Sixtoo + Ghislain Poirier - La Marquise (Lyon)
le 11/10/2007
Sixtoo + Ghislain Poirier - La Marquise (Lyon)
C’est dans la semi-obscurité de la cale de la péniche La Marquise, amarrée à quai de Rhône, que se tiennent régulièrement à Lyon les soirées Ninja Tune. Ce jeudi, véritable chance pour moi qui ne suis que de passage et l’ai appris par hasard une poignée d’heures auparavant en feuilletant les pages d’un journal gratuit, c’est au tour du génial Sixtoo, l’un des fers de lance du label anglais, de s’y coller, précédé en première partie de son compatriote canadien Ghislain Poirier, que je ne connais pas encore.
Mais avant que celui-ci n’entre en scène, accompagné pour l’occasion d’un batteur inspiré qui contribuera fortement à donner une toute nouvelle dimension à sa musique, je trouve à mon arrivée vers 22h45 un Sixtoo consciencieux, casque vissé sur les oreilles, déjà affairé à vérifier le matériel sur la petite scène au fond de la salle-cale toute en longueur. Juste à la descente, un bar, puis le point merchandasing tenu par un anglophone barbu négligé très sympa qui parviendra malgré le volume du mix de hip-hop underground tendance électro qui émane de la cabine avant (située donc derrière la scène) à me faire comprendre avec le sourire que non, ce ne sont pas les deux albums de Sixtoo chez Ninja Tune qui sont vendus pour 15 euros comme indiqué tendancieusement sur la feuille calligraphiée maintenue par un scotch sur la petite table, mais bien un seul des deux, au choix - ou alors les deux mais pour 30 euros, évidemment, c’est même encore mieux. Je me dis alors que ma chronique (et avant tout, bien sûr, ma découverte) du fameux Jackals And Vipers In Envy Of Man , huitième et dernier album en date du musicien canadien sorti il y a tout juste un mois, attendra bien encore un peu (c’est, depuis, chose faite ici), et m’en retourne au rythme imposé par le DJ que l’on entraperçoit à travers une petite fenêtre en fond de scène, vers l’un des bancs arrondis incrustés sur les côtés, en milieu de salle, sur lequel j’avais élu domicile provisoirement dès mon entrée.
De son côté, Sixtoo, de son vrai nom Vaughn Robert Squire, est toujours sur scène, mais sans son casque cette fois, prenant des photos de la batterie du collègue de Ghislain Poirier, et de la salle qui à l’heure prévue du début du concert ne compte toujours qu’une trentaine de spectateurs à tout casser. Un chiffre qui doublera peut-être au plus fort de la nuit, dans une cale de toute façon trop petite pour accueillir davantage de monde, mais parfaitement adaptée pour ce genre de soirées aussi prestigieuses que confidentielles.
Entre temps, sur scène, un fan vient d’aborder le canadien et lui sort l’intégrale (ou presque) de ses vinyls d’un sac à bandoulière prévu à cet effet, provoquant l’enthousiasme du musicien, visiblement surpris de se voir à ce point apprécié de ce côté-ci de l’Atlantique. Bientôt, les deux hommes sont à genoux (la table de DJying étant déjà bien encombrée par les consoles et ordinateurs de Ghislain Poirier), Sixtoo signant les fameux enregistrements sous les yeux de son admirateur visiblement heureux avant même le début du concert d’avoir fait le déplacement ce soir. Puis le musicien, ancien membre du duo Sebutones avec Buck65 et ancien producteur de Sole ou Sage Francis aux débuts du label Anticon dont on vous aura décidément beaucoup parlé en cette fin d’année (en attendant l’heure des bilans...), traverse l’avant-cale (nous diront par la suite la "fosse"), passant juste à côté de mon banc avec son blouson doublé d’un col de fourrure, sa chaîne-en-or-qui-brille et sa casquette qui lui donnent un faux-air de blanc-bec déguisé en Jay-Z du haut de son mètre quatre-vingt cinq bon poids, pour aller monter les quelques marches qui le séparent du point merchandasing où sont campés le sympathique barbu de tout à l’heure, le fameux Ghislain Poirier, son musicien et les proprios/organisateurs de la soirée, en grande conversation.
Le concert débutera finalement peu après 23h30, introduit par un speech en français (ou disons plutôt québecois...) de Ghislain, qui se présente ainsi que son musicien... passage obligé voire ici nécessaire car si son nom me parlait vaguement à l’entrée du concert, je n’en savais guère plus sur l’univers musical du bonhomme (lequel a pourtant déjà cinq albums au compteur) que ce que venait de m’en raconter un amateur d’électro rencontré sur place avec lequel je parlerais passionnément, quelques trois heures plus tard sur le quai, de Ninja Tune et d’Anticon, du futur concert de Sole et The John Venture au Ground Zero le 3 décembre prochain (surtout les amis ne manquez ça pour rien au monde, même pas pour le regard enflammé d’une blonde, parce que les blondes il y en aura au bar de toute façon, sans même parler du tour exceptionnel que devrait prendre cette prestigieuse rencontre électro/folk/hip-hop/etc.), du label Gooom et de Yelle, des soirées lyonnaises et de votre serviteur le Mag Indie Rock, tout ça à quelques pas d’un vidage quelque peu enflammé lui aussi, orchestré par un gorille taillé à la façon d’un Popa Chubby black mais heureusement maître de lui jusqu’au terme de cette bruyante affaire, contrairement à la "victime" (coupable sans doute de quelque malconduite dans la cale de La Marquise) qui reviendra plusieurs fois à la charge, insultant jusqu’au proprio venu superviser l’opération.
Mais nous n’en sommes pas encore là, alors revenons-en plutôt au set de Ghislain Poirier, qui s’avèrera plutôt emballant, assez puissant et très dansant. Je partais pourtant sur un a priori un brin négatif initié bien malgré lui par mon nouveau collègue dont la description qu’il me fit de la musique du canadien fut à peu près la suivante : des beats à la Timbaland des débuts (alors qu’il produisait pour Missy Elliott ou Jay-Z) passés à la moulinette club, sympa mais rien d’énorme. Toutefois, bien que demeurant juste au regard de sa prestation scénique de cette nuit (suivie de près par Sixtoo qui tournera une paire de fois autour de la scène pour prendre des photos), cette description sera néanmoins déjouée par la fameuse batterie, empruntant au rock et à la funk comme aux rythmes ragga, mais toujours très enlevée, très vivante, pour un résultat plus organique que celui auquel je m’attendais. Qui plus est, une "chanson" annoncée comme telle par Ghislain Poirier, soit en réalité un autre instrumental mais plus électro et bardé d’explosions noisy, construit de façon assez libre sur des programmations plutôt que de "simples" samples de Timbaland (justement), Modeselektor ou TTC (si le collègue et spécialiste précédemment cité ne s’y est pas trompé), laissera augurer aux deux tiers d’un set qui avoisinera la cinquantaine de minutes, de la direction toute personnelle, plus sombre et tendue, que pourrait fort bien prendre à l’avenir la musique du canadien.
Après un quart d’heure de pause bien méritée pour la soixantaine de spectateurs/clubbers, qui permettra à certains d’aller se ravitailler au bar sans avoir à jouer les saumons en période de fraye, et à moi d’échanger quelques voeux de bonne nuit avec ma fiancée restée au port (comprendre mon Sud natal), c’est au tour de Sixtoo de se lancer, ce qu’il fait d’ailleurs sans m’attendre puisque je suis encore sur le quai lorsque retentissent les premiers break beats du musicien.
Une minute plus tard, de retour devant la scène au premier "rang" (si l’on peut vraiment parler de rangs à propos de la petite cinquantaine de personnes massées en vrac dans la "fosse"), je peux commencer à profiter de l’intensité et de la formidable précision d’exécution du canadien, qui jongle déjà à un rythme effréné entre sa console et son laptop pour nous offrir un début de mix totalement hallucinant. Abolissant toute notion de répétitivité, Sixtoo, qui avant son entrée sur scène a tombé le blouson sur le coup de la chaleur montée en flèche pour laisser apparaître les tatouages typiquement hip-hop recouvrant ses avant-bras, enchaîne les ruptures de ton comme d’autres les perles sur un collier sans laisser le moindre répit à la petite assemblée qui a déjà repris ses mouvements frénétiques et hachés sur le dancefloor improvisé de La Marquise.
Je ne suis pas le dernier surpris par le tour que prend sa musique cette nuit : labyrinthique et parfois même opaque sur album, où elle engendre volontiers la mélancolie au détour d’ambiances insidieuses au parfum délétère, elle demeure certes en DJ set toujours aussi sombre et tendue, mais se fait moins sourdement menaçante et plus enlevée, laissant éclater dans le même temps un potentiel dansant que l’on n’imaginait pas forcément de la part de ce musicien venu du hip-hop underground. C’est donc quelque part entre les beats implosifs et l’électro de purgatoire d’Autechre, les breaks beats équilibristes de Jel et la drum’n’bass vénéneuse d’Amon Tobin, le tout nourri de samples hip-hop triés sur le volet, que l’on pourrait situer le set cérébro-organique livré par Sixtoo, lequel va durer près d’une heure quarante-cinq sans jamais ou presque baisser de niveau, avec quelques incursions du canadien au micro pour encourager le public, poser son flow sur la musique pendant une poignée de minutes, ou encore raconter une anecdote en forme de prière déguisée : son dernier laptop a grillé il y a peu, arrosé par la bière d’un spectateur monté sur scène sans préjuger de sa maladresse... ce qui n’empêchera pas quelques clubbers, qui sait peut-être peu familiers de la langue de Shakespeare (ou de l’accent canadien ?), de venir à leur tour se trémousser dangereusement à quelques centimètres du fragile appareil en deuxième partie de set, sous le regard inquiet et vigilant du musicien qui ne se départira pas pour autant de sa bonne humeur souriante et communicative. Ce qui nous gratifiera tout de même d’un moment mémorable lorsqu’un blond en jogging, lunettes et cheveux longs, la trentaine et un physique d’informaticien, jouera tout seul sur scène les Bez improvisés avec sérieux, application et même un certain talent, contraste saisissant autant qu’hilarant de ringardise second degré (voulu ou pas le second degré, on en restera réduit aux conjectures) avec la musique plutôt ténébreuse de Sixtoo.
Plus tard, un spectateur armé d’un verre et venu taper la discute avec le musicien (lequel se révèlera alors tout à fait capable d’assurer son set à la perfection tout en essuyant la transpiration sur son font d’un revers de la main, en surveillant son matos du coin de l’oeil et en bavardant joyeusement... comble du talent sans doute) se verra tout de même escorté jusqu’au pied de la scène une soixantaine de centimètres plus bas par Popa "videur" Chubby, qui malheureusement en descendra aussitôt sans avoir exécuté les quelques pas de danse que tout le monde attendait. Ce qu’on n’attendait moins, par contre, c’est la déconstruction du Stronger de Kanye West, annoncée par un triturage jouissif du fameux sample de Daft Punk, dont nous gratifiera Sixtoo aux deux tiers de son set, sans doute l’un des moments les plus clubbesques de la soirée à défaut d’en avoir été l’un des plus passionnants.
Au terme d’une seconde moitié de set plus orientée dancefloor mais toujours aussi emballante, pour le final de laquelle le canadien mixera de concert avec son camarade Ghislain Poirier remonté sur scène, Sixtoo saluera le public, le remerciant chaleureusement de sa présence, et retraversera la salle comme il était venu en direction du point marketing - où il entreprendra d’écouler par lui-même quelques exemplaires de ses albums du catalogue Ninja Tune, Chewing On Glass & Other Miracle Cures et le tout chaud Jackals And Vipers In Envy Of Man sorti quelques semaines plus tôt -, me donnant l’accolade au passage pour avoir manqué me renverser en descendant énergiquement de scène par le côté où j’étais campé, idéal pour prendre des photos. La soirée se teminera donc par un mix orienté ragga signé Ghislain Poirier laissé seul aux commandes, auquel je n’assisterai pas pour cause de profonde allergie à ce genre de rythmes et de sonorités, lesquels ne trouvent grâce à mes yeux je dois bien l’avouer que dans leur détournement par... Sole justement, que je m’imagine déjà voir jouer quelques stations de métro plus loin dans une cinquantaine de jours à peine, après mon déménagement à Villeurbanne négocié le surlendemain avec le propriétaire espagnol d’un studio spacieux en rez-de-jardin. Je rentre donc de Lyon fourbu, sur les rotules mais heureux de pouvoir bientôt agrémenter mon quotidien de nouvelles aventures musicales nocturnes et citadines...
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Avec ce deuxième album sous les couleurs de Ninja Tune, Vaughn Robert Squire aka Sixtoo semble bien parti pour se mettre à dos certains de ses plus ardents défenseurs et fans de la première heure, mais également pour se rallier enfin un plus large public tout aussi passionné.
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