Torticoli - s/t
Ce premier éponyme de Torticoli, en multipliant les directions tout en restant bien campé sur ses trois jambes, provoque exactement le contraire que la douleur susmentionnée.
1. Howlin’ Owl, Sour Milk
2. Home ! Swamp Home ! Red Lips’n Silk
Commençons directement par ce qui pourrait (éventuellement) fâcher : il va être question là-dessous d’un album qui ne décline en tout et pour tout que deux pauvres morceaux. En outre, ces deux-là s’avèrent être totalement instrumentaux. Pas l’ombre d’une parole ni du moindre borborygme pour venir frôler le micro et habiller le tout. Deux guitares, une batterie et basta. Ensuite, lesdits morceaux pourraient être rangés - sans doute hâtivement mais un peu quand-même - au rayon math-rock des musiques amplifiées, rayon tellement surchargé qu’il en devient fatalement atteint de panurgisme galopant. Pour finir, chacun dure un peu plus d’un quart d’heure et lorsque l’on a dit ça, le cortex se charge du reste en envoyant derrière les yeux une giclée d’images fugaces campant des musiciens bien trop occupés à débiter du riff au kilomètre et à compter sur leurs doigts pour laisser la moindre chance à l’émotion d’affleurer à la surface de leurs équations. On a connu plus glamour comme entame. Pourtant, réduire ce premier album de Torticoli à ces quelques arguments serait non seulement une erreur mais aussi injuste pour le trio. Alors, c’est vrai, on a là deux titres relativement longs mais leur structure est si mouvante qu’en fait une multitude de micro-morceaux les constituent. Rien de monocorde, rien d’ennuyeux. Pourtant, il est facile de les distinguer l’un de l’autre. Autrement dit, ils sont métamorphes mais également cohérents. Le trio sait tirer parti de sa configuration, guitares et batterie ne cherchent pas uniquement l’étayage et se confrontent aussi parfois, ou s’écoutent respectivement puis dialoguent ou vont voir ailleurs, laissant là les deux autres. Ainsi Howlin’ Owl, Sour Milk commence en mode math-rock avant de bifurquer vers un horizon bien plus flou et indéterminé où se mêlent noise furibarde et hardcore rachitique à peine plus véloce que l’immobilité avant d’exploser à grands fracas en toute fin. Un instrument s’occupe de l’apex quand les deux autres bétonnent les fondations, quitte à ce que celles-ci soient de guingois ou aillent voir ailleurs, laissant là-haut le troisième qui se reconfigure alors automatiquement. Il y a déjà pas mal à explorer dans la façon qu’ont les trois Torticoli de distribuer les interventions de chacun. Il y a encore plus à faire dans le grand jeu des réminiscences, un peu con mais parfois bien utile pour circonscrire en quelques mots ce que l’on a bien du mal à expliquer. Ici, on dirait qu’à certains moment Shield Your Eyes tape le bœuf avec les dernières incarnations de Earth alors qu’à d’autres, Torticoli emprunte des sentiers foulés aux pieds avant lui par Karate ou Trapist. Plus tard, c’est par un jeu de connexions pas claires que des noms comme Hella ou Ahleuchatistas viennent remplir la boite crânienne. Mais bon, tout ça n’a que peu d’importance puisqu’il est clair qu’à tout moment, c’est bien Torticoli que l’on entend. De la variété dans l’exécution mais également dans les intentions, donc.
Le second morceau, Home ! Swamp Home ! Red Lips’n Silk, porte quant à lui parfaitement bien son titre et explore le versant blues disloqué du trio, puis son côté hypnotique aussi quand il joue avec la répétition et la fuite en avant. Et toujours ce sens du foutraque qui envoie valdinguer dans le mur ce que Torticoli a patiemment construit en quelques minutes la seconde d’après. Filant à la vitesse de l’éclair, empilant les idées les unes sur les autres ou au contraire, menant celles-ci jusqu’à leur terme, ce chouette éponyme fait bien plus que tenir la dragée haute à ce que le groupe avait déjà livré en 2013 lors du split avec Chevignon. Les morceaux étaient alors bien plus courts, un poil plus rugueux aussi mais montraient déjà cet air crâne qui perdure encore aujourd’hui. Et toujours cette façon d’aller droit vers l’explosion en s’arrêtant tout d’un coup sans crier gare pour finalement y arriver. Du disloqué, du haché menu en même temps que du très varié. En gros, le groupe couchait sur microsillons les bases de ce qu’il développe aujourd’hui : plus caréné, affûté pour la scène, poussant toujours plus loin le bouchon de la digression sans pour autant tomber dans les affres du sans queue ni tête, Torticoli déploie ses ailes et l’on voit bien que l’on tient-là bien plus un féroce rapace qu’un gentil oisillon. Une musique qui coule en soi pour peu qu’on la laisse faire, une musique vivante qui provoque un large panel d’émotions allant de la rêverie à l’interrogation, de l’agressivité à l’apaisement, sans temps morts et sans ennui. Pour finir, le très chouette artwork de Maquillage & Crustacés emballe cette galette irradiante sous une belle pochette insinuant que l’on aurait avant tout affaire à des fans de reggae. Une corde supplémentaire à ajouter à l’arc déjà bien costaud des Lyonnais ? Qui sait.
Quoi qu’il en soit, voilà un premier album tout aussi maîtrisé que brillant.
L’album sort conjointement chez Ernie Diskale, Bigoût Records et Kerviniou Recordz, pour l’instant disponible en format numérique et CD, un vinyle devrait toutefois voir le jour en novembre.
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