Kanye West - 808s & Heartbreak
1. Say You Will
2. Welcome To Heartbreak (feat. Kid Cudi)
3. Heartless
4. Amazing (feat. Young Jeezy)
5. Love Lockdown
6. Paranoid (feat. Mr Hudson)
7. RoboCop
8. Street Lights
9. Bad News
10. See You In My Nightmares (feat. Lil Wayne)
11. Coldest Winter
12. Pinocchio Story (freestyle live from Singapore - bonus track)
Sortie le : 25 novembre 2008
Il partait pourtant bien ce 808s & Heartbreak en s’ouvrant sur la mélancolie synthétique de Say You Will, complainte minimaliste presque trip-hop avec ses beats tribaux downtempo, ses accords de piano crève-coeur et ce choeur numérisé en incarnation solennelle d’un destin inéluctable et tragique, celui d’une séparation éprouvante dont les conséquences et le deuil forcé serviront de fil conducteur à ce quatrième album de Kanye West. De quoi même excuser cette utilisation outrée de l’Auto-Tune dont le rendu vocal déformé, foncièrement vulgaire et formaté, se trouve jusqu’ici tempéré par une certaine sobriété dans le chant (on ne parlera pas sur cet album du "rappeur" Kanye West) et par l’émotion purement musicale de cette poignante introduction.
Et pourtant, dès Welcome To Heartbreak, c’est la chute... et on tombe de haut : mélodie de piano grandiloquente et arrangements de cordes emphatiques, refrain terriblement mainstream, featuring inutile et raté, et surtout, coup de grâce, cette même voix vocodée qui perd cette fois ce qu’il lui restait d’âme au gré des vocalises r’n’b à la Skyrock du chicagoan, et dont l’omniprésence annoncée sur 808s & Heartbreak nous fait désormais craindre le pire pour la suite... avec raison. Car si le premier extrait de l’album, Love Lockdown, était sauvé in extremis par ses envolées tribales, on ne peut en dire autant de son successeur, le lourdaud Heartless. Des choix de singles pourtant compréhensibles à l’écoute de la plupart des autres morceaux de ce nouvel opus...
Où sont donc passés l’exaltation bariolée de The College Dropout, le lyrisme subtil du superbe Late Registration, la mélancolie déchirante des trop rares sommets de l’inégal Graduation ? Sous le coup de la déception, on se prend dès la deuxième écoute à échafauder quelque théorie indulgente : cette musique terriblement artificielle descendant tout droit des 80’s de Giorgio Moroder (la palme à un Paranoid totalement quelconque, ou davantage encore au pénible See You In My Knightmares qui sert de prétexte à l’insupportable Lil’ Wayne pour en faire des tonnes dans un registre faussement affligé) serait-elle justement le reflet d’un esprit privé de chair et d’amour par une fiancée devenue machine sans coeur (cf. le tapageur et paradoxalement collant Robocop construit sur un sample accéléré du compositeur de BO Patrick Doyle, règlement de comptes très hollywoodien dans sa débauche pop sans finesse et dont le manichéisme est néanmoins déjoué à la fin par la persistance des sentiments bafoués de son auteur) à moins qu’il ne s’agisse de traduire l’arficialité avouée du mode de vie de la star, cause supposée de l’échec de sa relation amoureuse à en croire la conclusion de l’album ? Quoi qu’il en soit, il faut bien vite se rendre à l’évidence : la mayonnaise ne prend pas et le fond, au lieu d’émouvoir par son caractère fondamentalement douloureux et universel, se retrouve le plus souvent plombé par la forme, comme si la maturité d’écriture de Kanye West n’avait pu se développer qu’en phagocytant ses talents de mélodiste et de metteur en son. Et quand bien même, peut-on vraiment parler de maturité ici ? Encore faudrait-il qu’il y ait la moindre chanson, même envisagée sous l’angle de la seule écriture, pour soutenir la comparaison avec un Roses ou un Heard ’Em Say...
Non, le peu d’évidence mélodique et de souffle lyrique qu’il lui restait, Kanye West semble l’avoir concentré dans une unique chanson, capable à elle seule néanmoins de justifier le temps passé à écouter plus d’une fois cet album affreusement décevant : Street Lights, fuite en avant bouleversante d’un homme frappé de plein fouet par la réalité de sa perte et qui, hanté par des choeurs éthérés, perd pied au rythme des beats tendus comme les battements d’un coeur qui s’emballe sous le choc, pulsations particulièrement cinématiques et émotionnelles dues comme sur l’ensemble de l’album à la fameuse drum machine Roland TR-808 lui donnant son titre et à laquelle Jon Brion, producteur sur Late Registration, avait familiarisé le musicien.
Le grime triste de Bad News, aux superbes arrangements de piano et de cordes, tire également son épingle du jeu tout comme le touchant Coldest Winter, chanson d’adieu sur beat épique qui voit refouler les tristes souvenirs de l’hiver 2007 où seul un amour désormais éteint avait permis à Kanye West de surmonter le chagrin causé par le décès de sa mère... et enfin Pinocchio Story, mise à nu finale enregistrée live à Singapour devant un public sans doute choisi sciemment pour la barrière de la langue tant les paroles, particulièrement en avant par rapport à la musique, sont introspectives et impudiques. "Do you think I sacrificed real life, for all the fame, like flashing lights ? [...] What does it feel like, I ask you tonight, to live a real life ?" demande-t-il ainsi à une assistance qui ne lui répond que par des hurlements de groupies... "And wise men say, one day you’ll find your way", conclue-t-il. Espérons seulement que la voie en question soit la plus éloignée possible de celle explorée par 808s & Heartbreak ...
Préparez vos mouchoirs, c’est l’heure de la shitlist (d’avance toutes nos excuses aux défenseurs de l’exception française, on n’avait pas assez de Moltonel pour Paradis et PNL).
Si on avait laissé Kanye West l’an dernier sur la semi-déception d’un troisième album partagé entre maturité d’écriture et créativité inhabituellement bridée, cet inégal Graduation, néanmoins joliment concis et touchant, nous permettait dans ses meilleurs moments d’entrevoir un futur passionnant pour le rappeur de Chicago, devenu en l’espace de quelques (...)
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