Scorn - Refuse ; Start Fires
Cinq longues années séparaient Stealth de son prédécesseur et il était facile alors de penser qu’il n’y aurait plus d’autre album de Scorn. Dès lors, lorsque Refuse ; Start Fires débarque au mois de mai, presque sans crier gare, la surprise se mêle à l’appréhension : a-t-on encore besoin d’un nouvel album de Scorn aujourd’hui ? Réponse : oui... Plus que jamais !
1. LT94
2. Amroth
3. Insert Waggler
4. Then Woke
5. Take Someone’s Eye Out
6. Boot It
7. Rained On Her Birthday
8. Bear Felt Nowt
9. Hands
10. Beaked Point
11. Shitwind’s A-Coming
12. Look At That Bill
Refuse ; Start Fires est le quatorzième album de Scorn qui ne cache plus qu’une seule et même personne depuis la défection de Nicholas James Bullen parti juste après la sortie d’ Evanescence en 1995 : Michael John Harris.
Pas vraiment le premier venu, Mick Harris, batteur des mythiques Napalm Death (on lui attribue l’invention du blast beat, ce martèlement des caisses claires et des grosses caisses comparable au bruit rapide et violent que peut fournir quelque chose comme une mitrailleuse), LE groupe emblématique du grind qui comptait un certain Justin K. Broadrick et Nicholas J. Bullen (tiens donc) dans ses rangs originels, qu’il quitte en 1991 pour fonder Scorn.
Scorn n’a évidemment rien à voir avec le grind, si ce n’est sûrement un goût prononcé (et jamais pris à défaut depuis ses débuts) pour l’intransigeance. Ici, et à l’image du label qui sort Refuse ; Start Fires (Ohm Resistance), le leitmotiv est clairement le suivant : pas de compromis. Scorn continue à s’enfermer dans sa bulle imperméable et à construire sa musique loin de toutes velléités d’accessibilité ou de confort pour l’auditeur, creusant ses propres fondations – et sur ce disque aussi, celles d’un genre qu’il a contribué à façonner : le dubstep – inlassablement et, fidèle à son credo, sans la moindre concession.
Refuse ; Start Fires est un album impitoyable, froid, et complètement hermétique. Les drones sont sépulcraux et malsains, agrémentés d’un dédale de beats lents, lourds et crépusculaires, aux basses dub énormes, capable de décoller la peau des os et aux delays répétés, omniprésents, franchement incisifs et tranchants, de véritables coups de scalpel qui provoquent de multiples entailles dans le cerveau. Une musique qui s’entend mais surtout que le corps, littéralement, ressent.
Bien moins accessible que son dernier album de 2007, Stealth, mais peut-être aussi plus passionnant en particulier parce que ce nouvel opus voit Mick Harris enrichir sa mixture d’une vraie batterie enregistrée live qu’il réinjecte ensuite dans le mix (chose qu’il n’avait plus faite depuis Evanescence) sur sept titres parmi les douze que compte l’album et c’est une très bonne nouvelle. L’apport de Ian Treasey est fondamental et permet d’apporter une grande variété rythmique aux beats désolés d’Harris. La présence de cette batterie est sans doute même la seule aération dans la musique radicale que donne à entendre Refuse ; Start Fires.
Alors, bien sûr, décrit comme cela, il y a quatre-vingt-dix-neuf virgule tout un tas de neuf pour cent de chance que ce disque ait du mal à trouver quelques auditeurs et pourtant il serait vraiment dommage de s’arrêter à son aspect de prime abord revêche ou à ses énormes basses (on sent littéralement le caisson de basse lutter pour sa survie à l’écoute d’Amroth par exemple). Il faut absolument découper la surface sombre et caoutchouteuse de ces morceaux pour voir le travail d’orfèvre qu’elle recouvre. C’est particulièrement évident sur les sommets que constituent Beaked Point et ses incroyables delays qui lui permettent d’occuper tout l’espace ou Bear Felt Nowt aux fines cymbales s’égayant sur des nappes répétitives et incisives, et surtout le magnifique Shitwind’s A-Coming à la rythmique ouvertement jazz.
Chaque morceau fond dans le suivant selon une logique mûrement réfléchie et l’on passe allègrement d’un titre à la décontraction trompeuse (Then Woke) à de brutales déflagrations (Take Someone’s Eye Out) puis à des échos menaçants (Boot It) et ainsi de suite. Évidemment, point d’optimisme ici, Refuse ; Start Fires est certainement le disque le plus noir de Scorn, l’un des plus beaux depuis longtemps aussi, à ranger tout prêt d’ Evanescence (et de son petit frère Ellipsis), Gyral (on en trouve quelques réminiscences ici et là, en particulier sur Then Woke et Rained On Her Birthday) ou Logghi Barroghi – même si ce Scorn-ci n’a plus rien à voir avec celui de ces opus-là – voire de certains disques de The Third Eye Foundation.
On aura toujours du mal à qualifier la musique de Scorn, à la catégoriser. Dub industriel à l’épure hardcore ? Dubstep à la violence larvée ? Electronica désespérée ? Probablement tout cela à la fois. Parfaitement retranscrite par sa pochette, une tête casquée au regard d’ombre sur fond noir d’abîme, la musique exigeante de Refuse ; Start Fires reste une expérience auditive et plus généralement sensorielle dont on ne ressort pas complètement indemne.
Magnifique.
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