Afin de rester crédible, l’idée de rejeter de manière automatique un disque du catalogue Chez.Kito.Kat pourrait être tentante. Mais rien n’y fait, chacune des sorties du label est passionnante et Pagane ne fait pas exception à la règle.

Et pourtant, la première écoute de cet album, peut-être conditionnée par cet état d’esprit un poil négatif, n’a pas nécessairement généré l’enthousiasme que les suivantes produiront. Sh’napan n’oeuvre pourtant pas dans un domaine particulièrement difficile d’accès, mais la densité de ses compositions mérite d’être apprivoisée pour en déceler le nectar.

Reconnaissant ouvertement l’influence du catalogue Ninja Tunes, Charles Niles parvient néanmoins à délivrer un contenu sonore tout à fait personnel. Si l’on reconnaît l’héritage de ceux qui l’ont inspiré - nous allons y revenir - sa patte est parfaitement décelable, si bien que ce mélange d’abstract hip-hop et de downtempo évoque parfois Artaban, projet principal du Luxembourgeois entrepris avec son frère Max (Encas). Preuve de la singularité du producteur, donc.

Cela dit, il est forcément difficile de faire quelque chose d’absolument inédit avec ce type de musique électronique instrumentale. Le spectre des aînés apparaît donc, à l’instar évidemment de DJ Shadow ou DJ Cam. Mais pas seulement.

Il faut dire qu’avec la bagatelle de vingt et un morceaux, Sh’napan a pris le risque de s’éparpiller. Il parvient toutefois à jongler habilement avec les différents samples pour concocter un ensemble cohérent, si bien que Pagane prend davantage l’allure d’un puzzle dont les éléments s’emboîtent que celui d’un patchwork disparate.

La radicalité des rythmiques peut donc évoquer le son old school d’une version instrumentale des Beastie Boys (Trampoplin) tandis que lorsqu’elles lorgnent davantage vers le downtempo, c’est plutôt le fantôme d’Emancipator qui s’invite (Farvel). On n’est jamais très loin de DJ Shadow puisque la présence de samples vocaux sur Une Complète peut également faire penser au premier UNKLE, mais c’est à un autre disc-jockey, DJ Krush cette fois, que l’on pense régulièrement pour cette capacité à mêler des influences orientales à des nappes flegmatiques (Happpy Tristessa et Lee Van Cleef).

S’il nous avait épatés sur Flow avec Artaban, Charles Niles approfondit ici une oeuvre qui refuse de choisir entre hommage assumé et excentricité jusqu’au-boutiste. Sh’napan ressuscite d’une certaine manière un trip-hop instrumental qui, à force de chercher à se démarquer de ses précurseurs, a fini par perdre de sa substance. Pagane est un disque à la fois soyeux et aventureux, contenant et ambitieux, qui témoigne aussi bien de la maîtrise que de la créativité et l’intelligence de son auteur.