L’horizon 2018 de Rabbit - cent albums : #20 à #11
On ne va pas se mentir, l’exercice est toujours difficile, surtout quand on écoute 800 albums par an déjà triés sur le volet. Mais chaque année, ça se complique encore un peu... de fil en aiguille, d’une connexion à l’autre, de labels sortis de l’ombre en artistes émergents, les découvertes nous submergent et de nouveaux horizons s’ouvrent à nous, sans pour autant éclipser les précédents. Rien d’exhaustif donc dans la liste qui suit, pas même au regard de ma propre subjectivité, qui souffre déjà de tant de grands disques laissés de côté...
Part I : #100 à #91
Part II : #90 à #81
Part III : #80 à #71
Part IV : #70 à #61
Part V : #60 à #51
Part VI : #50 à #41
Part VII : #40 à #31
Part VIII : #30 à #21
20. Giulio Aldinucci - Disappearing In A Mirror (Karlrecords)
"Le successeur du magnifique Borders and Ruins dont on parlait ici surpasse encore en beauté comme en intensité ses élégies de fin des temps, rehaussées de cordes poignantes (The Eternal Transition), de chapes de basses fréquences et de drones orageux (Jammed Symbols) ou encore de glitchs en apnée (The Burning Alphabet). Quant aux chœurs liturgiques, ils sont plus présents que jamais sur ce Disappearing In A Mirror qui s’intéresse cette fois plus particulièrement à la fluidité de notre notion d’identité, transcrivant les ambiguïtés qui coexistent en nous par la collision de sa tectonique de textures ténébreuses avec le même genre d’oraisons chorales qui habitaient déjà de leurs plaintes lancinantes les instrumentaux de l’opus précédent, et par moments avec les arrangements du violoncelliste Alexander Vatagin. "Il s’agit d’une réflexion sur notre situation actuelle de changement et de perturbation" nous explique Giulio Aldinucci, "et en même temps, c’est une plongée dans l’âme intemporelle de l’homme et ses paysages musicaux intérieurs". Une œuvre ambitieuse donc, mais à l’impact avant tout émotionnel et viscéral."
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19. Randall Dunn - Beloved (Figureight)
"Membre des très mystiques et mélangeurs Master Musicians Of Bukkake et ingé-son renommé, Randall Dunn n’a besoin de personne pour nous embarquer dans de fabuleux voyages mentaux aux majestueux paysages lunaires et ravagés.
Pour Ambarchi et O’Malley, le New-Yorkais tenait les claviers sur l’halluciné Shade Themes From Kairos aux impressionnants crescendos de tension hypnotique et d’errance cauchemardée. Un album avec lequel ce Beloved a plus d’un point commun, si ce n’est qu’il s’avère encore plus magnétique dans ses textures et ambivalent dans ses influences, capable de mêler ambient vocale au chant planant, déstructurations électroniques et incursions free jazz sur le fantasmagorique Something About that Night avant de décliner sur les 9 minutes ésotériques de Theoria : Aleph un dark ambient de purgatoire pour cordes capiteuses et chœurs synthétiques gutturaux.
Cette ambition libertaire, le line-up du disque s’en fait le reflet, du génial clarinettiste jazz/ambient Jeremiah Cymerman sur deux titres à l’Islandais Úlfur Hansson (guitare) remarqué dans nos pages l’an dernier. Quant à Randall Dunn, ses synthés analogiques aux textures mouvantes et organiques contribuent tout autant à donner chair à ces méditations sur "l’angoisse, la paranoïa, différentes nuances d’amour, différentes prises de conscience de la mortalité". Un chef-d’œuvre de musique expérimentale accessible et captivante."
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18. Deru - Torn In Two (Friends of Friends)
"Avec le superbe 1979, Benjamin Wynn s’était décidé à délaisser le roulis des rythmiques au profit de soundscapes nostalgiques et cristallins où mélancolie des claviers et onirisme des synthés propulsaient définitivement le beatmaker vers un autre univers. Ce changement de cap, Torn In Two en est l’aboutissement, le déchirement du titre n’évoquant pas le moins du monde une valse hésitation entre electronica et drone puisque c’est désormais vers ce dernier que penche ouvertement la musique de Deru, plus inconfortable et ténébreuse qu’à l’accoutumée tant les stridences des synthés et autres grondements des basses y évoquent aujourd’hui un monde sur le déclin voire au bord de l’effondrement (cf. le morceau-titre).
Quelques recoins d’évasion de l’esprit subsistent malgré tout, un bien-nommé Refuge bercé par une flûte post-classique mais assailli par son lot de crépitements menaçants, ou l’élégiaque All The Kings Men avec sa coda de musique de chambre baroque, mais d’un Borders tour à tour lancinant et malaisant aux marées purgatrices d’Undertow en passant par les saturations de désolation de Our Brief History ou le tragique crescendo piano/synthés de The Overview Effect, l’heure est aux requiems pour l’Homme, ses rêves et ses espoirs de futur en couleurs."
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17. Ben Chatwin - Staccato Signals / Drone Signals (Village Green)
"Particulièrement cinématographique et futuriste tout en restant fidèle au goût de l’Écossais pour les nappes organiques et les arrangements poignants de véritables instruments (cordes, piano et cuivres en tête), Staccato Signals est une symphonie de pulsations craquelantes, d’orchestrations stellaires et de synthés analogiques vastes comme l’orbite d’une planète, une bande-son pour la naissance, la vie et la mort de notre univers dont les flots d’émotions épiques aux temporalités multiples seraient le contrepoint idéal aux images de Terence Malick s’il se mettait à la science-fiction. Ça pulse et ça respire, c’est le cœur même de l’univers qui bat dès l’aurore astrale du vaporeux Silver Pit, et si le lyrisme est constant, culminant sur une intro aux reflux orchestraux terrassants, il sait épouser la dynamique du film imaginaire que Ben Chatwin projette sur les rétines de notre subconscient, à l’image d’un Helix tout en crescendo de tension bourdonnante, zébré de cordes dont la fièvre ne se répand jamais vraiment."
Quant à Drone Signals, faux jumeau plus épuré aux progressions dramatiques construites sur les drones du titre parfois étoffés de beats minimalistes (Unravel), les violons y sont plus discrets mais bien présents, se mêlant à l’ensemble pour mieux percer les cœurs lorsqu’ils s’en extirpent en tourbillons passionnels inattendus comme sur Lost At Sea.
< lire la chronique de Staccato Signals > < lire la chronique de Drone Signals >
16. Resina - Traces (130701 / FatCat)
"Quoi de plus approprié qu’intituler Traces un album qui s’est nourri du reliquat de désespoir et des vestiges de violence de l’arrondissement de Wola, ancien ghetto et cadre de l’insurrection de Varsovie toujours défiguré plus de 70 ans après. C’est là en effet que la violoncelliste Karolina Rec a enregistré après un éponyme remarqué en 2016, ce deuxième opus défendu par 130701, dans cette même veine insufflant dramaturgie cinématographique et textures ambient (Procession) à un héritage classique contemporain, avec force chœurs élégiaques et spectraux (Surface), cavalcades de percussions martiales assurées par son compatriote Mateusz Rychlicki (Resin), idiophones mystiques ballotés par une brise fantôme (le tribal In In) et surtout ces cordes, lamentations capiteuses et parfois même poignantes (In) qui laissent place aux sombres dissonances de méditations angoissées sur l’absence dans le recueillement d’un demi-silence (Glimmer) ou aux grouillements organiques du fingerpicking et autres stridences mortifères dans une ambiance de film d’épouvante ésotérique (Leftover)."
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15. Wrekmeister Harmonies - The Alone Rush (Thrill Jockey)
"La bataille pour nos âmes entre les forces des ténèbres et celles de la lumière qui faisait rage sur Then It All Came Down et les tourments mystiques du tout aussi doomesque Night Of Your Ascension avaient laissé place aux élégies plus épurées d’un Light Falls aux faux airs de post-rock violoneux des grandes heures de Constellation. C’est donc en toute logique que les influences metal du manitou J.R. Robinson s’évaporent encore un peu plus sur ce cinquième opus pour Thrill Jockey en autant d’années. Toutefois, Wrekmeister Harmonies n’a rien perdu de son intensité et la grand-messe d’introspection gothique à laquelle communie l’auditeur de The Alone Rush n’en réserve pas moins ses moments de noirceur des tréfonds de la conscience, du crescendo hanté du final de Descent Into Blindness aux dissonances cuivrées et saturées d’un Forgive Yourself And Let Go qui tutoie la folie pour mieux s’en extirper via une coda rédemptoire aux claviers clairs-obscurs, en passant par les cris de damnée et les synthés façon John Carpenter de Behold ! The Final Scream, sommet d’un disque dominé par la voix caverneuse du Chicagoan."
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14. Luke Howard - Open Heart Story (Mercury KX)
Carton plein ou pas loin pour l’Australien dans nos pages depuis la sortie de Sun, Cloud et la découverte de son néo-classique métissé aux élans tragiques. Après une quatrième place dans mon bilan modern classical 2013 pour ce dernier, et une belle mention trois ans plus tard dans mon classement général de l’année pour le terrassant Two Places dont Open Heart Story réinterprète avec de nouveaux arrangements bouleversants de pudeur le sommet The Map Is Not the Territory, ce nouvel opus confirme le génie du pianiste et compositeur à la croisée des travaux les plus poignants d’un Max Richter pour le petit écran et de l’élégance baroque et plombée d’Arvo Pärt, avec une dimension cinématographique qui sied particulièrement bien à ce storytelling instrumental de deuil relationnel mâtiné de quelques incursions plus expérimentales (cf. les pulsations glitchées de l’impressionniste Trembling ou ces arpeggiators discrets à la fin d’In Praise Of Shadows). Caractéristique de cet album en particulier, on y trouve les morceaux les plus dépouillés du Melbournais, tel le titre d’ouverture Prelude For A Single Voice, le tristement introspectif In Metaphor, Solace, le doux Solstice, le crève-coeur Elysian Fields aux arpèges de piano baignés du bruit des touches laissé apparent ou encore le final I Still Dream About You, Sometimes But Not Always (Piano Version) sur le chemin de cette acceptation nécessaire à la guérison, mais aussi quelques-unes de ses compositions les plus denses à l’image des Bear Story, sommets orchestraux au premier mouvement rongé par un drone saturé pour mieux laisser la pureté des violons éclater sur sa seconde moitié, ou d’un Hymn fataliste aux accents morriconiens.
13. 10th Letter - Ultra Violence (Autoproduction)
"Après un cru 2017 impressionnant, Jeremi Johnson était attendu au tournant. En restant fidèle à ses lubies, en l’occurrence les séries B, jeux vidéos et films d’animation du tournant des années 80/90 caractérisés par l’avènement d’une certaine violence graphique qui a forcément marqué son enfance (cf. le dubstep indus de Violence Jack émaillé d’onomatopées tirées du jeu "Mortal Kombat") et à son goût du métissage et de l’exploration, Ultra Violence, allégorie de la déshumanisation virtuelle de l’ère internet par références cyberpunk interposées, évoque le génie de Flying Lotus avec ses samples et synthés futuro-organiques, ses incursions kosmische et autres néo-jazzeries opiacées sur fond de beats au groove tribal et abstrait.
Du haut de ses 21 vignettes métamorphes et mélangeuses, l’album est évidemment impossible à résumer en quelques lignes, mais des bandes-sons dystopiques de Age Of Violence et Midnight Eye à l’électro-hip-hop azimuté façon Thavius Beck du scintillant Burner ou de Green Hills avec ses drôles d’incantations autotunées en passant par les chamaniques Bone Collector et Fantastic Elements, la drum’n’bass plus ou moins mutante ou déglinguée de Night Patrol et Only Time Will Tell, l’abstract saturé à la Techno Animal de Betamax Torso ou les jams afro-jazz sombres et enfumés d’Apocalypse Zero, c’est justement par sa structure labyrinthique qu’il fascine au-delà des écoutes répétées."
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12. G Y D A - Evolution (Figureight)
"Toujours accompagnée de son instrument fétiche, ce violoncelle dont les arabesques aux allures d’aurore boréale illuminent notamment un Nothing More marqué par les influences classiques contemporaines de sa précédente sortie Epicycle, l’Islandaise nous entraîne dans cet univers onirique et lunaire dont elle a le secret dès le morceau d’ouverture Rock, où, comme toujours avec elle, la délicatesse est le maître-mot mais une délicatesse tourmentée par des drones de crins lancinants, tandis que ses vocalises susurrées telles la brise des paroles soufflent leur petit air à la fois mélancolique et rassurant entre deux volutes de cordes plaintives.
Entre dépouillement et envolées lyriques, guitare acoustique vaporeuse (le sensuel Unborn) et percussions ou claviers désarticulés (en ouverture de Nothing More), des bourdonnements et dissonances discrets de l’inquiétant Sons & Daughters aux incantations baroques d’un Kind Human à la tension palpable en passant par les orchestrations austères et hantées de l’instrumental Strange Attractor, Evolution confirme ainsi la beauté dévoilée par ses deux premiers extraits, la douce complainte paganiste Í Annarri Vídd au chant particulièrement envoûtant et la sérénade folk du pastoral Moonchild, une grâce empreinte de gravité qui culmine sur la symphonie nomade du final Imago."
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11. Lucy Railton - Paradise 94 (Modern Love)
"Dès Pinnevik, la Britannique explore le point de rencontre d’un sound design abstrait fait de collages (les samples de verre brisé) et de motifs répétés jusqu’au vertige (les boucles industrielles aux allures de lacérations), avec les mutations les plus viscérales de l’avant-garde post-classique (les drones gothiques d’orgue lancinant). Plus minimaliste, Gaslighter est fait du même bois - celui de l’instrument à vent malmené, voire supplicié - que les fantasmagories horrifiques des nécromanciens dark ambient Kreng ou Adrian Anioł.
Violoncelliste de studio pour Bat For Lashes, Bonobo ou Jamie Cullum notamment, Lucy Railton cachait bien son jeu. Entre le portrait d’un noir profond de sa pochette et le choix d’un label, Modern Love, connu pour ses sorciers du sombre tels que Demdike Stare, Vatican Shadow, Andy Stott ou encore l’alias The Stranger de l’excellent Leyland Kirby, on avait beau s’attendre à autre chose qu’à de jolis arrangements de cordes frottées, on était loin d’imaginer que derrière les connotations hédonistes de son intitulé Paradise 94 se cachait l’un des disques les plus retors et cauchemardés de l’année, charriant le genre de névroses et d’abysses soniques que peu de musiciennes en solo arborent à même la peau."
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To be continued...
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