LAS Vegas - Exit
Un souffle désertique, chargé de fantômes, un paysage aride qui touche infiniment. Exit de LAS Vegas provoque beaucoup avec très peu. Less is more et cætera.
1. Grand
2. Scissors
3. Hole Man
4. Haku
5. White Snow White
6. Cream
7. Lucre
8. Champagne
9. Black Lily
C’est vraiment étonnant de prendre un tel patronyme lorsqu’on joue avec une telle économie. Car LAS Vegas avance avec quelques beats pelés, quelques effets rachitiques, une guitare écorchée et des voix qui s’entremêlent, celles de Dominique Van Cappellen-Waldock et d’Eugene S. Robinson. C’est près de l’os. Régulièrement hanté aussi. Un peu tout le contraire du kitsch et du carton-pâte que l’on attribue habituellement à la ville électrique sise au cœur du Mojave. Ici, on est plus près du Las Vegas glauque et blafard conté par le Gun Club. Dans l’esprit tout du moins car en ce qui concerne la musique, ça n’a évidemment rien à voir. Exit frôle en permanence l’absolue lenteur et grandit dans l’épure et pourtant ses morceaux se déploient miraculeusement. Ils provoquent beaucoup et touchent infiniment. Des fractures élégantes de la guitare jusqu’à la voix mi-parlée mi-chantée de l’une, des poum-tchak arides jusqu’aux suppliques de l’autre, tout est sec, tout écorche et râpe et ce n’est pas l’électronique discrète qui viendra passer du baume sur les plaies. C’est bien ça aussi qui étonne, que l’humain soit si discret dans ce disque si profondément humain. Hématomes et bleus à l’âme, espoir et course en avant, se casser la gueule mais se relever ou bien rester par terre en position cruciforme, la paume des mains orientée vers les nuages. On pourrait détailler les morceaux mais on finirait par toujours retomber au même endroit, les mêmes mots mis bout à bout pour tenter de circonscrire l’ambivalence d’Exit, quelque chose comme un désert luxuriant, une jungle pelée et tout autre oxymore à même de décrire l’impalpable et le latent. Prenons White Snow White par exemple : des beats fatigués, la procession de la guitare qui, lentement, égrène ses notes, la voix d’Eugene, seule d’abord puis mêlée à celle de Dominique, des claviers délavés et basta. Pas grand chose en somme. Et pourtant. Pas une seconde sans que le poil ne se dresse sur l’épiderme et que de discrets frissons ne le fassent vibrer. Un morceau qui porte en lui toute la résignation et tout le poids du monde. Avec trois fois rien, LAS Vegas dit tout.
Les titres comme celui-ci constituent l’ordinaire d’un album configuré pour l’enracinement : de prime abord, simple caillou pelé où rien ne se passe, il se métamorphose progressivement en miroir. On l’écoute et il s’insinue pour converser avec les idées noires mais pas seulement. Loin d’être guilleret, Exit n’est pas non plus dramatiquement désespéré et brandit une large palette d’émotions. Coincé entre le gris clair et le très foncé, il utilise des mots simples qui veulent dire beaucoup. L’habillage minimaliste met en exergue le jeu des deux voix. Eugene S. Robinson balance ses déclamations habitées et contrites où se mêlent toujours colère et aliénation, parfait contrepoint aux interventions de Dominique Van Cappellen-Waldock qui chante comme elle joue de la guitare. Sa voix et ses riffs (et son thérémine) semblent venir du plus profond d’elle-même, l’une souligne les autres et réciproquement. Tout est viscéral dans ce disque, un cri cathartique et primal mais au ralenti dont la libération fait beaucoup de bien. On pense un peu à Oxbow (celui de The Narcotic Story) mais aussi à P.J. Harvey (celle de Dry et To Bring You My Love) , pas ce qui se fait de plus lisse, vous en conviendrez. Kris Engelen (claviers funèbres, programmation fantomatique) et Raphaël Rastelli (programmation aussi) apportent beaucoup et participent pleinement à l’édification des spectres qui peuplent le disque : sans eux, tout serait terne et sans relief ou au contraire trop démonstratif. Ils savent toujours trouver la parfaite distance qui fait si bien sonner Exit. Ils accompagnent et contredisent aussi, à l’image du Black Lily final, dernier morceau surprenant, taillé pour le dancefloor. Mais un dancefloor cérébral, celui où l’on ne danse qu’avec soi-même. Le tempo, pour la première (et dernière) fois accélère et cela n’entame en rien la majesté de l’ensemble. Cet équilibre surprend pour un premier disque mais il faut dire que tout ce petit monde à déjà bien roulé sa bosse et c’est d’ailleurs parce qu’il a posé son blues sur l’un des morceaux de Baby Fire, groupe où officie Dominique Van Cappellen-Waldock, qu’Eugene S. Robinson s’est jeté dans LAS Vegas. Raphaël Rastelli, quant à lui, collabore avec la guitariste au sein des doomeux mystiques de Von Stroheim et Kris Engelen débarque des rivages industrialo-ambient de Lost.
LAS Vegas n’est pas qu’une simple collaboration, c’est un véritable groupe, c’est bien ce qui fait la différence. Et que tout se soit créé à distance, la branche bruxelloise envoyant ses fichiers à l’Américain pour qu’il y pose sa voix et habite les morceaux, a de quoi laisser pantois. Une preuve supplémentaire qu’Exit dépasse la somme de ses intervenants et que sa musique exhale un souffle vital qui ne demandait qu’à sortir. Squelettique et moribond en apparence mais chargé d’un dense réseau de significations. Un souffle qui accapare et que l’on fait sien immédiatement. Exit est un générateur d’émotions véritables, on attend donc impatiemment une suite pour LAS Vegas.
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