Bilan 2015, un casse-tête chinois - part 11 : Albums #10 - #1
Le casse-tête prend fin, casse-tête pour trouver 5 minutes par-ci par-là surtout comme en atteste cette dernière publication plus que tardive. Qu’importe, les meilleurs disques étant ceux qui résistent à l’épreuve du temps et ces dix-là l’auront assurément prouvé pour moi, des marottes en rotation lourde sur le mp3 aux splendeurs que l’on ne ressort qu’une fois tous les 6 mois pour en garder intacte l’ivresse des profondeurs.
10. L A N D - Anoxia
Sortis d’on ne sait trop où, Daniel Lea et Matthew Waters nous avait déjà gratifiés en 2012 d’un petit bijou de darkjazz aussi intrigant qu’envoûtant, séduisant même David Sylvian invité à tenir le micro pour apaiser de son spleen fatigué le saxo névrotique et la tension feutrée des percussions façon Talk Talk (cf. New Grass sur Laughing Stock) d’un morceau de cet hypnotique Night Within, tout autant redevable au krautrock de Can qu’aux explorateurs de douceurs obscures du Kilimanjaro Darkjazz Ensemble. Plus tribal et noisy que son prédécesseur et toujours estampillé du label qualité de la trop méconnue écurie expé Important Records (Merzbow, Eleh, Master Musicians Of Bukkake, Nadja...), Anoxia se pare de drones oppressants aux airs de vents mauvais et ne se départit jamais de cette atmosphère anxiogène de dystopie urbaine convoquant l’indus vaudou d’un Cut Hands - pour ces rites jusqu’au-boutistes de percus métalliques sur Neutra, End Zone ou le morceau-titre - comme les circonvolutions dark ambient cryptuaires et damnées du Kreng des deux premiers opus. A découvrir d’urgence.
9. William Ryan Fritch - Music For Film Vol. I
On parlait d’ivresse, c’est comme toujours la sensation qui domine la trentaine de vignettes constituant cette fausse BO (qui compile néanmoins nombre de travaux commissionnés pour des courts-métrages, longs-métrages et autres installations multimédia) et véritable album cohérent (par la magie de l’agencement, un titre composé par l’Américain pour son propre mariage trouve même sa place dans la narration), des instrus souvent courts et pourtant non moins écrasants de lyrisme et de mélancolie qu’à l’accoutumée. Entre foklore ethnique et classical ambient capiteux, romantisme et fatalisme, Music For Film Vol. I carillonne, vibre, gronde et nous emporte dans un flot d’émotions à fleur de peau, le très inspiré Californien du label Lost Tribe Sound - déjà sur mon podium de l’année précédente en tant que multi-instrumentiste et arrangeur du dernier opus de Death Blues - faisant oublier les incursions chantées de ses récentes et décevantes sorties libellées W.R. Fritch (Leave Me Like You Found Me, Emptied Animal ou même Revisionist, un cran au-dessus grâce à ses prestigieux vocalistes invités) pour revenir à ce qui faisait tout le prix des chefs-d’œuvre signés sous l’alias Vieo Abiungo : ce sens de la dramaturgie décuplé par une utilisation viscérale des cordes et des percussions, arpèges et drones violoneux tourbillonnant de concert, quelque part à la croisée des sérénades de guitare spleenétiques d’un Gustavo Santaolalla à son meilleur et des élégies orchestrales du compère Christoph Berg aka Field Rotation.
8. Other Lives - Rituals
"Après deux albums remarqués pour leur intensité baroque et finement arrangée à la croisée de l’économie de moyens d’un The National au top de son inspiration et des fleurons de la chamber folk moderne tels que Midlake ou Bowerbirds, le trio de barbus de Stillwater, Oklahoma s’est affranchi pour de bon de l’étiquette indie rock au point de se mettre une bonne poignée de fans à dos avec ce Rituals élégiaque porté par une production subtile aux confins de l’électronique et du post-rock. Qu’importe, le temps donnera raison à ce chef-d’œuvre de pop impressionniste aux épopées plus feutrées dont l’ensemble dépasse largement la somme des parties, rivalisant de lyrisme aérien et de grâce saisie dans le givre avec les plus belles réalisations d’Efterklang et de Sigur Rós. Mélodies mouvantes et vocalises acrobatiques se mêlent sans jamais verser dans le trop-plein aux rythmiques païennes et aux orchestrations et chœurs majestueux, cordes, piano, synthés et cuivres étayant la dynamique répétitive façon Philip Glass ou Steve Reich des beats et percussions pour générer un souffle cinématographique assez irrésistible, qui n’a jamais besoin d’éclater véritablement pour nous emporter dans ses élans d’émotion séraphique."
< top pop/rock 2015 >
7. Chris Weeks - Black Hole
Si mon emploi du temps le permet, il me faudra bien vous toucher un mot des très beaux EPs sortis par l’Anglais l’an passé, en tant que Kingbastard - ceux-là on vous en a d’ailleurs touché un mot ici puis là - mais pas seulement puisque décembre aura su réserver aux amateurs de marées drone stratosphériques deux des courts formats les plus imposants de ce cru 2015 (le dernier en date et meilleur ici). En attendant, plus qu’aux trois-quarts d’heures psyché-kosmische du bien-nommé et très bon Trip, c’est à Black Hole que le stakhanoviste de l’écurie Odd John doit sa 5ème inclusion en quatre ans dans mon top ten de fin d’année, odyssée de l’espace en deux parties antagonistes dont les radiations d’antimatière s’extraient tout d’abord d’un néant abstrait par un fascinant jeu de miroirs ultra-minimaliste (Event Horizon) avant d’entamer leur abrasive et mystique expansion à la façon d’un univers soudain libéré d’un boson (Singularity), envahissant l’espace sonore jusqu’à submerger notre perception. Impressionnant.
6. From The Mouth Of The Sun - Into The Well
Des puissants crescendos de bruit statique pour ballet contemporain de Vowels aux comptines acousmatiques de fin d’hiver de The Forest Diaries, Dag Rosenqvist a œuvré cette année dans le plus austère minimalisme, qu’il soit texturé et désincarné ou organique et presque chaleureux aux entournures, à l’instar de son compère Aaron Martin mêlant les deux extrêmes sur le tout aussi épuré A Pulse Passes From Hand To Hand aux flux et reflux instrumentaux néanmoins poignants de mélancolie. De bien beaux disques en somme mais rien qui tienne la dragée haute à leur faramineux Woven Tide de 2012 jusqu’à ce que soit réactivé, enfin, leur projet From The Mouth Of The Sun. Car c’est finalement dans la majesté des arrangements, flirtant avec une certaine luxuriance sans jamais tomber dans l’emphase ou le chantage à l’émotion, que s’épanouissent le mieux les compos crève-cœur de ces deux bons samaritains du classical ambient, percussions tintinnabulantes, pulsations numériques et drones choraux séraphiques soutenant le spleen abyssal des cordes lancinantes et d’un piano d’un autre temps, du moins jusqu’à ce qu’un orgue ne vienne à imposer sa présence solitaire, dominant le final d’un morceau-titre de plus de 11 minutes comme pour mieux rappeler que d’une tragique isolation peut parfois naître la plus sincère des compassions.
5. Ævangelist - Enthrall To The Void Of Bliss
"Complètement malsains et dégénérés comme à l’accoutumée et pourtant capables d’incursions baroques d’une beauté ténébreuse et glacée, les Portlandiens d’Ævangelist libèrent la Bête et déchaînent le jugement dernier sur nos têtes tout en ouvrant leur musique à des horizons toujours plus ambitieux. Exit le jazz malade de l’opus précédent, mais le court Alchemy use ainsi sans complexe de beats électroniques aux allures de battements cardiaques. Fidèle à son ésotérisme malveillant, le groupe n’en oublie pas pour autant les fondamentaux des genres qui l’ont vu naître, et c’est finalement sur le maelstrom de damnés d’une Meditation Of Transcendental Evil que culmine cet équilibre idéal entre jusqu’au-boutisme black bestial et avant-gardisme charnel, les lamentations d’âmes suppliciées que lacèrent une myriade de guitares déglinguées et de lames de bruit blanc laissant place au growl pervers de leurs bourreaux dans un déchaînement de futs martelés et de riffs lancinants, instruments d’un éternel tourment entre les pattes de cette chimère metal sans équivalent."
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4. Backburner - Eclipse
Impossible de m’en passer plus d’une semaine de cet album, qui condense à peu près tout ce que j’aime dans le hip-hop : à la fois épique et décontracté, rigolard et pourtant loin d’être aussi friendly qu’on pourrait le croire (Nothin’ Friendly, proclame meme le crew d’Halifax sur un final galvanisé par les cuivres en cinémascope du compositeur Alan Silvestri) voire même carrément dark et angoissé aux entournures sur un milieu de disque qui prend légèrement plus de temps à s’imposer que les tubes immédiats Death Defy, Bottle Caps ou Bad Lieutenants (cf. les décadents Creepy Crawly et Future Shock avant la triplette d’anthologie dont je parlais ici), sous tension constante en dépit d’un esprit nerdy multipliant les références SF, heroic fantasy, ciné, comics, gaming, mythologie, etc... On y entend du jazz et des scratches enflammés, des basses rondes ou rampantes et des flows singuliers (Timbuktu, Jesse Dangerously, Worburglar, More Or Les font partie des MCs les plus emballants du paysage alt-rap si ce n’est du hip-hop actuel tout entier), des riffs de guitare coolissimes et des collages de samples alambiqués, le Wu-Tang Clan, Björk et les Beastie Boys, de l’irrévérence enrobée de pop culture, du respect pour les pionniers d’un hip-hop ludique et intelligent que le mainstream a nivelé par le bas et du futurisme en veux-tu en-voilà dans la production des géniaux Fresh Kils, Mister E, Savilion. Bref, vive le Canada, goûtez-y vous aussi si ce n’est déjà fait, vous n’en reviendrez pas.
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3. Lifecutter - Siclar
"Suite du joyau noir Aux Eardrum, premier EP sorti tout juste un an auparavant et toujours librement téléchargeable via Bandcamp, Siclar en perpétue la sensation d’enfermement, de martèlements mathématiques ultra-minimalistes en dérèglements saturés de machines en révolte, mais surtout cette tension névrotique qui se combine aux radiations angoissées des drones au second plan (Dark Marrow) pour insuffler force urgence et schizophrénie (cf. l’acharné Medulla à la limite de l’implosion) dans cette rhythmic noise bien viciée et moins mécanique qu’il n’y paraît. Les beats claquent sur l’acier en fusion au son des sirènes de sécurité (Siclar), cognent sans relâche sur l’enclume et relâchent leur gaz sous pression (l’épique Pulse Ventor). On pense à Pan Sonic, Alec Empire bien évidemment (Cortex et ses relents old school de digital hardcore), plus récemment Sturqen mais surtout à l’impressionnant The Power And The Glory de Perc pour cette capacité à déjouer les fondations répétitives d’un genre qui ne cesse ici de muter au gré des compositions mouvantes et hallucinées du Slovène Domen Ucakar (Ontervjabbit, Icarus Down, Neon Spektra)."
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2. 2kilos &More - Lieux-Dits
De mémoire récente, ou de mémoire tout court d’ailleurs, à l’exception des géants Picore et de leur tout aussi démesuré et terrassant Assyrian Vertigo, on en aura peu vu des groupes français capables d’une telle ambition dénuée de toute concession sans pourtant rimer avec l’expé le plus abscons. Et c’est qu’en plus les Parisiens Séverine Krouch et Hugues Villette ont des antécédents, souvenez-vous d’entre3villes qui trempait déjà l’électronica d’emblée bien hypnotique et corrosive de son prédécesseur 8floors Lower dans une solution sulfurique de post-rock, d’électro-indus et d’ambient irradiée, avec les premières apparitions spontanées au micro de Black Sifichi et Phil Von (de Von Magnet, échappé de peu au présent bilan avec l’excellent Blind Ballet). Le cul entre 3 chaises en somme et pareil en mieux sur le génial kurz vor5 trois ans plus tard, des frictions organico-synthético-abstraites qu’habitaient les impros vocales hallucinées des mêmes intervenants entre deux instrus abrasifs et pulsés aux contrastes incandescents. Tout aussi puissant voire meilleur encore, Lieux-Dits offre un boulevard au spoken word rauque et nihiliste du New-Yorkais premier nommé avec trois diamants noirs, bruts et néanmoins affûtés à l’extrême, sur les neuf que compte ce quatrième opus aux progressions ardentes, tantôt planantes, urgentes ou barbelées voire un peu des trois à la fois... ce qu’aurait pu donner s’il fallait se risquer à l’exercice prisé de la comparaison - d’autant plus réducteur ici que l’objet s’avère défricheur - le Death In Vegas circa 1999 revu et corrigé par les compères franco-belges Tzolk’in du même label Ant-Zen avec un Plaster à la production et Black Sifichi dans la peau d’iguane d’Iggy Pop ?
1. The Fucked Up Beat - Europa
Jamais aussi actifs que depuis l’annonce de leur séparation, les New-Yorkais Eddie Palmer (Studio Noir, c’est lui aussi) et Brett Zehner ont trouvé dans le contexte politique ricain matière à raviver leur paranoïa pré-chute du mur de Berlin. En témoigne l’excellent Why I Want To Fuck Ronald Reagan de janvier dernier sur lequel on reviendra sûrement, titre hommage au pamphlet homonyme de l’écrivain J.G. Ballard dont l’absurde satire psycho de la médiatisation politicarde s’appliquerait parfaitement aujourd’hui à un certain Trumpster Dumpster sur lequel le duo jette son dévolu ici avec des titres délirants - et souvent hilarants - tels que Donald Trump’s Hairpiece Escapes From Local Zoo, Terrorizing Christmas Shoppers. En vérité, de fonds de tiroirs en albums inédits, The Fucked Up Beat n’avait jamais vraiment disparu des radars et c’est tant mieux, sachant que des troublantes méditations psyché-cosmiques d’Europa II, que dominent claviers cristallin et cordes anachroniques, à l’hypnagogie alter-mondialiste de (hope ! Our Drones Sent From Heaven) en passant par le labyrinthique et volontiers délétère album-somme thesadnessofcapitalismistheattachmentsweaccumulateindreams ofdistressedradiosignalshiddenalongumbrellaeasternmaritimejettiesdriftinghome (ouf !) dont le minimalisme capiteux systématisant samples orchestraux répétitifs et battements anxiogènes aurait accroché mon top 20 sans problème, aucune formation actuelle ne peut se prévaloir d’un tel degré d’idiosyncrasisme. A ce titre, Europa premier du nom, télescopant exploration spatiale et conspiracy theories, est un aboutissement : une parfaite mixture de groove chamanique et d’ambient fantasmagorique scintillante autant que vénéneuse nourris à la sci-fi d’antan (kosmische musik et soundtracks désuets), aux samples radio ou TV et aux musiques ethniques percussives de tous horizons, qui dans un monde parfait récolterait les mêmes lauriers que les plus belles réussites d’un Flying Lotus ou de feu The Books.
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- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- Squarepusher - Dostrotime
- Tomin - Flores para Verene / Cantos para Caramina
- 2 Tones - No answer from Retrograd
- Spice Programmers - U.S.S.R.
- Lynn Avery & Cole Pulice - Phantasy & Reality
- CID - Central Organ for the Interests of All Dissidents - Opium EP
- Darko the Super & steel tipped dove - Darko Cheats Death
- Leaf Dog - When Sleeping Giants Wake
- Stefano Guzzetti - Marching people EP
- Leaf Dog - Anything is Possible
- Tomin - Flores para Verene / Cantos para Caramina
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