OXBOW - Thin Black Duke
Dix années, pas mal d’argent, des idées en pagaille et voilà le grand retour d’Oxbow. Ça s’appelle Thin Black Duke et c’est fabuleux.
1. Cold & Well Lit Place
2. Ecce Homo
3. A Gentleman’s Gentleman
4. Letter Of Note
5. Host
6. The Upper
7. Other People
8. The Finished Line
Déjà presque trente ans qu’Oxbow traîne ses guêtres dans le milieu de la musique underground. Nous sommes quelques-uns à nous souvenir de la sortie des explosifs Fuckfest ou King Of The Jews et de leurs accents typés America’s HxC. Sublimés par la sauvagerie d’Eugene S. Robinson, ces deux premiers opus laissaient pourtant présager de choses plus complexes, sortant des limites dans lesquelles nous les avions paresseusement trop tôt enfermés. On sentait bien alors que la férocité allait muter, qu’il en sortirait quelque chose d’indéfinissable parce que leurs morceaux bileux cachaient des trucs surprenants, fuyants et déviants qui appelaient forcément l’exploration future des chemins de traverse bien plus que des grands boulevards. On ne se trompait pas puisqu’au fur et à mesure des sorties, la rébellion punk et primale des débuts a laissé la place à une énergie plus cérébrale mais toujours aussi fiévreuse, faisant doucement entrer Oxbow dans la légende. Doucement, parce qu’avec sept galettes en trente ans, on peut dire qu’Oxbow prend son temps. Mais qu’importe, de notre côté, on ne s’en est jamais lassé. Après le phénoménal The Narcotic Story de 2007, place aujourd’hui donc à Thin Black Duke, un album absolument pas concept sur pas du tout David Bowie (enfin, si, concept sur le « Thin Black Duke » en question tout du moins).
Un disque suintant la douleur et à la bestialité domptée. Un disque aux relents de sécrétions corporelles et d’hémoglobine. Un disque Janus où le moindre adoucissement mène au combat, où les coups dans la gueule se transforment en gros câlins. Un disque aussi dont les sonorités suspectes participent à l’édification de grands morceaux. Un disque enfin dont on se doutait qu’il allait ressembler à ça mais qui prend tout de même par surprise. Un putain de chef-d’oeuvre. L’écoute de Thin Black Duke est une expérience quelque part entre la partie d’échecs contre Kasparov et le combat de free-fight. Difficile de ne pas faire d’association entre son contenu et la personnalité d’Eugene S. Robinson. Comme le bonhomme, la musique est à la fois nettement intellectuelle et complètement brutale… Un mélange dangereux. Alors, c’est vrai qu’il file vite mais voilà, les morceaux sont ahurissants. Basse fretless en avant, riffs biscornus à tous les étages, piano, sifflements, cordes vibrantes et pizzicatos, cuivres divers et toujours la voix d’Eugene qui râle, qui crie, murmure, caresse, balance ses coups et feule. Une orchestration dense, riche et raffinée (Joe Chicarrelli à la production fait une nouvelle fois des merveilles) habille désormais leur blues personnel, toujours des plus singuliers. Oxbow suit de loin la voie de The Narcotic Story, celle d’un rock sombre et élégant qui n’en demeure pas moins infiniment fracturé.
Chaleureux et accueillant tout autant que baroque, Cold & Well Lit Place plante immédiatement le décor et s’il rappelle évidemment l’album précédent, on voit bien vite que cette fois-ci encore, ça sera différent. Oxbow ose le rutilant, le très produit et pourtant, ça ne sonne jamais vulgaire. C’est au contraire très pur et très beau. Ecce Homo fait de même, ça feule, c’est disloqué mais les cordes apportent leurs strates à l’écorché et on reste complètement captivé. Les plaintes mi-susurrées mi-crachées qui habitent la voix se transmettent au cortex et on vibre avec elles. Juste après, A Gentleman’s Gentleman, derrière son ossature binaire et trop carrée, se révèle lui aussi complètement déviant. Vers la fin le piano s’échappe et en casse toute l’orthogonalité. Trois titres à peine qui laissent pantois et subjuguent fatalement. Le reste est à l’avenant. Letter Of Note, Host et surtout The Hupper, diamant brut parfaitement dosé aux arrangements exubérants, au texte magnifique et au parterre complètement sec. Idem avec Other People, son « It’s so cold in here It’s so cold in here it seems hot in here » résumant parfaitement la teneur du morceau et par extension, celle du disque tout entier. Thin Black Duke souffle le chaud et le froid, parfois à la même seconde et fait transparaître dans sa musique un nombre infini de nuances. Simple et complexe, très court mais très long eu égard aux échos qui peuplent la boite crânienne bien longtemps après son achèvement, on sent bien que celui-là aussi va durer.
Ce n’est pas The Finished Line qui démentira tout ce par quoi le disque nous a fait passer. Même mélange mystico-joyeux-triste très habité qui électrise l’épiderme, il termine Thin Black Duke de la plus belle des manières avec ses cuivres tour à tour majestueux et à l’agonie. Oxbow n’a jamais paru aussi domestiqué mais dans le même temps, la puissance perdure là où on ne l’attend pas. Dans les arrangements, dans le besoin que l’on sent vital de sortir des sentiers battus et de la routine. Même quand il se met en tête d’étoffer son squelette, le groupe le fait avec l’énergie du désespoir. Jusque-là, Oxbow sentait la rue, le cloaque et plantait ses crocs dans la jugulaire urbaine, désormais, il opte pour un intérieur cosy avec fauteuil en velours et beau parquet. Qu’importe, là aussi, il reste cet animal aux aguets près à vous sauter à la gueule. Derrière l’apparent apaisement, les lames de fond électriques et sombres perdurent, la dangerosité aussi.
Grand.
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