Le streaming du jour #1943 : Vitor Joaquim - ’Impermanence’ & HAN - ’Tuning the Invisible’
Après deux belles compils d’archives ces deux dernières années (ici et là), et une participation au dernier volume de notre compil IRM x Twin Peaks qui déconstruisait un documentaire sur Badalamenti et sa BO pour la série (Eye on the Donut, palme du titre fan service), le Portugais Vitor Joaquim donne enfin suite à proprement parler au superbe Geography de 2016 via deux projets distincts, complémentaires et subtilement divergents.
D’un côté il y a donc Impermanence, album solo où l’abstraction pulsée des textures microsoniques chères à l’ex tête de gondole du label ukrainien Kvitnu (cf. le chef-d’œuvre Filament), faites de glitchs et autres zébrures électro-acoustiques parfois tempétueuses (Suffering and Detachment), embrasse le lyrisme d’un drone ascensionnel en constante mutation (Gratitude and Contentment) dont les différents titres s’imbriquent et naissent les uns des autres comme les mouvements nébuleux d’une suite aux contours flous, incarnation de cette extase qui nous glisse entre les doigts de par notre inhabilité à vivre dans l’instant. Dans un monde de plus en plus impermanent, le vieillissement aidant, Vitor Joaquim laisse entrevoir - via les affleurements du violoncelle d’Ulrich Mitzlaff samplé sur Here and Now, la nostalgie des textures cristallines de Stillness, la lettre pleine de regrets et d’occasions manquées d’un morceau-titre scintillant d’onirisme hors du temps (un temps perdu ?) ou la voix tristounette d’Arvo Pärt hachée menue en interview sur le final Here is Where is All the Happiness That You Can Find - une mélancolie remplaçant peu à peu le bonheur insaisissable d’un présent déchiré entre souvenirs chéris et attentes jamais pleinement satisfaites.
Un bijou, qui culmine sur les presque 14 minutes de dub-ambient aux idiophones et carillons feutrés de Desire, oasis de sérénité qui se détraque peu à peu au profit d’un bouillonnement abrasif et angoissé :
Quant au premier album de HAN, collaboration avec son compatriote Emidio Buchinho (guitare, voix) plus de trente ans après la fin de leur projet pop de jeunesse (Clã), il voit le Portugais manier orgue, trompette et guitare électrique en plus de ses machines et se nourrir des interventions improvisées de trois musiciens aux cordes frottées et synthés pour déployer un univers nettement plus dissonant et hanté. Dès Retuning the Invisible, c’est une guitare aux cordes malmenées et digitalement triturées en temps réel par Joaquim qui mène le jeu sur fond de crépitements déstructurés et d’obscures nappes dronesques. Sur The Spirit of the Trees, il en est de même des crins discordants de Carlos Zíngaro (violon) et du sus-mentionné Ulrich Mitzlaff (au violoncelle toujours), évoquant dans le crescendo de tension des percussions boisées cette présence surnaturelle cachée dans la foret de toute éternité (ça ne vous rappelle rien ?), symbole, qui sait, de la fatalité. Qu’ils soient minimalistes et déglingués (Transitory, ou le saturé Bliss) ou plus fouisseurs et foisonnants (les 10 minutes arpégées et glitchées d’un Melancholia tout en reverbs droguées ou le violoneux Tristesse et Beauté qui porte bien son titre), les morceaux de Tuning the Invisible ne cherchent plus vraiment à matérialiser une philosophie ou des sensations mais bien une humeur, un vague à l’âme qui écartèle entre résignation devant les éléments (le bluesy Lament, bercé de lumière par le piano électrique et les synthés du cinquième homme Nuno Canavarro) et résistance désespérée.
Un autre chef-d’œuvre, en somme, pour donner corps au plus beau diptyque de l’année.
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