Jeremy Warmsley, un doux rêveur extravagant
Quel moment plus approprié que celui des bilans de l’année pour vous proposer, enfin, cette interview de Jeremy Warmsley, accordée à Indie Rock Mag en mars dernier à l’occasion de la sortie française de son éblouissant premier album The Art Of Fiction ? Le charmant londonien, français par sa mère, nous aura fait plaisir jusqu’au bout en 2007, d’abord avec cette formule unique de pop équilibriste mâtiné de post-punk et triturée à l’électronica, puis en répondant à nos questions dans la langue de Molière, et surtout avec énormément de gentillesse et de générosité. Quant à 2008, eh bien ça sera on l’espère l’année de la consécration, avec un deuxième album déjà quasiment terminé. Et peut-être qui sait une tournée dans l’Hexagone ?
Commençons par une question pragmatique : votre premier album The Art Of Fiction est sorti le 9 octobre dernier au Royaume-Uni chez Transgressive Records, mais n’a été distribué en France et dans le reste de l’Europe que le 9 avril par Rykodisc, soit six mois plus tard. Pourquoi un tel décalage ? Avez-vous eu du mal à trouver un distributeur ?
Jeremy Warmsley : Non, ça n’a pas été difficile mais Transgressive Records n’avait encore jamais sorti un album en Europe, c’est un nouveau label, il n’avait pas les réseaux, ne savait pas comment faire pour sortir un album en Europe. Mais tout est OK maintenant.
Généralement vous jouez vous-même de tous les instruments sur vos enregistrements...
Jeremy Warmsley : Je joue de beaucoup d’instruments mais pas tous.
Avez-vous reçu une formation musicale ou êtes-vous autodidacte ?
Jeremy Warmsley : J’ai appris le piano pendant un an, mais j’ai dû repartir de zéro car j’ai appris le classique et jouer de la pop c’est très différent. Mais sur l’album il y a d’autres musiciens, il y a des violons, du trombone, dont je ne sais pas jouer.
Et sur scène comment cela fonctionne-t-il, jouez-vous avec un groupe ou seul avec un laptop ?
Jeremy Warmsley : Je ne joue pas avec un laptop en fait. J’ai essayé une fois et c’est très difficile parce que ça ne change jamais de musicalité, alors que quand je joue il faut que je puisse changer le tempo si je veux, mais avec le laptop c’est toujours le même. Alors je joue tout seul avec une guitare ou un piano, j’essaye de présenter les chansons dans un mode très pur, ou je joue avec d’autres musiciens quand je veux faire quelque chose de plus énergique et fort.
Vous avez tourné au Royaume-Uni avec Regina Spektor, dont le classicisme semble pourtant assez éloigné de vos compositions décadrées. Comment cela s’est-il mis en place ? Le public anglais de Regina Spektor a-t-il été réceptif à vos chansons lors de ces deux tournées ?
Jeremy Warmsley : Les réactions ont été très très bonnes, peut-être les meilleures que j’aie jamais eues depuis que je fais des tournées. Je pense que quand je joue tout seul, nos musiques sont plus proches que sur disque, je trouve qu’il y a plus de similarité, d’où peut-être cet excellent accueil.
Vous dites "écrire des chansons dans votre tête pour leur donner corps sur un ordinateur". En écoutant votre album on a l’impression que vous utilisez certaines lignes instrumentales comme d’autres utilisent des beats électroniques... Etes-vous influencé par des musiciens comme Múm, Aphex Twin ou Autechre ?
Jeremy Warmsley : Je ne connais pas la musique de Múm, mais j’aime bien Aphex Twin et Autechre, qui a une grande influence sur moi je crois, sur ma musique et ma production.
Il y a eu une période il y a 2/3 ans où toutes les chansons que je faisais étaient à base de guitares, et un jour je me suis demandé pourquoi je répétais toujours le même schéma alors que les musiques que j’écoute sont beaucoup plus expérimentales et ont pour objectif d’être différentes. C’est alors que je me suis aussi fixé comme objectif d’être différent, et c’est comme ça que j’ai revu mes méthodes de travail.
Les guitares hâchées que l’on entend sur certaines chansons de votre album (je pense notamment à I Promise) rappellent Wire ou les groupes qui aujourd’hui revendiquent leur influence (de Field Music à Franz Ferdinand). Vous intéressez-vous à la période "post-punk" ?
Jeremy Warmsley : Oui, oui, beaucoup. J’aime Wire et Talking Heads et d’autres groupes de post-punk, j’aime bien cette période, c’est l’une des meilleures, c’est ma musique préférée.
Que pensez-vous du revival post-punk et de tous ces groupes qui soulèvent aujourd’hui l’enthousiasme général (Bloc Party, Franz Ferdinand, The Rakes) ?
Jeremy Warmsley : Je trouve ça un peu bizarre : une chose a déjà été faite alors pourquoi la refaire de nouveau ? Les chansons sont très importantes, et celle de Franz Ferdinand sont vraiment bien, très efficaces. Mais je trouve quand même bizarre que ces musiques soient tellement similaires à ce qui a déjà été fait et entendu. Je pense la même chose pour les autres ’revivals’ sixties et tout ça.
Mais peut-être que quelqu’un pourrait dire de moi "ah tiens, tu prends la musique d’Aphex Twin et Autechre, pourquoi tu fais ça ?" (rires)
The Art Of Fiction, pourquoi ce titre ? Vivez-vous votre musique comme une fiction ? Est-ce pour vous une façon d’échapper à la réalité ?
Jeremy Warmsley : J’ai pris un livre, un essai sur le futur et comment explorer les différents genres de fictions, et je voulais donner l’impression que toutes mes chansons étaient une grande histoire, comme des fictions, dont je serais le conteur.
Mais la chose bizarre pour moi c’est que maintenant que je regarde ces chansons (les chansons les plus récentes qui figurent sur l’album ont été écrites il y a déjà plus d’un an et demi), je m’aperçois qu’elles contiennent beaucoup de choses personnelles, alors que je pensais vraiment écrire des fictions dégagées de toute réalité personnelle. Au final ce ne sont pas des fictions mais des histoires qui sont assez vraies pour moi.
C’est très ironique, j’aimerais bien échapper à la réalité à travers la musique mais la vérité est qu’à chaque fois que j’espère y échapper de cette manière, je découvre quelque chose de nouveau sur moi-même.
Une majorité des chansons de l’album figuraient déjà sur l’un de vos deux EP, 5 Interesting Lies et Other People’s Secrets. Avez-vous volontairement privilégié le format EP ou l’album est-il venu plus tard à cause de certaines contraintes ?
Jeremy Warmsley : Pour moi le format EP est plus facile car plus propice à être cohérent. J’ai eu plus de difficulté avec l’album, on a pris beaucoup de temps pour le rendre le plus cohérent possible, mettre les chansons dans un ordre logique au niveau de la musique et du sens, et je pense qu’on a fait un bon travail. Je pense aussi que comme les chansons sont prises de différentes sources, ça peut donner quelque chose d’intéressant pour l’auditeur au niveau de l’écoute, il peut ainsi les comprendre différemment.
Le clip de Dirty Blue Jeans est assez dérangeant je trouve, on dirait que les personnages sont soumis à une force extérieure qui les paralyse et contre laquelle ils ne peuvent lutter. Cette idée d’impuissance est-elle l’une des raisons qui vous poussent à écrire des chansons ?
Jeremy Warmsley : C’est marrant d’évoquer les motifs qui m’ont poussé à faire de la musique, car toutes les choses que nous faisons, nous les faisons avec des motifs précis, mais parfois avec le recul on s’aperçoit qu’à côté de ces motifs il y en a d’autres qu’on ignorait totalement.
Comme je l’ai dit, à la base je voulais écrire et raconter des histoires, mais aujourd’hui je vois que de façon inconsciente, j’essayais aussi d’exprimer quelque chose que je n’arrivais pas à sortir. Et c’est très intéressant comme constat, en tout cas pour moi. (rires)
Si on vous rapproche des Guillemots, The Divine Comedy ou Field Music, quelle est votre réaction ?
Jeremy Warmsley : Merci bien, merci beaucoup, je suis très flatté. Guillemots est un bon groupe pour lequel j’ai beaucoup d’admiration, Field Music aussi d’ailleurs, ils sont très inventifs. Field Music sont assez dérangeants en fait, il a quelque chose de bizarre dans leur musique, et Guillemots sont très bons. Je les ai vus en concert et whaou, c’est vraiment très bien. The Divine Comedy je ne connais pas très bien mais j’aime bien ce que je connais.
Plus généralement, avez-vous l’impression de faire partie d’une "famille musicale" dans la pop anglaise contemporaine ?
Jeremy Warmsley : C’est une question que je trouve assez drôle car il y a toujours des scènes dans la musique. Il y en a deux sortes : il y a les scènes où tous les artistes et tous les groupes se connaissent, dans cette scène la musique n’est pas forcément similaire. Par exemple je connais les Mistery Jets, c’est un groupe anglais et on n’a pas le même son du tout, mais il y a des gens qui disent que nous sommes une scène parce que nous nous connaissons, alors ça ne nous dérange pas mais on trouve ça bizarre. Et l’autre scène, c’est quand vous avez des groupes qui ont un son assez similaires mais qui ne se connaissent pas. Alors peut-être qu’à l’avenir ils seront amenés à se connaître du fait de cette similarité, au niveau des concerts et tout ça, mais on ne peut pas dire que je me sente appartenir à la scène pop anglaise actuelle, non pas parce que je ne veux pas appartenir à cette famille, c’est juste que je ne les connais pas. (rires)
Vous êtes à moitié français : y a-t-il des musiciens français qui vous inspirent, ou avec lesquels vous aimeriez travailler ?
Jeremy Warmsley : Oui j’aime certains artistes français, mais la plupart sont morts. J’aime bien la musique d’Edith Piaf, et j’aime bien Jacques Brel aussi mais il n’est pas français. Il y a des chansons de Jacques Brel qui sont une inspiration pour tous les chanteurs je crois.
Après ça je ne connais pas grand chose, je connais la musique de Camille, qui apparemment a eu pas mal de succès en France, mais je ne connais pas vraiment la musique contemporaine.
Lorsque vous étiez étudiant à Cambridge, vous avez fondé avec Simon Mastrantone les soirées "Songs In The Dark", qui je crois se poursuivent désormais à Londres. Pouvez-vous nous éclairer sur le concept de ces rencontres entre musique et poésie ?
Jeremy Warmsley : C’est vraiment bizarre pour moi d’entendre parler de ça en France. (rires) Ce n’était pas si compliqué que ça à faire, on avait des amis qui étaient très talentueux et à qui on voulait donner une plate-forme, et une fois cette plate-forme créée on a trouvé d’autres participants qui étaient aussi très talentueux. Alors ce n’était pas, pour moi en tout cas, peut-être que pour Simon c’était différent, mais pour moi ce n’était pas un grand projet pour communier poésie et musique, c’était seulement pour donner la parole à tous nos amis.
Vous ouvrez bientôt pour les Shins à Glasgow, Manchester et Londres. Vos impressions ? Plus généralement, ce succès commence-t-il à avoir des effets sur votre vie de tous les jours ?
Jeremy Warmsley : Je suis très excité même si j’ai un peu d’appréhension car The Shins c’est l’un des meilleurs groupes qui existent, et moi je suis seulement moi. Mais le succès que j’ai eu n’a pas changé grand-chose dans ma vie. Je suis très chanceux de pouvoir faire ma musique toute la journée sans avoir à penser que c’est un job. Je suis conscient de ça, mais pour le reste, le fait d’ouvrir pour The Shins ne va pas changer grand-chose dans ma vie. C’est fantastique et c’est une grande opportunité pour moi, je suis très excité et tout ça, mais ça ne va pas changer ma façon d’être pour autant.
Avez-vous des projets pour la suite ? Un nouvel album en gestation, ou peut-être une tournée en France ?
Jeremy Warmsley : J’espère bien une tournée en France, j’ai déjà un concert de prévu à la Flèche d’Or et pour le reste on verra. Concernant un nouvel album j’ai déjà écrit toutes les chansons, maintenant il va falloir les enregistrer et je suis vraiment impatient et excité par ça aussi.
Un grand merci à Jeremy Warmsley pour sa disponibilité et sa gentillesse (et toutes nos excuses pour l’inhabituel délai de publication). Plus de huit mois après l’interview, notre envoyée spéciale est toujours sous le charme...
A voir également, le "Concert à emporter" de Jeremy Warmsley pour la Blogothèque. Un grand moment d’intensité en toute intimité.
Interviews - 08.01.2008 par
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