Tir groupé spécial hip-hop : ils sont passés sur nos platines (18/11 - 24/11/2019)
Chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant.
Hip-hop au sens très large au programme de cette semaine, de l’instru au spoken word en passant par les versants les plus atmosphériques, noisy et mélangeurs du genre :
DJ Shadow - Our Pathetic Age (15/11/2019 - Mass Appeal Records)
Elnorton : Contrairement à certains artistes ayant renouvelé le paysage musical dans les années 90, DJ Shadow conserve une forme de fraîcheur. Toujours enclin à expérimenter, il s’inscrit dans son époque à l’occasion d’un Our Pathetic Age combinant les éléments qui ont fait son succès il y a deux décennies et d’autres, dans l’air du temps, plus indigestes. Seulement, même lorsqu’il se rapproche d’une forme de trap douteuse (Small Colleges), DJ Shadow maintient un degré d’élégance certes insuffisant pour que l’on adhère totalement, mais assez déroutant pour saluer l’exercice de style qui, heureusement, n’est pas reconduit sur ce (très, trop long) Our Pathetic Age. L’album n’est donc pas excellent, mais en l’appréhendant comme un patchwork d’idées, il a tout à fait sa place dans la discographie de DJ Shadow, refusant le surplace avec ses ambiances percutantes et hantées façon The Private Press (Slingblade, C.O.N.F.O.R.M.), des expérimentations onirico-martiales (le single Rosie et ses boucles vocales précédant le chaos salvateur) et l’apport de featurings survoltés (avec Inspectah Deck, Ghostface Killah et Raekwon sur Rain On Snow ou De La Soul sur Rocket Fuel). Sans doute pas mémorable, mais néanmoins recommandable.
Rabbit : Forcément un peu inégal de par sa densité (26 morceaux tout de même en comptant d’honnêtes bonus), partagé entre des envies d’aventure qui empruntent au drone, aux synthés modulaires, arpeggiators, etc (Nature Always Wins, I Am Not A Robot, Intersectionality), un spleen beats/claviers plus classique et loin d’être aussi fin qu’à la grande époque pour notre inventeur de l’abstract hip-hop versant instru (Firestorm, We Are Always Alone) et des choses un poil plus faciles voire racoleuses mais pas aussi nombreuses que ça (Slingblade, If I Died Today, l’affreux Dark Side Of The Heart qui n’avait vraiment rien à foutre là, un morceau-titre pop et passe-partout ou Small Colleges donc), ce nouveau cru du Calfornien n’en est pas moins le plus constant et stimulant depuis The Private Press, boosté par la cohérence d’une thématique dédiée à notre pathétique incommunicabilité smartphonesque. Outre les bombes intru Juggernaut (électro-punk et saturé), Rosie (métamorphe et brillamment déstructuré) ou My Lonely Room (incandescent et texturé), c’est surtout la série de rappeurs invités de la face B qui impressionne, en particulier sur l’enchaînement Drone Warfare / Rain On Snow / Rocket Fuel / C.O.N.F.O.R.M avec la crème du hip-hop des 90s, de Nas aux potes de la clique Solesides en passant par Pharaohe Monch, les trois rescapés les plus inspirés du Wu-Tang ou encore De La Soul qu’on n’avait plus connus aussi jouissifs et tranchants depuis bien longtemps... avant que les Run the Jewels ne viennent enfoncer le clou sur le tubesque - et étonnamment soulful - Kings & Queens.
Darc Mind - What Happened To The Art ? (25/10/2019 - Mindbenda Recordings)
Spoutnik : Depuis 2006 et leur quasi-culte Symptomatic Of A Greater Ill sorti des limbes par Anticon, pas grand chose à se mettre sous la dent concernant les Darc Mind... Je ne veux pas faire le vieil aigri mais l’ambiance new-yorkaise de la fin des années 90 me manquait un peu aussi... Du coup, quel plaisir de revoir les deux Darc Mind en 2019 ! Quel plaisir de réentendre le flow élastique, techniquement irréprochable, au timbre bas et grave limite flippant et si particulier de Kev Roc ! Quel plaisir de réentendre les beats simples et les ambiances souterraines presque lugubres de G.M. Web D aka X-Ray ! Et quand tout fonctionne ensemble, ben c’est bonnard et on en redemande ! Give Em That Shit !
Rabbit : Enfin des nouvelles de Darc Mind, et l’inactivité ne semble avoir eu aucune prise sur l’un des trésors cachés de l’indie rap des 00s ! Les bons gènes de la grande époque d’Anticon survivent sur l’équilibriste Don’t Stop ou le gothique Gumarr, et font le lien avec le nerdisme cinématographique sombre et ludique des héritiers Backburner sur Into Being Pt 1 & 2 avec sa tension à la James Bond ou le tout aussi stressant Noneotherthan aux samples cinéphiles, tandis que des morceaux acoustiques et introspectifs comme You Don’t Know Me ou 28 Grams nous rappellent aux Atmosphere de la décennie précédente... sans oublier le minimalisme du caniveau à la RZA (Darcness) car l’album est dark, forcément Darc !
Dan the Automator - Booksmart (Original Motion Picture Score) (20/05/2019 - Lakeshore Records)
Spoutnik : Broke a Couple of Rules, One Night Left et surtout Full Star justifient à elles seules de s’attarder sur cette bande-son de Dan the Automator qui pourtant sortie en mai était passée complètement inaperçue ! Trois pistes comme je les aime, dingues, bondissantes, faites de collages et de scratch dans tous les sens... Le reste m’a un peu plus ennuyé mais ça reste très agréable de pourvoir de nouveau entendre du Dan the Automator sur un format « long ». Maintenant que t’es chaud, Dan, continue !
Rabbit : Soundtrack original de la comédie indie ricaine du même nom, Booksmart alterne effectivement cut-up abstract au groove ébouriffant (Broke a Couple of Rules, One Night Left), pistes électroniques aux envolées réminiscentes de feu The Postal Service (Amy Devastated) et thèmes instrumentaux lo-fi mâtinés de beats et de dialogues samplés (Molly and Nick Dance, ou Amy Molly Fight dont la candeur un peu hantée n’est pas sans rappeler les BOs de l’excellent Jon Brion), Full Star télescopant d’emblée - et plutôt brillamment - ces trois dimensions divergentes comme pour en justifier les dispersions à venir. Personnellement j’adhère à tout, y compris la masturbation post-80s du bien-nommé Handjobs, donc vivement que le producteur de Deltron 3030 et Dr.Octagon remette le couvert pour le petit ou le grand écran !
Mute Speaker - Mutations (26/10/2019 - autoproduction)
Rabbit : Le producteur nomade basé dans le sud-est asiatique se fait un petit plaisir coupable avec ce florilège de remixes de ses influences rap essentiellement 90s, parmi lesquelles on retrouve justement quelques invités de l’album de DJ Shadow commenté plus haut. Loin du glitch-hop chamanique du génial Ghost Machine, Mutations revisite Busta Rhymes, The Associates et Quasimoto en mode groove funky 70s, Method Man & Redman, Edan et MF Doom façon blaxploitation psyché, De La Soul ou Ghostface Killah & Raekwon à la sauce latine ou cubaine, transforme Pharoahe Monch en Cypress Hill et The Beatnuts en crate diggers tarantinesques, envoie Mos Def au Moyen-Orient et M.O.P. dans les 80s d’EPMD, j’en passe et des meilleures (Nas, Erykah Badu...), tout ça avec tellement de naturel qu’on croirait écouter les tracks originaux dans un univers parallèle. Irrésistible.
Moor Mother - Analog Fluids Of Sonic Black Holes (8/11/2019 - Don Giovanni Records)
Riton : Découverte pour ma part directement en live en 2017 lors d’une édition du Sonic City (Courtrai, Belgique), laissée aux soins de l’éminent Thurston Moore alors curateur du festival. Autant dire que voir apparaître la mention Hip Hop associée à l’ex-Sonic Youth m’avait propulsé au premier rang. Cet après-midi là, je prenais la température d’un Fetish Bones bruitiste, tapageur, sensationnaliste mais intelligent avec lequel, seulement armée de son laptop, de quelques machines et de charisme, la Philadelphienne soufflait l’auditoire injustement clairsemé. Elle revient avec un Analog Fluids Of Sonic Black Holes en tous points abouti, où la dimension spirituelle décuplée voit planer les fantômes de luttes post-coloniales chères à l’artiste qui se fait tour à tour icône punk (Black Flight, aux côtés de Saul Williams en guest de choix), poétesse ambient et expérimentale (le spoken word de l’énorme The Myth Hold Weight) ou rappeuse hallucinée (LA92, Shadowgrams, Private Silence) et surtout hallucinante. Quel disque !
Spoutnik : Moi, j’habite dans le trou du cul du monde, donc difficile de découvrir Moor Mother ailleurs que sur mon ordinateur... Mais le choc n’en a pas été amoindri. Spirale infernale de sons électroniques, de beats épais, d’ambiances atypiques et d’incantations politiquement chargées, ce dernier Moor Mother (le premier pour moi) surprend autant qu’il passionne.
Rabbit : On vous disait il y a deux semaines tout le bien qu’on pensait de sa participation à l’album de Zonal, mais Zonal, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt des sorties passionnantes de Kevin Martin (de son solo Sirens au génial Solitude de King Midas Sound), de Justin K Broadrick qui n’arrête jamais... et donc aussi de Moor Mother dont l’univers idiosyncratique et tourmenté peine à tenir droit dans la case Hip Hop pourtant élargie au maximum pour les besoins de cet article, en dépit notamment d’un Private Silence pas très éloignée du beatmaking d’un Moodie Black. Cinématographie hallucinée (Repeater, ou l’impressionnant Shadowgrams) et collages fantasmagoriques et abrasifs (Engineered Uncertainty, Sonic Black Holes) y côtoient noise torturée (Don’t Die, LA92), ambient habitée (The Myth Hold Weight, Cold Case) et techno-ragga d’un infernal bayou d’esclavagistes (After Images, pas loin de The Bug justement), tandis que même Black Flight avec Saul Williams en narrateur militant s’avère être un véritable ovni musicalement parlant. Hanté par les fantômes de l’histoire afro-américaine (Passing Of Time), brassant féminisme, black power et charges virulentes contre le consumérisme sans pour autant donner dans la facilité ou les clichés de l’air du temps, Analog Fluids Of Sonic Black Holes est comme son nom l’indique un véritable trou noir philosophique où toutes les angoisses de son auteure se télescopent, créant au passage quelques monstres qui nous hanteront bien au-delà de cette année 2019.
Gang Starr - One Of The Best Yet (1/11/2019 - Gang Starr Enterprises LLC)
Spoutnik : Tout a été dit sur cet opus demi-posthume de Gang Starr, mais une chose est sûre, c’est que DJ Premier a réussi son pari et a bel et bien ressuscité Guru de temps d’un album. Bien sûr la nostalgie enlève souvent toute objectivité, mais si on voit One Of The Best Yet comme un cadeau fait par Primo à la culture hip-hop, à la fois aux fans de l’ancienne époque et à ceux de la nouvelle génération biberonnés au soundcloud rap jetable, la mission est accomplie avec mention très bien ! Et même mieux que ça, car la synergie entre Guru et DJ Premier est toujours palpable. Primo a soigné ses productions, en particulier sur la grosse première moitié de l’album avec une série de futurs classiques, mais le clou du spectacle est sans aucun doute pour moi Family and Loyalty. Une piste piloérectile qu’on écoute presque la larme à l’œil, une piste qu’on croirait sortie des années 90, de Step in the Arena, Daily Operation, Hard to Earn ou de Moment of Truth ! Avec One Of The Best Yet, l’histoire se termine encore une fois pour Gang Starr et maintenant l’éternité peut commencer ! Gang Starr forever !
Rabbit : Vous vous souvenez quand Common rappait qu’il avait trouvé le nouveau Primo en la personne de Kanye West ? C’était en 2005 sur The People, on y croyait un peu aussi, et bah ouais nous aussi on a préféré oublier, bien que le Christian Genius Billionaire (mouahaha) ne cesse de se rappeler à notre "bon" souvenir comme avec son récent délire messianique de bigot complexé dont le regain de soul va de paire avec un flagrant manque d’inspiration. Le fait est qu’il n’y a toujours eu qu’un seul Primo, le premier, le vrai quoi, un DJ Premier qui fait même tout le boulot ici, jusqu’à ranimer son compère Guru décédé il y a 9 ans par chutes de studio interposées, et qui nous rappelle justement à quel point Kanye est tombé de haut depuis Late Registration en toppant la magie de ce dernier sur le désarmant Family and Loyalty. Un humanisme qui irrigue également un Bad Name digne de Blueprint, où le regretté MC new-yorkais déplore le manque d’exposition et de succès des vrais rappeurs conscients à notre époque (la thématique des rappeurs laissés sur le carreau revenant plus loin sur So Many Rappers). Ajoutez à ça quelques hits aux samples contrastés tout droits sortis des 90s (Lights Out, Hit Man avec un Q-Tip en roue libre, What’s Real, Take Flight), le retour inespéré de guests d’un autre temps (Jeru the Damaja en tête) et vous obtenez la résurrection la plus improbable et jouissive de l’année - une seule fausse note pour être tout à fait transparent, le sirupeux Get Together bien sauvé par la pourtant inégale Nitty Scott.
Unsung x cunabear - quiet, bear (31/10/2019 - BearTooth Collective)
Spoutnik : Petite merveille de psychédélisme hip-hop imprévisible, quiet, bear pourtant sorti le jour d’Halloween n’est pas un album d’Halloween, c’est bien plus que ça, Unsung et cunabear ont créé une œuvre à tiroirs, sorte de kaléidoscope géant mélangeant une multitude de titres apaisés complètement géniaux et des plages plus bordéliques toujours jouissives. Les instrumentations toujours classieuses ne dénotent jamais et pour couronner le tout, le flow martial de cunabear (déjà croisé sur Possessions) s’associe parfaitement avec celui plus frêle et doux d’Unsung, pour ainsi dire quiet, bear porte parfaitement son nom. Si on rajoute à ça une deuxième partie de remixes complètement dingue où on ne reconnaît plus rien, on n’est pas loin du coup parfait. Ce n’est plus du remix à ce niveau là, c’est de la restructuration complète ! Du coup on a la savoureuse impression d’avoir deux albums en un ! Génial !
Rabbit : Que dire de plus sur l’un de mes albums favoris de cette sélection, peut-être bien le meilleur à ce jour du magicien Steven Miller dont on vous a souvent parlé depuis ses débuts en 2011, et encore pas plus tard que l’an passé avec ce bijou ? Associé à cunabear dont le flow s’avère joliment complémentaire du sien, le Virginien a produit l’ensemble du disque, remixes compris et on retrouve en vrac son goût pour le psychédélisme, la pop baroque, le jazz brésilien et les samples oniriques au fil de vignettes irréelles et touchées par la grâce - on citera en vrac l’enivrant peace, le chamanique magician’s mask, l’halluciné whatever life costs (Remix), le féérique (pressure &) release (Toolip Remix) ou encore un remix de tal tal heights aussi rétrofuturiste et perché qu’un Cannibal Ox des familles. Pour le reste, filez donc nous écouter ça !
Blockhead - Bubble Bath (8/11/2019 - Future Archive Recordings)
Elnorton : James Anthony Simon est productif en ce moment et multiplie les sorties à géométrie variable. Bubble Path se rapproche du réjouissant Funeral Balloons sorti il y a deux ans (mais bien d’autres projets ont été partagés depuis) si ce n’est qu’il accorde moins de place aux guests vocaux avec lesquels Blockhead s’était acoquiné avec plus ou moins de réussite récemment. De cet abstract hip-hop, la (relative) immédiateté des compositions interpelle. Le New-Yorkais est toujours aussi à l’aise pour construire des hymnes flegmatiques à partir de nappes enivrantes, samples vocaux hantés et boites à rythmes multiformes. Grande réussite du genre, Bubble Path oscille entre ambiances lounge (Vitamin D Deficiency, Sugar Daddies’ Lament) et incantations magistrales ressuscitant les sommets atteints il y a dix ans par son auteur à l’occasion du mémorable The Music Scene (Spicy Peppercorn, The Magical Intimacy Camel). Dément.
Rabbit : Ça partait bien, voire même assez magnifiquement avec On The Bright Side à la croisée de la finesse clair-obscure de Music by Cavelight et du baroque bariolé de The Music Scene, suivi d’un morceau-titre renouant avec la magie cristalline et samplée du fabuleux Downtown Science. Malheureusement, l’ex producteur phare d’Aesop Rock a bien du mal à maintenir le niveau, son pêché mignon ce sont les morceaux longs qui certes évoluent mais ne parviennent pas toujours pour le coup à transcender leur easy-listening un brin trop gentillet (Spicy Peppercorn, Sugar Daddies’ Lament, Spa Day With Your Moms). Au final, malgré un beatmaking qui s’emballe quelque peu ici et là (It Is Not Yet Time For The Perculator, That’s How He Got Dead) et quelques vraies belles ambiances (Moist Ghost), mon attention a rapidement décroché, bien qu’il y ait du mieux depuis la déception du récent Free Sweatpants au casting de MCs de grande classe gâché par des prods de seconde zone.
Mr Key & Greenwood Sharps - Green & Gold EP (15/11/2019 - High Focus)
Spoutnik : Quatre ans après le déjà excellent Yesterday’s Futures, Mr Key et Greenwood Sharps viennent de lâcher 21 minutes de bonheur pur ! 21 minutes, c’est court et c’est dommage, mais c’est amplement suffisant pour voyager et se perdre. Conçu comme une séquence onirique, Green & Gold reprend directement là où Yesterday’s Futures s’était arrêté, mais en encore mieux, en encore plus réussi, en encore plus immersif. Proche de ce que peuvent faire Jam Baxter ou Ed Scissor, cousu main par Greenwood Sharps dont les mélodies vaporeuses et les lignes de basse éthérées n’ont jamais été aussi belles et mis en mots par Mr Key dont le flow labyrinthique et mouvant fait davantage penser à de la poésie libre méandreuse qu’à du rap de 2019, Green & Gold est un petit chef-d’œuvre. Livré avec un court métrage expérimental (signé Jamie Johnson) tourné entre la luxuriante campagne anglaise de Greenwood Sharps et les montagnes arides et chaudes d’Andalousie où habite Mr Key, l’ensemble forme un tout cohérent. La nature et le soleil, le vert d’un côté, l’or de l’autre, et Green & Gold au milieu en synthèse parfaite de tout ça. Sublime.
Riton : La bande-son parfaite d’un samedi matin pluvieux pour qui voudrait ajouter un soupçon de douceur poétique à un morne weekend, bercé par les doux instrus du sieur Greenwood Sharps, écrin de velours pour le flow notamment, résolument british, de Mr Key : le rapprochement rêvé entre la chaleur andalouse et la rugosité anglaise, pour un EP effectivement bien trop court, surpassant largement l’excellente production précédente.
Rabbit : Encore un bijou sorti du giron de High Focus, meilleur label hip-hop anglais de la décennie. Personnellement, c’est à Strangelove que m’a surtout fait penser cet univers aux raps flottant et aux beats parcimonieux, en particulier sur les très ambient et texturés The Good Intentions Paving Co. et Go Outside, les samples acoustiques de That’ll Be the Day, Palace of the Sun ou G&G / Vonneguts flirtant quant à eux avec l’épure des non moins géniaux Ed Scissor & Lamplighter. Mais le joyau étincelant de cet album, c’est bien son final Chapada Diamantina, hymne à la vie dont le romantisme solaire mâtiné de spleen cristallin colle des frissons du début à la fin en dépit d’un refrain pop comme on rêverait tout de même d’en entendre tous les jours sur les ondes FM.
L’Orange & Jeremiah Jae - Complicate Your Life With Violence (4/10/2019 - Mello Music Group)
Spoutnik : Complicate Your Life With Violence se veut être la suite directe du The Night Took Us In Like Family de 2015 qui causait de la vie tumultueuse d’un gangster des années 40. Dans cette suite estampillée Mello Music Group, nous retrouvons le même gangster qui cette fois s’engage dans l’armée dans l’espoir de se faire oublier et de laisser derrière lui son passé de criminel. Voilà pour le décor. Pour le reste, on retrouve L’Orange en grande forme, toujours aussi excellent quand il s’agit de multiplier les samples vintage en insufflant un peu de folie au flow froid et dense de Jeremiah Jae ; c’est un peu la patte du producteur nord-carolinien et c’est toujours aussi bon ! Mais attention, Complicate Your Life With Violence n’est pas un album léger, le génial emcee chicagoan et ses invités (Billy Woods, Zeroh, Chester Watson ou Lojii) ne sont pas réputés pour faire de l’easy-listening et le disque sous ses faux airs de rigolade organisée foisonne d’inventivité et offre l’occasion rêvée pour Jeremiah Jae de parler du complexe militaro-industriel américain et la propension à la violence chez l’être humain. Passionnant !
Rabbit : Un peu moins emballé que Spout par cet album qui renoue avec la veine rétro (un poil trop ?) de L’Orange, laquelle me fait bizarrement (ou pas ?) penser à Wax Tailor - que j’appréciais bien y a 15 ans ceci dit, pour ne rien vous cacher. En fait, Complicate Your Life With Violence souffre surtout de passer après la claque de Time ? Astonishing ! feat. Kool Keith où le suranné se doublait de futurisme, d’un groove imparable et d’une audace folle. Ça reste quand même joliment narcotique et parfois même assez bandant, du western Dead Battery à l’Halloweenesque Ghost Town en passant par l’enfumé Borrowed Brass ou l’inquiétant Clay Pigeons avec Billy Woods en guest.
Crimeapple - Viridi Panem EP (8/11/2019 - Fat Beats)
Spoutnik : Impossible de passer à coté de Crimeapple cette année ! Trois sorties en 2019 et non des moindres : l’excellent Wet Dirt avec DJ Skizz, le monstrueux Medallo avec DJ Muggs (il faudra qu’on reparle du taff récent de la pierre angulaire de Cypress Hill) et donc ce Viridi Panem avec Buck Dudley à la production. Buck Dudley, justement, on avait déjà pu se rendre compte de la qualité de son travail sur ce Sweet Dreams EP d’il y a 2 ans, mais là la claque est énorme ! Sorte de film (très) noir où les narcotrafiquants colombiens seraient les rois, Viridi Panem développe des atmosphères sombres et anxiogènes à coups de synthés fantomatiques et de beats lents et puissants. La toile de fond parfaite pour un Crimeapple qui entre lyrisme thug et punchlines latinas version Medellin avance comme un bulldozer pimpé par Griselda Records dans cet univers clandestin qui lui va si bien. Malsain à souhait et donc incroyablement réussi !
Rabbit : Un sens assez magnifique du sampling glauque suinte de ce mini-album du New-Jersien, au point d’avoir du mal à me décider entre l’opératique Lupos, l’angoissant Entenmann’s, le menaçant D’Angelo Vickers ou le dystopique Dead Gringos aux distos de synthés post-apocalyptiques, sur quel serait le point culminant d’un Viridi Panem cohérent comme pas permis dans le lugubre et le malaisant. Pour le rap conscient il faudra repasser ("i need another bitch in my life" scande notamment Crimeapple sur l’insidieux Alium, ça donne le ton) mais pour un bad trip des bas-fonds sinon, on a posé l’oreille où il fallait !
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