. Le même en fait que sur The Temple, toujours Henrik Rylander (batterie, électronique) et Joachim Nordwall (guitare, voix et synthétiseurs analogiques) associés à Jean-Louis Huhta (percussions, effets et électronique) et Daniel Fagerstroem (guitare, voix et électronique), c’est-à-dire celui qui œuvre derrière The Skull Defekts depuis 2007. Mais aussi sur Peer Amid, le frontman des vétérans post-hardcore (pour faire vite) de Lungfish : Daniel Higgs. Et l’on se dit, à entendre la confrontation vraiment jubilatoire des cordes vocales de l’Américain aux paysages sonores érigés par les Suédois, que ce qu’il manquait incontestablement au groupe sur son opus précédent, c’était tout simplement une voix. Mais attention, pas n’importe laquelle, il fallait absolument qu’elle soit du type de celle de Daniel Higgs, une voix de goule possédée, très particulière, déclamatoire, chamanique, légèrement grandiloquente, une voix impressionnante et vraiment parfaite.
Peer Amid débute d’ailleurs par son cri étranglé et plante le décors sans attendre et sans pincettes : Daniel Higgs déclame tranquillement ses tirades, un peu comme si Ian Curtis avait bouffé Iggy Pop (à moins que ça ne soit l’inverse), sur une rythmique parfaite et tendue qui ne s’arrête jamais, très répétitive, un rouleau compresseur inquiet et tribal empli d’explosions de guitares sales en contrepoint du refrain avant qu’une multitude d’effets inquiétants et telluriques n’emplissent le morceau. Une entame qui prend à la gorge sur plus de neuf minutes et soyez prévenus : le groupe ne relâchera pas son étreinte avant la dernière note finale du disque. En revanche, tout en continuant à serrer ses doigts autour de votre cou, il vous fera également passer par monts et par vaux, vous baladera comme un pauvre pantin désarticulé le long de singuliers paysages, de morceaux noise furibards aux guitares désaccordées en longues digressions où il se montre plus expérimental et rappelle son parcours de groupe en pleine possession de ses moyens. Autant dire que l’on entre dans ce disque sans vraiment s’attendre à être happé de la sorte dès les premières secondes. La discordance de No More Always qui suit ce sidérant Peer Amid en ouverture est absolument jouissive : un riff de guitare efficace qui s’ancre dans une ossature finalement très rock’n’roll et Daniel Higgs qui plane toujours là-haut comme un rapace, répétant son mantra à l’envie, « nobody nothing nowhere no more ». Tout est dit en moins de cinq minutes et c’est absolument parfait. Le tendu, minimaliste et à peine plus long Gospel Of Skull est dans la lignée directe des deux titres précédents puis le groupe décide de ménager l’auditeur en desserrant légèrement son étreinte permettant une courte respiration avec The Silver River, un drone tribal façon chorale religieuse mais possédée et dangereuse qui s’égaye sur trois notes tranquilles et inquiètes à la fois.
À partir de ce moment-là, Peer Amid délaisse son registre noise rock hypnotique et décide d’aller voir ailleurs : travail sur les rythmes pour In Majestic Drag à la coloration on ne peut plus africaine et dynamique mouvante pour Fragrant Nimbus, morceau d’abord carré qui se meut en autre chose, progressivement, sans que l’on s’en rende bien compte, la rythmique gagne lentement en vélocité puis explose à trois minutes jusqu’à ce que toutes les fréquences soient occupées, la voix disparaît et laisse la place aux guitares sales et débordantes rehaussées de quelques vocalises pendant les quelques minutes qui amènent à l’épilogue du morceau, nous laissant pantelants sur le bord la route. Il est bien évident que The Skull Defekts ne nous veut pas que du bien comme il est évident que nous sommes un brin masochistes. Ça tombe bien, ils n’attendaient que ça et balancent les stridences de What Knives, What Birds, un chapelet de sons et d’effets malaisés pas si éloigné que ça de Whitehouse, en plus civilisé toutefois et avec un ersatz de mélodie qu’il faut bien chercher certes, mais qui est bel et bien là. Tribal, sauvage avec toujours ces saveurs africaines et cette guitare aux notes aiguës qui ne s’arrête jamais. Un côté expérimental un peu vain peut-être mais néanmoins parfaitement exécuté, comme un The Fall possédé par les tambours de l’Afrique. L’album se termine par Join The True qui retrouve les ambiances des trois premiers morceaux puis le disque s’arrête, le groupe se relâche et avec lui, ses doigts. On respire enfin. Et sans attendre, on y revient. En mal de transe et de stridences.
Et à bien y regarder, sur la pochette que l’on doit à Frederik Söderberg (tout comme celle de The Temple ou encore du dernier Junip) représentant « an image of the sound of The Skull Defekts - the circle of sound », le serpent ne se mord pas du tout la queue.
Absolument brillant.
On ne va pas se mentir, l’exercice est toujours difficile, surtout quand on écoute 800 albums par an déjà triés sur le volet. Mais chaque année, ça se complique encore un peu... de fil en aiguille, d’une connexion à l’autre, de labels sortis de l’ombre en artistes émergents, les découvertes nous submergent et de nouveaux horizons s’ouvrent à nous, sans (...)
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