Le streaming du jour #1307 : Isolat - ’Trilogie de la précarité’
Les fûts sont sur le fil, les mélodies subliminales, même l’électricité tressaute puisqu’on va bientôt te la couper. C’est la noise précaire d’Isolat et ça te dit que même en période de vaches maigres, à condition d’avoir une gratte désaccordée, un piano délabré, un saxophone grippé, des peaux à tabasser et un vieil ampli au grenier, il restera toujours la liberté.
Dans le rouge, c’est la panique d’une fin de mois difficile, toute en ruptures - de rythmiques, de larsens, de découvert autorisé ou même de liens sociaux tant chacun joue un tout petit peu plus pour soi qu’avec les autres - et en digressions déglinguées. C’est sûr, ça manque un peu d’ampleur dans le son mais ça sent bon l’enregistré maison entre un frigo désespérément vide, une tapisserie qui prend l’eau et un vieux fauteuil éventré, ça tombe bien on peut pas tout avoir, la crise y va falloir t’y faire.
Parce que forcément, avec la moitié batracienne de Le Crapaud et la Morue (son compère prêtant nageoire à la guitare) et une paire d’improvisateurs du Collectif Musiques Radicales aux manettes de ce nouveau projet, Isolat donne dans le lo-fi pur jus, jusque dans le drôle de funk nihiliste qui ouvre au saxo cacochyme sur fond de syncopes afrobeat la course au fusible grillé de l’acte suivant. Qu’est-ce que C’est noir, on n’y voit que dalle dans cette piaule pleine de câbles et de pédales à effets... bientôt, piano tâtonnant et batterie heurtée prennent anxieusement le relai tandis qu’on essaie tant bien que mal de se frayer un chemin entre les cadavres de bières jusqu’au compteur qui n’avait pas sauté, ça doit être le chèque qui n’est pas passé.
Mon Pauvre, c’est tellement la dèche qu’au début de la fin on n’ose même pas trop la ramener. Un roulement de toms timide par-ci, un pianotage à peine audible par là, un coup de cymbale défiant mais prudent, une plainte étouffée du sax, mais faudrait pas croire qu’on va se laisser piétiner pour autant, on a beau s’accommoder de peu, c’est sûrement pas pour ça qu’on n’a rien à offrir (à commencer par le disque qui se télécharge librement, ben tiens) ou à revendiquer, peu importe si ça n’est pas clair ou si ça ne l’est que pour soi. La cacophonie qui s’ensuit donne ainsi à entendre une voix sans équivalent, entre révolte free, fuite en avant, bouffée d’espoir jazzy, hymne au je-m’en-foutisme crasse (un bonobo asthmatique aurait mixé l’album, payé avec des cacahuètes sans doute) et un semblant de requiem pour cette urgence que l’on préfère s’imposer que subir. Et le retour au calme sera d’autant plus saisissant qu’il sera précaire, on ne se refait pas !
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