Earth - Angels Of Darkness, Demons Of Light I
Trois ans après The Bees Made Honey In The Lion’s Skull, Earth, le cultissime groupe de drone de Seattle et son leader Dylan Carlson reviennent. Impressions.
1. Old Black
2. Father Midnight
3. Descent To The Zenith
4. Hell’s Winter
5. Angels of Darkness, Demons of Light I
Angels Of Darkness, Demons Of Lights I a été annoncé comme « puisant son inspiration dans le groupe touareg nord-africain Tinariwen ». Voilà qui interroge énormément. De nous deux, il s’avère par exemple que l’un n’est pas attiré plus que ça par la World Music et en plus, après quelques écoutes de ces derniers, il a bien fallu qu’il se rende à l’évidence : il est assez imperméable au blues berbère. L’autre, en revanche, aime bien Tinariwen, même si, de son propre aveu, il n’écoute pas ça tous les jours mais surtout, il se demandait bien comment l’univers très personnel de Earth allait pouvoir s’accommoder de celui, également singulier, des Touaregs. Rassurons les angoissés de nature (qui ne manqueront pas de pulluler parmi les fans de Earth), l’apport du collectif originaire de l’Adrar des Ifoghas a été tellement passé à la moulinette que bien malin celui qui arrivera à en repérer les influences sans avoir été prévenu à l’avance. Ici, le blues touareg prend des accents de drone chamanique.
Bien que plus connu pour ses relations avec un blondinet légendaire, soi-disant inventeur du grunge et à la fin tragique, Dylan Carlson est pour certains l’homme qui a donné au drone une vraie profondeur artistique. Il est vrai que la discographie complète de son groupe Earth est d’une qualité rare, jamais démentie et en constante mutation. Le géant du drone revient donc avec un énième line-up, annonçant encore de la nouveauté. Si Dylan Carlson a gardé Adrienne Davies à la batterie, il s’acoquine cette fois avec le multi-instrumentiste Karl Blau (repéré chez les Microphones de Phil Elverum) et la violoncelliste Lori Goldston (dont les collaborations seraient trop longues à lister ici) pour nous offrir Angels of Darkness, Demons Of Light I.
Depuis Hex : Or Printing In The Infernal Method, les productions du groupe sont devenues indéniablement moins violentes, pesantes et bien plus contemplatives, laissant certains fans de leurs débuts un peu dépités. Ce nouvel opus devrait quelque peu réconcilier l’artiste avec ces derniers. En effet, bien que Earth continue à explorer les voies mystérieuses d’un drone épique et transcendant aux forts accents de folklore post-apocalyptique, il effectue également quelques retours aux sources, en particulier dans l’utilisation de sonorités de guitare plus électriques et épaisses et en confiant la production de cet album à Stuart Hallerman (déjà présent sur les trois premiers albums). Alors où se situe Earth avec Angels of Darkness, Demons Of Light I ? Se retourne-t-il sur son passé ? Fixe-t-il la ligne d’horizon ? Entre les deux ? Tentative de réponse.
Dès Old Black, le violoncelle de Lori Goldston impose sa patte et renforce efficacement toute la plénitude minimaliste suggérée par une guitare lumineuse qui égrène ses notes au ralenti. La rythmique est au diapason, bien présente mais discrète comme si elle avait peur de détruire le fragile édifice de ce morceau aux accents americana baignés de psychédélisme, propice à l’introspection même lorsque les cordes s’énervent sur sa fin. Une ambiance renforcée par le second titre, parfaitement hypnotique lui aussi, les notes d’abord répétitives de Dylan Carlson s’étirent, semblent prendre du poids petit à petit et finissent par s’égayer en divagations tranquilles vers le milieu du morceau, portées tout du long par les drones majestueux du violoncelle qui trace une route parallèle à celle de la guitare, marchant droit devant, déterminé, lui offrant une épaule large et solide lorsque celle-ci furète, explore et dessine des méandres flous avant de doucement retrouver son chemin et clore ainsi le morceau comme il avait commencé, dans l’indolence la plus totale. Avec Descent To The Zenith, les ambiances construites par les deux premiers longs morceaux mutent insidieusement et cette fois-ci, on n’a plus vraiment l’impression que c’est la seule guitare de Dylan Carlson qui indique aux autres instruments le chemin qu’ils doivent suivre. D’ailleurs, c’est d’abord la batterie qui se fait entendre. Le violoncelle est toujours là, mais bien plus lointain et c’est plutôt la basse cette fois-ci qui mène la danse. Bien plus volubile et en avant qu’elle ne l’a été jusqu’ici, elle impose son rythme et son humeur à ses compagnons d’errance sans forcément réussir à s’imposer puisqu’à la toute fin, la guitare reprend les rênes et se pare d’effets qui précipitent le morceau vers son dénouement. L’entame de Hell’s Winter voit d’ailleurs tous les instruments faire jeu égal, la batterie claque, le violoncelle gronde, la basse se fait plus caoutchouteuse, enveloppant le morceau dans un cocon de fréquences lourdes mais finalement la guitare s’impose à nouveau et tout le reste s’adapte pour en suivre les méandres torturés et solennels puis finit par se calmer irrémédiablement pour les vingt minutes contemplatives du morceau final qui donne son titre à l’album. La transe s’installe, les repères s’effacent lentement. Une marche en plein désert, des hallucinations plein la tête, sans trop savoir pourquoi on avance ni vers quoi, si ce n’est que l’on est sûr de devoir le faire, le soleil dans les yeux, un bourdon constant au creux de l’oreille. Dans un état second. Hébété.
Ne vous attendez donc pas à une réapparition du drone distordu et torturé de Earth 2, on reste très clairement dans la lignée instrumentale et intime de The Bees Made Honey In The Lion’s Skull et dans une musique toute en torpeur et retenue mais qui ne s’est jamais montrée aussi minimaliste. Angels of Darkness, Demons Of Light I, c’est un peu l’étape ultime de la mutation de Earth au delà de laquelle rien ne saurait subsister, les morceaux n’ont plus vraiment de structure, ou plutôt si, ils en ont bien une que l’on a essayé de détailler mais on voit bien comme cela reste difficile. Tout est diffus, tout s’efface, les contours sont flous et s’estompent dangereusement. Avec cet album, on a l’impression que Dylan Carlson atteint l’épure et que l’on peut toucher du doigt la substance essentielle de Earth, son noyau central et atavique. Dès lors, nombre d’auditeurs pour qui cet opus représentera un cauchemar d’immobilisme risquent de rester sur le bord du chemin, pourtant pour peu qu’ils acceptent de se laisser happer, un long voyage intérieur les y attend. D’une lenteur extrême, autarcique et peu accueillant, Angels of Darkness, Demons Of Light I n’en demeure pas moins un grand disque de Earth et sa superbe pochette n’a certainement pas fini de nous hanter. Le groupe y dévoile l’une de ses facettes qui, bien que présente depuis ses débuts, n’a jamais été à ce point visible jusqu’ici : sa grande majesté.
Bref, l’hiver est encore là pour quelque temps et le « mythe Dylan Carlson », avec cet opus, n’est pas près de s’écrouler.
Earth interprète Old Black à Porto en mars 2009 et même si le line-up n’est pas le même, le morceau lui, n’a pas bougé.
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