Flying Lotus - Los Angeles
Fermez les yeux, laissez-vous envahir par le groove et venez planer et vibrer avec 992 ans d’avance sur la musique du quatrième millénaire.
1. Brainfeeder
2. Breathe.Something/Stellar STar
3. Beginners Falafel
4. Camel
5. Melt !
6. Comet Course
7. Orbit 405
8. Golden Diva
9. Riot
10. GNG BNG
11. Parisian Goldfish
12. Sleepy Dinosaur
13. RobertaFlack (feat. Dolly)
14. SexSlaveShip
15. Auntie’s Harp
16. Testament (feat. Gonja Sufi)
17. Auntie’s Lock/Infinitum (feat. Laura Darlington)
On ne vous le dira pas deux fois, même en cette année musicale d’une richesse exceptionnelle : si vous ne devez tenter qu’une aventure les yeux fermés en 2008, acheter un seul et unique album sur la foi de nos conseils souvent discutables, vraiment, croyez-nous cette fois, sortez vos agendas et notez-y la date du 10 juin à côté de ce simple nom, évocateur de monts et merveilles psychédéliques que cet extraordinaire deuxième opus ne manquera pas de vous faire arpenter au long de ses 43 minutes d’élévation spirituelle frissonnante : Flying Lotus.
Car pour avoir eu la chance de pouvoir découvrir ce Los Angeles plusieurs mois avant sa sortie - et à ce propos on ne saurait trop remercier le label Warp pour sa promo en tous points exemplaire - je dois bien vous avouer n’être toujours pas revenu de ce voyage hors-format dans les méandres en clair-obscur de la Cité des Anges et de l’esprit flottant de Steven Ellison, seul démiurge de cet univers inclassable déjà pénétré sans le savoir par nos amis ricains fanatiques de la chaîne de dessins animés Adult Swim dont il signe, non crédité, les thèmes de transition aussi classe que barrés.
Warp ? Oui vous avez bien lu : le musicien californien est en effet la dernière sensation du label électro anglais connu pour son exigence autant que pour son ouverture aux talents de tous horizons. On vous parlait ainsi cette année de Jamie Lidell et de sa soul music rétro-futuriste aussi vibrante et pétillante qu’élégante. On vous parlait également des Born Ruffians et de leur post-punk survitaminé aux accents d’Animal Collective ou Broken Social Scene. Quant à Pivot, trio australien aux allures de Tortoise du côté obscur dont le deuxième album mixé justement par John McEntire sortira chez Warp cet été, si l’on ne vous en a pas encore parlé ça ne saurait tarder, et même pas plus tard que tout de suite pour signaler d’une part que le groupe sera en concert ce soir à Lille, puis demain à Paris (avec Adam Kesher et No Age) où il reviendra même le 3 juin en compagnie de Born Ruffians avant de passer par la Route du Rock cet été à St Malo, et d’autre part que leur EP In The Blood paru le 18 mai, en écoute sur myspace dans son intégralité, vaut vraiment le coup d’oreille malgré quelques réminiscences d’un amour ouvertement revendiqué pour la "musique" de Jean-Michel Jarre... hum.
Mais oubliez tout ça, au moins pour le moment. Car Flying Lotus, signé l’an dernier après un 1983 prometteur mais trop court paru il y a deux ans sur le label californien Plug Research - qui a tout de même vu passer des pointures telles que Dntel, Daedelus (auteur justement du remix dance qui clôt l’album) ou la grande Mia Doi Todd (remixée quant à elle par Flying Lotus en 2006) et continue de nous passionner aujourd’hui avec notamment les talentueux Roommate - joue dans une toute autre catégorie : celle du carré d’as de Warp, qu’il est venu compléter - dès 2007 avec un foisonnant EP, Reset, en forme d’aboutissement des Donuts un peu trop maniérés et auto-suffisants de Jay Dilla - aux côtés d’Autechre, Aphex Twin et Boards Of Canada. Autant de musiciens avec lesquels le bonhomme a en commun d’avoir inventé son propre langage, tellement à part qu’on hésiterait presque à se lancer dans une tentative de description, la sachant d’avance tragiquement réductrice. On s’y prendra donc d’une façon légèrement différente cette fois... et si vous fermez les yeux et jouez le jeu avec nous ça devrait pouvoir donner quelque chose d’un début d’idée du genre d’expérience sensitive que peut provoquer cet OVNI musical.
Imaginez donc Curtis Mayfield, reprenant le rôle de Marcello Mastroianni dans un remake de La Dolce Vita encore plus halluciné que l’original, transposé à Los Angeles en 2083 et filmé comme il se doit de nuit en décors "naturels" par le Michael Mann de Collateral. Imaginez-vous le voir croiser parmi ses rencontres irréelles un John Coltrane en transe méditative sur la scène enfumée d’un club de jazz éclairé comme un décor de fête foraine, avec les Add N To (X) en backing band psychédélique ; Madlib et MF Doom en vilains trafiquants de dope musicale dans les ruelles malfamées des bas-quartiers ; Leila en diseuse de bonne aventure arrêtant les voitures volantes sur le périphérique en prétendant avoir vu le fantôme de Fela Kuti faire son jogging la veille sur Hollywood Boulevard ; Boom Bip en DJ improvisé d’une soirée à thème pour requins de la finance un peu marteaux se voyant déjà descendre l’Amazone en radeau sous l’influence d’un vieux flacon de LSD qui leur avait été vendu pour du peyotl par deux écossais dont les T-shirts vantaient en vert sur jaune la qualité des planches du Canada ; Astrud Gilberto jouant les Anita Ekberg dans la piscine d’une college party sous les regards lubriques des trois Beastie Boys déguisés en rastafaris ; Questlove en vieux mac philosophe et débonnaire coupé de ses racines... et puis non tiens, procédons autrement ou on va encore m’accuser de faire du name-dropping sauvage avec cette débauche de références approximatives et pas forcément familières à ceux qui ne jurent que par la pop belge, le post-rock canadien, la folk balkanique ou le disco-punk new-yorkais.
Enfin en même temps, pas sûr que cet album soit pour eux, à moins qu’ils ne soient vraiment ouverts à tous les horizons. En effet, pratiquement pas de guitare ici, mais une électro grouillante et foisonnante capable dans un même temps de faire rêver les amateurs d’ambient et frétiller les férus de funk lascif, de ramper dans les égouts comme de s’envoler jusqu’aux cieux étoilés pour les repeindre en argenté et les zébrer de blips en forme de ballets de lucioles. Pas de batterie tranchante mais des percussions tribales (l’entêtant Melt !, qui nous plonge en pleine forêt tropicale) et le groove aquatique de beats hip-hop cotonneux. Aucune trace de couplet/refrain mais 17 morceaux qui s’emboîtent tels les pièces d’un puzzle en forme de labyrinthe aux contours organiques. Peu de chant à proprement parler à part sur une poignée de morceaux et notamment cet extraordinaire et vénéneux Testament presque trip-hop, mais les interjections ponctuelles de voix fantômes piégées sur la bande magnétique d’un vieux sampler analogique, et de temps à autre les appels insistants d’insaisissables sirènes à la voix blanche. Nulle influence des Beatles, du Velvet Underground ou de Television, mais une référence à une grande dame de la soul trans-genres des années 70 reprise par les Fugees ou Johnny Cash (RobertaFlack), des réminiscences brésiliennes (Camel, Parisian Goldfish) et indiennes (le tubesque GNG BNG, déferlement abstract digne de DJ Shadow et des Beastie Boys réunis), jazz (le plus expérimental comme le plus lounge), dub et même... trance (l’hypnotique première partie du luxuriant Riot).
Pour ce qui est du jazz, on ne s’en étonnera guère de la part d’un petit-neveu d’Alice Coltrane, pianiste notamment pour son mari John dans les années 60 et malheureusement décédée l’an dernier. Pour le côté dub, on imagine que Steven Ellison a beaucoup rêvé de Bristol et de ses grands rénovateurs de l’électro et du hip-hop (cf. l’artwork de la pochette, hommage à peine voilé à Mezzanine ), dont il est d’ailleurs un héritier infiniment plus probant que Burial : constamment à explorer de nouveaux espaces, loin, très loin des recettes toutes faites. Los Angeles en est la plus belle preuve, un trip inépuisable aux contours mouvants qui a, littéralement, englouti 2008.
Pour découvrir Flying Lotus, direction myspace avec, outre quelques raretés, des extraits de Los Angeles, Reset et du premier EP six titres ( L.A. ) d’une série de trois, à paraître le 30 juin en vinyle (édition limitée à 2000 exemplaires) et format digital. Et pour précommander, c’est par ici.
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