Emilie Zoé - The Very Start
Sur The Very Start, Emilie Zoé s’enfonce plus profondément en elle-même et en extirpe dix morceaux intenses et solennels qui électrisent l’épiderme.
1. 6 O’clock
2. A Fish In A Net
3. Tiger Song
4. Blackberries
5. Loner
6. Nothing Stands
7. Dead Birds Fly
8. The Barren Land
9. Would You Still Be Here
10. Sailor
The Very Start est le deuxième album d’Emilie Zoé et s’éloigne quelque peu du premier, Dead-End Tape (2016), tout en conservant intactes ses grandes lignes. On retrouve la grande mélancolie de son aîné, les ambiances majoritairement ciel de traîne mais cette fois-ci, la guitare est bien plus féroce et tourmentée (le passage par Autisti a sans doute laissé des traces). Pourtant, le maître-mot à l’œuvre là-derrière reste la simplicité. Aucune fioriture ne vient empêcher l’éclosion des émotions, dans toute leur complexité. Une guitare, une batterie, quelques claviers et surtout, la voix, suffisent à planter quelque chose de persistant derrière les yeux. Mais sur The Very Start, c’est encore plus qu’à l’habitude. Pas un bond de géant non plus mais, simplement, l’impression qu’Emilie Zoé est devenue transparente et que ses morceaux constituent une fenêtre ouverte sur ce qu’elle a au fond des tripes et du cerveau. On a beau l’écouter beaucoup, commencer à le connaître par cœur, l’impact ne s’émousse pas parce que l’album s’appuie sur/s’adresse à l’enfoui et révèle les recoins les plus intimes de la machinerie interne. Toujours accompagnée du fidèle Nicolas Pittet qui a beaucoup participé à l’édification de ces vignettes tout à la fois fragiles et conquérantes, Emilie Zoé a aussi particulièrement soigné le texte, gémellaire à la musique qui le porte : « And if the rudder’s stranded / just ask the ghost he’ll sail it », un peu comme une profession de foi assénée comme ça en deuxième position, le temps d’un A Fish In A Net très programmatique. Il sera effectivement beaucoup question de fantômes, de tourment, de perte et de silence, de temps qui file entre les doigts durant les dix enluminures de The Very Start, aussi courtes qu’immédiates, s’inscrivant durablement sous la peau. À poil, débarrassée des dernières strates qui faisaient encore armure, il n’y a plus aucun filtre, aucune épaisseur superflue pour empêcher la musique d’atteindre les atomes de l’auditeur et cela participe pour beaucoup à la relation très particulière que l’on entretient avec le disque.
Ça commence très fort avec le très beau 6 O’clock où, armée d’une seule guitare et d’une batterie et quelques claviers chiches, la voix s’empare immédiatement du cortex, y balance son « I put on a shirt and it smells like fear / Like day turning into scars ». Ça fait mal mais ça fait du bien, ces mots inscrits tout entier dans la dureté d’une époque de merde qui n’en finit pas de se rétracter en elle-même pour y traquer le nœud gordien de sa faute. À partir de ce moment-là, le contrat est déjà rempli mais The Very Start ne s’arrête pas là et propose neuf autres flèches assassines qui font invariablement mouche : des chœurs habités de A Fish In A Net ou du merveilleux Tiger Song jusqu’aux encore plus écorchés Blackberries ou Would You Still Be Here, pas un seul titre qui ne soit marquant d’une façon ou d’une autre. Les mélodies fantomatiques, la couleur générale très ombrageuse, les mots qui claquent comme une trique, le paysage majoritairement désolé ne mettent jamais dehors et semblent n’exister que pour soi. Il s’avère dès lors impossible de ne pas se reconfigurer à l’unisson de ce que donne à entendre le disque qui devient immédiatement nôtre. Rien n’est en-dessous du reste et on abandonne tel morceau pour se vautrer dans le suivant - les gouttes de piano élégantes de Loner, l’orgue funeste de Dead Birds Fly ou l’épopée au long cours de Sailor - et la fin arrivant bien trop vite, on recale tout au début pour ne pas en rester là. Dans le même temps, on ne pouvait pas imaginer plus long, rien ne manque et la concision des morceaux intervient pour beaucoup dans l’envergure de l’ensemble. Bref, on l’aura compris, on tient là un petit bout de plastique qui dépasse infiniment son cadre, résonnant même quand on ne l’écoute pas. Un peu comme sa pochette dont le tunnel noir attire fortement et dément la simplicité du paysage environnant. C’est bien là le tour de force de The Very Start : on a souvent l’impression que ces chansons ont toujours été là et qu’elles nous ont beaucoup accompagné dans les moments spleeniques et renfrognés qu’elles habillent avec beaucoup de justesse.
Vibrant et simplement beau.
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