Tropical Trash - UFO Rot
Très punk, un peu avant-rock, toujours fuselé, UFO Rot balance d’abord des pains à qui mieux mieux. Puis Tropical Trash évolue entre les deux faces, abandonnant sa rapidité en cours de route pour explorer des abords autrement plus lourds.
1. New Flesh )
2. DNA Smoke
3. UFO Rot
4. Heeshaw Collider
5. Vertical Gang
6. Fat Kids Wig
7. Leisure Exposure
8. Knowing
9. Pink Sweat
UFO Rot est assez déconcertant. On y entend toute l’évolution d’un groupe qui n’est plus tout à fait le même entre le moment où il clôt l’album et celui où il l’a commencé. Tropical Trash mute d’une plage à l’autre, abandonnant progressivement le punk rock irradié et exécuté pied au plancher des premiers titres (New Flesh, DNA Smoke et quelques autres) pour aboutir aux huit minutes partagées entre noise et doom du Pink Sweat final, un brin expérimental mais surtout magistral. Habituellement, le changement de paradigme prend quelques années quand, ici, il ne prend que quelques titres. On passe d’un early-Black Flag qui aurait bouffé les Swell Maps à une sorte de Shellac en beaucoup plus doom sans vraiment s’en rendre compte. Et tout du long, Tropical Trash reste intéressant. Son hardcore métissé, en picorant à droite à gauche, se montre particulièrement accaparant. De prime abord borné et recroquevillé sur la pulvérisation de l’obstacle, le groupe ouvre ensuite les fenêtres en grand, abandonne la concision et multiplie les minutes en cours de route. Du coup, ça va vite mais ça finit par ralentir, l’up-tempo devient mid-tempo et le metal de plus en plus présent. UFO Rot reste un pied rivé dans le punk tout du long mais l’autre se fait la malle et sort du pré carré originel pour s’aventurer de plus en plus loin et de plus en plus ailleurs. On pourrait en outre croire que la formule manque d’originalité alors qu’il n’en est rien : le feedback permanent, les claviers dissonants et un usage régulier de la répétition maladive habillent une grande majorité de titres, leur donnant un côté rigide et intrigant. Les voix volontiers traînantes quand elles ne sont pas éraillées prennent souvent le contre-pied de la rythmique, ce qui a pour effet de positionner le tout dans l’entre-deux : basse et batterie bûcheronnent et le reste trace la route de son côté, l’enlevé côtoie le patraque souvent au sein d’une même plage.
Les premiers morceaux vont vite, s’enchaînent précipitamment, l’un venant chasser l’autre après deux minutes, rarement plus. UFO Rot agit alors comme un rouleau-compresseur que rien n’arrête. Guitare plombée en avant, basse binaire en-dessous et batterie psychorigide au milieu, les deux voix habillent ce qu’il reste et le silence parfois aussi (voir l’arrêt incongrus en plein milieu du très véloce Heehaw Collider). Tropical Trash évoque tout un tas de choses mais tire toujours sa singularité d’un élément inattendu : une diction traînante quand tout autour, tout se déploie à la vitesse de l’éclair, une giclée vicieuse de fuzz qui vient pervertir l’ossature autrement bétonnée d’un morceau ou l’extrême lenteur planquée en fin de disque quand tout s’est jusqu’ici plutôt précipité. C’est peu dire que les neuf minutes de Knowing prennent par surprise. Bourdon maousse sur fond de percussions martelées, le trio change de braquet. Il a connu le bonheur de la descente, il s’en va maintenant goûter les affres de la montée sans vraiment jamais décoller. Il poursuit péniblement l’ascension sur l’à peine plus court Pink Sweat (une face rien que pour ces deux-là) porté par une ligne de basse que n’aurait pas reniée David Wm. Sims. Punk rock jusque-là, Tropical Trash s’en va maintenant frayer dans des eaux carrément doom mais toujours tumultueuses, à tel point que l’on a du mal à croire qu’il s’agit du même groupe. Les voix ont abandonné leur tessiture patraque pour se vautrer dans le râle et le hurlement ; la dynamique allait droit devant, elle explore désormais les tréfonds ; la guitare balance son lot de larsens qui zèbrent d’estafilades brûlantes la surface du vortex bien noir ainsi créé. On n’est plus du tout pulvérisé mais plutôt consciencieusement écrasé. Et Tropical Trash reste cohérent tout du long, aussi à l’aise dans la vitesse que dans l’extrême ralentissement. On pourrait reprocher au disque le flou qu’il entretient en quelques titres mais c’est précisément ce qui lui confère tout son sel. La mise au point n’est jamais achevée, les contours continuent à baver et on ne s’ennuie jamais.
Premier long format de Tropical Trash, UFO Rot frappe fort et fait mal. Sortant conjointement sur Load Records (pour les Etats-Unis) et Riot Season (pour l’Europe), on tient là une franche réussite, un disque en tout point accaparant, axé sur la répétition cinglante sans pour autant être le moins du monde répétitif. Ça va vite mais pas seulement, c’est lourd mais c’est aussi fuselé et sans la moindre once de graisse, c’est complètement punk, mais c’est aussi bien doom, c’est un peu tout mais jamais son contraire. Une chouette équation que l’on écoute souvent, en espérant que les trois du Kentucky déroulent rapidement d’autres paradoxes et continuent à évoluer d’un morceau à l’autre.
Saisissant et avant tout, brillant.
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