L’Effondras - Anabasis
Prêt depuis un petit moment, le nouvel album de L’Effondras (ou plus simplement ☉) ne paraît qu’aujourd’hui, victime de quoi vous savez. Il aurait pourtant idéalement accompagné ces temps de repli forcé car, une fois n’est pas coutume, il montre cette capacité à tout délocaliser dans sa musique. Où les murs n’existent pas.
1. The Grinding Wheel
2. Ce Que Révèle L’Eclipse
3. Aura Phase
4. Anhedonia
5. Norea
Ce n’est plus tout à fait le même groupe - Raoul Vignal remplace désormais Pierre Josserand (parti rejoindre le long cours de la paternité) à l’autre guitare - et d’emblée, ça se sent. Quelque chose a changé. Tout au fond, bien planquée dans l’arrière-plan de l’arrière-plan, une imperceptible variation, rejoignant la surface par intermittence mais sur laquelle les neurones bloquent de prime abord.
C’est un peu plus... non, un peu moins... je n’en sais rien en fait.
C’est différent.
Un poil moins incisif peut-être mais objectivement, ça l’est encore pas mal. Suffisamment en tout cas. Moins heurté ? Ah, non plus. Les circonvolutions perdurent et les gros blocs souterrains se fracassent toujours les uns contre les autres. Moins mystérieux sans doute ? Sûrement pas. Ça appuie toujours autant sur les atomes originels, ceux qui sont là depuis bien avant notre naissance et qui constituent les couches les plus profondes de notre squelette où résident tous nos atavismes, qu’on le veuille ou non. L’alchimie est toujours là et elle est toujours aussi difficile à identifier. Et la répétition ? Même chose, elle reste. Toujours cette impression tenace d’entendre le même morceau sans que l’on puisse en identifier l’ossature ou en cerner les contours. Il faut s’y résoudre : Anabasis est très différent tout en étant exactement pareil.
Alors c’est vrai, on sent un tout petit peu moins les crocs entailler l’épiderme mais c’est encore très loin d’être une morne plaine et je reste infiniment captif des ondes enfouies de L’Effondras. Après tout, le renouvellement d’un tiers de trio n’entraîne pas obligatoirement le renouvellement complet du paradigme et comme la vibration étrange qui se dégage du groupe a toujours donné l’impression de le dépasser complètement, on comprend bien pourquoi, au fond, L’Effondras reste (et restera toujours probablement) L’Effondras.
Le corollaire, c’est que la musique du trio restant obligatoirement ce qu’elle est, le risque est grand de ressentir l’épuisement ou pire, l’ennui. L’accoutumance est une belle saloperie : on aime alors on écoute (ou on lit ou on s’injecte ou on ingère) plus que de raison et à la fin, on finit par devenir imperméable. Mais pas ici. Le premier avait pris par surprise, le deuxième aussi et pour ce troisième, même combat. On sait très bien ce qui nous attend mais on se fait une nouvelle fois avoir comme au premier jour. Et ça aussi participe pour beaucoup au grand mystère du groupe. Le même album sur le même album, les mêmes riffs sur les mêmes riffs (qui mutent néanmoins imperceptiblement) et pourtant, rien à faire : alors qu’on a l’impression d’en avoir déjà fait le tour, ça agrafe tout de même.
Dès l’ouverture de The Grinding Wheel, on retrouve tout ce qui nous accroche au trio : l’élégance, l’évidence et la transe jamais loin. Une entame très earthienne, solaire et minérale, comme un hématome oublié : on ne le voit plus en surface mais on le sent tout de même. C’est suffisant pour tomber à nouveau dans le blues de L’Effondras.
Ménageant toujours une grande place au silence, les sept minutes passent sans que l’on s’en rende compte et annoncent les onze de Ce Que Révèle L’Eclipse. La même fibre sablonneuse sur un temps simplement plus long. Délicat, le morceau empile les strates, mute et vibre et en face, sans surprise, on vibre à l’unisson. Aura Phase est plus prototypique encore, l’inquiétude et la tension y retrouvent le chemin de la surface. Anhedonia et Norea filent exactement le même coton aéré, charbonneux par intermittence, solaire la plupart du temps. C’est sans doute de là d’ailleurs que provient cette impression de changement : jamais L’Effondras n’avait sonné si lumineux jusqu’ici. C’était déjà présent dans leur musique, incontestablement, mais ça n’avait jamais été mis en avant comme ici. Pourtant, encore une fois, les crocs perdurent, l’amertume torréfiée aussi mais ils sont juste plus en retrait.
Pour autant, Anabasis n’a aucun mal à convaincre et la subtile variation n’empêche nullement l’attachement à ces cinq nouveaux morceaux.
Au final, plus que jamais, L’Effondras demeure ce trio hermétique qui joue l’impalpable, le caché et l’invisible. Le silence comme la nature y trouvent une enclave pour s’exprimer et même s’il y a aujourd’hui beaucoup de joliesse, peu importe, ça reste tout de même encore - comme le silence et la nature - bien heurté.
Au fond, le ciel de traîne tourmenté subsiste - à l’image de la belle pochette - et on voit bien toute la place qui lui est laissée quand l’humain (allégorique) n’occupe qu’un bout de l’image, en contre-plongée. Un bon résumé du disque et du groupe à bien y regarder.
Si vous avez déjà croisé le trio en concert, vous savez déjà plus ou moins à quoi vous attendre. Si ce n’est pas le cas, jetez-vous sur ce nouveau volume des Stellar Frequencies Sessions dédié à L’Effondras.
Comment L’Effondras allait-il pouvoir évoluer après un premier album déjà remarquable ? Réponse avec Les Flavescences. En faisant exactement pareil mais en encore mieux.
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