Le streaming du jour #1440 : Matt Christensen - ’A Lighted Year In View’, ’There Was A Line’, ’Adult Books’, ’Sleep’, ’Pour It Over Me’, ’Western Wall Improvisations’, ’Prowl’, ’Sun Worship’ etc.
Dur dur de savoir où donner de la tête ces temps derniers quand on est un fan de Matt Christensen. Depuis le plus classiquement americana mais très sympa Death of Anger il y a tout juste un an (on y retrouvait discrètement l’ombre de Mark Hollis qui plane de près ou de loin sur ses travaux en groupe comme en solo depuis une petite quinzaine d’années), ça n’est ainsi pas moins d’une quinzaine de sorties, pour la plupart autoproduites, qu’a lâchées via Bandcamp la tête pensante de Zelienople - et des Chevrons, dont le premier EP de reprises cotonneuses de la BO de Twin Peaks s’est malheureusement évaporé des internets.
On s’attardera en particulier sur les petits derniers, à commencer par There Was A Line dont l’intitulé et la citation pleine d’ironie du philosophe et savant perse Omar Khayyám que le Chicogoan met en avant en guise de liner notes semblent évoquer l’obscurantisme 2.0 dans lequel ISIS ambitionne de plonger le monde libre. On y retrouve le Zelienople Brian Harding à la basse et des renforts clavier/batterie autour de la guitare volontiers engourdie de l’intéressé, tout comme sur le suivant A Lighted Year In View sorti ces jours-ci et plus léger dans sa thématique comme dans son cocon musical au chant posé et apaisé - même sur l’ambigu I Brought A Knife, le morceau americana du lot non moins vaporeux ceci dit, dont la version originale virait bien free et dissonante sur plus de 10 minutes au printemps (sur l’excellent Sea Bells EP).
Petit bijou d’impressionnisme en suspension, ce dernier album en date parvient à marier mieux que jamais folk à l’anglaise et ambient à synthés (Hold The Line, Never Think I’ll Fall In Line For You) sans pour autant se départir d’incursions plus osées à l’image d’un Breakers aux roulements de batterie évocateurs de quelque rite païen de retour à la nature, ou du final opiacé All Of Our Lending Eyes où les reflux de claviers saturés et de guitare noyée sous les effets prennent nettement le dessus :
Logiquement, There Was A Line est pour sa part plus sombre, fantomatique et lancinant à l’image du drone de clavier clair-obscur et des légères discordances électriques de l’introductif You’re Alive, Just Like Me, des oscillations de synthé analogique presque gothiques du plus déconstruit et hanté I Was Old Enough To Know Better ou des saillies vocales hallucinées d’un Happy Doll perdu dans un brouillard ambient-folk entêtant. Quant à Lifeless On The Sea, le titre de cette épopée ouatée de 12 minutes parle de lui-même, sommet de rêverie ambient/post-rock façon Labradford qui troque à mi-parcours les saturations et accents jazzy au profit d’une fascinante divagation kosmische faisant la part belle aux synthés vintage et autre guitare arpégée aux réverbs délicates :
Un chef-d’œuvre donc, à l’image des deux précédents longs formats Honeymoons et October dont malheureusement seule une moitié de morceaux est dispo à l’écoute, label oblige pour le premier, sorti chez les Norvégiens de Miasmah. On aura toutefois d’autres occasions de revenir en fin d’année sur ces deux sommets discographiques au minimalisme majestueux, Honeymoons tout d’abord, marqué par l’épure ample et avant-gardiste d’un David Sylvian aussi bien dans le chant de Christensen que pour ses beats électroniques savamment égrenés, tandis qu’October, également en solitaire, abandonne le micro au profit d’un vortex dense et solaire de guitare méditative et de synthé Korg.
Mais pour en revenir aux œuvres majeures et collaboratives, on se devait de remonter le temps jusqu’au mois de mars où Adult Books, signé en quintette, ravive cette flamme évanescente des derniers opus de Talk Talk sur laquelle Zelienople souffle régulièrement d’un peu plus loin, des allures de Laughing Stock qu’on aurait croisé avec Gastr Del Sol pour les élancements magnétiques de cuivres et de synthés (Adult Coloring Book, Spies) ou autres discordances guitares/électronique (How Did You Find Me ?) qui émaillent ces errances vaguement jazzy au confins d’un subconscient tourmenté et d’une océan de silence. Court mais indispensable :
Également construit comme une série de mouvements mais plus ambient cette fois et enregistré en solo, on s’intéressera forcément à Sleep, sa première sortie de l’année (en réalité lâché sur Bandcamp pour une courte durée l’an passé, supprimé on ne sait trop pourquoi puis remis en avant en janvier dernier à la demande des fans) dont le titre était loin de donner le ton de la frénésie créatrice à venir. Soit six instrumentaux joués au Fender Rhodes dont les songes plus ou ou moins sereins (Part 5) ou quelque peu troublés sous la surface (Part 2, Part 4), qu’on y entende clairement les accords cristallins du clavier (Part 6) ou seulement des nappes d’harmonies éthérées (Part 1, Part 3), s’emboîtent à la perfection et ne sont pas sans évoquer cette fois encore le compositeur lynchien Angelo Badalamenti, influence avouée sur laquelle on aura l’occasion de s’attarder bientôt en compagnie de l’Américain (nos lecteurs fidèles en sauront plus bien assez tôt) :
Même concept mais versant folk cosmique et naturaliste le mois suivant avec From Childhood And Now. Légèrement plus lo-fi cette fois, une belle réussite de plus lorsque l’on aime que la musique se passe de mots :
Et justement, passons un peu plus rapidement sur les hommages (étrangement ?) dénués de paroles aux écrivains Bukowski, bluesy comme il se doit, et Jack Black (moins connu celui-là, voleur et clochard c’est sûr que ça aide pas mais figure tutélaire pour tout un pan de la Beat Generation néanmoins) avec You Can’t Win, lequel donne dans une folk atmosphérique plus onirique et luxuriante. De très beaux moments sur ces deux-là aussi évidemment, mais dans le même esprit de méditations guitaristiques on leur préfèrera en trio le très ample et planant Pour It Over Me, à la croisée de Zelienople et de Spain :
... ou surtout le minimalisme quintessentiel des sublimes Western Wall Improvisations, par Matt tout seul à la six cordes avec un soupçon de synthé :
Enfin, pour en terminer sur une touche plus ovniesque, il ne fallait oublier ni le surprenant Prowl aux vocalises tellement lointaines et noyées dans le hiss qu’elles en deviennent indiscernables du background de drones poussiéreux irrigant ces instrumentaux dub techno :
... ni Bedroom Community, offert au libre téléchargement pour la promotion d’Honeymoons et associant sur une petite demi-heure guitare slide ou bluesy et synthétiseur Hyve aux fascinantes sonorités rétro-futuristes oscillantes et pulsées :
... et encore moins ce drôle de disque qu’est Sun Worship, ode à l’Afrique qui réinvente le folklore du désert à l’époque de la conquête spatiale (Mountain Of Fire) et des stupéfiants synthétiques (Hot Taxi, avec de gros bouts de Sun Ra dedans) :
... et voilà c’est tout. Enfin, jusqu’à la semaine prochaine sûrement. Pas vrai Matt ?
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