Le streaming du jour #1405 : Beajn - ’Eclipse’
Beajn est l’un des secrets les mieux gardés de la sphère musicale actuelle. En atteste le fait qu’il ne compte que quinze bienheureux abonnés à sa page Facebook alors même qu’il fait partie de ces rares artistes en mesure de proposer quelque chose de novateur sur le plan électronique.
Il y a quatre ans, l’Américain nous avait charmés avec l’excellentissime Naeco, chaudement recommandé au sein de cette même rubrique. Le musicien s’est fait tellement discret depuis - quelques faces B publiées sur sa page SoundCloud pour seule trace de vie - que nous avons bien failli passer à côté d’Eclipse, second opus sorti quelques semaines avant l’été.
Beajn n’est pas un fin communicant et il semble se moquer éperdument de cet aspect. L’ensemble de son énergie et de ses vibrations semble être investi dans la création musicale. Avec brio, car dès les premières mesures de Sent Shadows, on retrouve ce qui avait fait le charme de Naeco : nappes de synthétiseur traînantes et boucles à priori répétitives mais emplies de nuances cohabitent pour former un doux voyage onirique à classer auprès du The Campfire Headphase de Boards of Canada.
La suite du disque est à l’avenant et l’on redécouvre ce son typique et reconnaissable entre mille que Beajn déclinait déjà sur Naeco (Dreamcatcher, Ago). Toutefois, quelque chose a changé en une olympiade, et Autochrome est un cas d’école pour l’observer. Les "tics" chers à l’artiste sont toujours présents mais certaines nappes contiennent une atmosphère plus tourmentée.
Eclipse est plus minimaliste que son prédécesseur (Wave Breaker) et intègre des distorsions moins solaires (Eclipse). Témoin du monde dans lequel il évolue, Beajn n’est sans doute pas plus heureux qu’il y a quatre ans. Cela semble être un euphémisme, et l’on observe dans ses propos une forme de résignation propre à ceux dont le moral n’est pas au beau fixe. Se contentant de trois paragraphes laconiques pour présenter son disque, le Floridien n’hésite pas à annoncer qu’il pense "que c’est le dernier de [ses] travaux en tant que Beajn". Les difficultés techniques - un crash informatique et la restauration partielle des données - peuvent aussi expliquer en partie cet état d’esprit.
Eclipse est néanmoins paradoxal en ce sens qu’il dégage une impression de légèreté. D’insouciance également. Comme si ces nuances émotionnelles ne parvenaient pas à prendre le dessus sur l’émerveillement qui se dégage des compositions d’un artiste qui reprend vite du poil de la bête en annonçant qu’il "veut porter son attention sur d’autres projets", assurant que "la musique restera toujours une passion pour [lui]".
Nous voilà rassurés. Si l’entité Beajn est peut-être arrivée en fin de vie - nous ne sommes pas obligés de le croire - l’Américain ne devrait toutefois pas mettre un terme à ses activités musicales.
Ériger un artiste comme une référence après seulement un album peut sembler audacieux. Mais Naeco était tellement abouti que nous étions certains de miser sur le bon cheval. Nous ne sommes pas déçus par cet Eclipse qui va peut-être même au-delà de nos espérances en s’affirmant comme une suite cohérente à son prédécesseur, tout en étant abordé selon une perspective différente. En somme, si Naeco était le Kid A de Beajn, Eclipse est assurément son Amnesiac. Le compliment n’est pas anodin, mais amplement justifié.
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