Noveller - Desert Fires
Plus que jamais attirée par l’exploration de son instrument de prédilection, voici venir Desert Fires, le nouvel album de Sarah Lipstate aka Noveller. Nous n’avions que trop peu parlé du précédent, Red Rainbows, réparons ce fâcheux oubli avec celui-ci. Et ça tombe bien, lui aussi est magnifique.
1. Almost Alright
2. Same
3. Kites Calm Desert Fires
4. Toothnest (for Chris Habib)
5. Three Windows Facing Three Doors
6. Fades
Noveller est avant tout un projet singulier car derrière cette entité, on ne trouve d’abord qu’une seule personne... et qu’un seul instrument : Sarah Lipstate, guitariste et réalisatrice (talentueuse) de courts métrages basée à Brooklyn, NYC. Singulier aussi parce que de ces longues divagations guitaristiques en clair-obscur sourd une beauté proprement confondante. Leur écoute interroge énormément : où Sarah est-elle allé pêcher son jeu si caractéristique ? Quel est son parcours ? Rembobinage rapide : on la croise une première fois au Texas où elle fut un temps membre de One Umbrella avec Carlos Villarreal, duo expérimental attiré par l’ambient et présenté comme un amalgame entre improvisations et compositions plus structurées, entre mélodies et bruit, puis, quelques années plus tard, à Brooklyn où elle intervient dans la Rhys Chatham’s Guitar Army, et également dans l’ensemble pour 100 guitares de Glenn Branca. Elle collabore également de 2008 à 2009 avec les azimutés Parts & Labor, puis Cold Cave ou encore avec Aidan Baker. Bref, son parcours montre qu’elle est loin d’être une novice et permet également de baliser partiellement le paysage musical où s’érigent ses pièces amplifiées, errances magnifiques où les sons issus des six cordes de sa Fender Jaguar subissent moult déformations après leur passage au travers d’un rack d’effets que l’on imagine impressionnant (douze pédales confiait-elle au webzine Tiny Mix Tapes dans une interview en mars dernier).
Une activiste.
Une très jolie fille aussi.
Ainsi donc, une guitare (avec parfois deux manches), un arsenal de pédales d’effet, un EBow et Sarah sculpte ses fresques sonores, longs instrumentaux aux mélodies limpides, parfois inquiets, parfois rugueux comme du papier de verre, tiraillés entre ambient lumineuse et noise grinçante. Des strates de sons s’empilant les unes sur les autres, un bourdon omniprésent dans les soubassements et tout en hauteur, à une distance vertigineuse, des entrelacs de cordes pincées, effleurées, maltraitées s’égayant comme des papillons et suggérant des proto-mélodies, et même souvent des mélodies tout court, proches de l’enluminure sonore. À l’œuvre dans les morceaux de ses deux précédents albums, Paint On The Shadows (LP aujourd’hui épuisé) et de Red Rainbows, on trouvait déjà une multitude de boucles nées des accords et harmoniques égrenés par sa guitare et de fréquences jouant, s’évitant, dansant la farandole ou se castagnant entre elles.
Les contours d’alors étaient en revanche plus abrupts, les dissonances malaisées (mais toujours attirantes), nombreuses. Son travail était plus ouvertement noise. C’est que de son propre aveu, son album précédent, Red Rainbows, constituait une sorte d’anthologie de toutes les techniques forgées au gré des expérimentations menées sur sa guitare, de ses débuts dans sa chambre à coucher jusqu’à ses enregistrements studio. Sur ce nouvel album, bien sûr que l’on retrouve tout cet éventail de sons, mais aussi une subtilité nouvelle, enfin une subtilité, ce n’est évidement pas le bon mot, un apaisement plutôt. Cette fois-ci, l’éventail est nettement plus nuancé.
Sur Desert Fires, elle n’a utilisé que sa guitare (l’électro-expérimentateur Carlos Giffoni venait parfois lui prêter main forte sur le précédent, en particulier sur les vingt minutes incroyables du Bends final) et même si la plupart de ces six instrumentaux, à plus d’un titre, ne sont pas les derniers à montrer leurs crocs, peut-être avancent-ils tapis dans l’ombre, près à vous sauter à la gueule, dissimulés derrière les hautes herbes tranquilles et fleuries en surface. Ici, la musique de Sarah se rapproche de celle d’un Brian Eno, la couleur est plus largement ambient, mais avec - toujours - quelques velléités noise à l’intérieur. L’album débute par le splendide Almost Alright et sa mélodie limpide portée par quelques cordes pincées, les mêmes cinq notes jouées sur des tonalités différentes, se répétant rapidement en boucle, rehaussées d’un larsen acide avant que des nappes souterraines ne fassent leur apparition, mais la mélodie demeure et subitement, tout disparaît au profit de quelques cordes effleurées qui s’estompent tranquillement au terme des six minutes que dure le morceau. C’est tout simplement magnifique et ce morceau doit pouvoir toucher même les über-réfractaires aux divagations instrumentales majestueuses et expérimentales. Puis arrive Same, plus inquiet et plus court aussi qui s’achève par un drone puissant parsemé de parasites. Avec Kites Calm Desert Fires, on retrouve une pièce caractéristique de la couleur développée sur Red Rainbows, tout en nappes de feedback saturées se grimpant les unes sur les autres. Et puis finalement, il apparaît très difficile – et surtout inutile – de décrire le tout avec des mots puisque cette musique est volontairement peu propice à l’analyse, elle ne demande qu’à être ressentie, vécue et la seule chose que l’on puisse faire finalement, lorsque les dernières notes du splendide Fades s’achèvent, c’est de remettre l’album immédiatement au début pour repartir sans attendre en errance avec lui et se laisser conduire par les courants, simples clapotis ou véritables lames de fond, issus de cette guitare au délicat vocabulaire.
Desert Fires apparaît ainsi comme une nouvelle pièce maîtresse d’une courte mais déjà très cohérente discographie qui, on l’espère, deviendra pléthorique. C’est qu’en trois albums, la guitare de Sarah n’a pas fini de livrer ses secrets et l’on devine aisément à l’écoute de ce nouvel opus les multiples chemins qu’elle peut encore explorer, prêt à la suivre n’importe où, n’importe quand. Et Sarah Lipstate promet déjà un nouvel album, fruit de sa collaboration avec Carla Bozulitch.
Fébriles, on attend.
Impatiemment.
Une vidéo de Noveller interprétant Fades, dernier titre de Desert Fires.
Après Thrill Jockey, au tour de Morr Music d’avoir les faveurs de ce comité aux allures de session de rattrapage.
Le spleen clair-obscur du score de Blade Runner et les pulsations de la kosmische musik rapprochent indubitablement les nouvelles sorties de la guitariste new-yorkaise et du patron de SEM Label, fantasmagories d’anticipation célébrant la poésie dans les synthés et la solitude de ces métropoles éclairées au néon, réceptacles en devenir de nos (...)
- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- Squarepusher - Dostrotime
- Tomin - Flores para Verene / Cantos para Caramina
- 2 Tones - No answer from Retrograd
- Spice Programmers - U.S.S.R.
- Lynn Avery & Cole Pulice - Phantasy & Reality
- CID - Central Organ for the Interests of All Dissidents - Opium EP
- Darko the Super & steel tipped dove - Darko Cheats Death
- Leaf Dog - When Sleeping Giants Wake
- Stefano Guzzetti - Marching people EP
- Leaf Dog - Anything is Possible
- Tomin - Flores para Verene / Cantos para Caramina
- 2024 à la loupe : 24 EPs (+ bonus)
- Novembre 2024 - les albums de la rédaction
- 2024 à la loupe : 24 labels
- 2024 à la loupe (par Rabbit) - 24 chansons