Berline 0.33 - The Abyss Will Gaze Back
Arachnéen et tranchant, The Abyss Will Gaze Back tranche, coupe, gueule et pleure. Toujours plus intense, Berline 0.33 livre un album important.
1. Solar Striker
2. 1st Floor
3. Castle In The Air
4. Full Of Yourself
5. These Words
6. Time Is A Fake Healer
7. Whispers Of Seagulls
8. Teorema
Ce n’était pourtant pas complètement gagné d’avance : le groupe était fort sympathique, son Planned Obsolescence précédent l’était tout autant mais il manquait un je-ne-sais-quoi, un petit quelque chose qui gomme les dernières réticences et remporte la totale adhésion. C’est aujourd’hui chose faite. Pourtant, à bien y regarder, The Abyss Will Gaze Back n’est pas fondamentalement différent de ses prédécesseurs : toujours cette grosse basse post-punk, ces pulsations martiales, ces guitares malingres, froides mais tranchantes et cette voix mi-résignée mi-énervée qui évoque une Siouxsie sous benzédrine (ou Lydia Lunch, c’est selon). Mais au service cette fois-ci de très beaux morceaux. C’est d’ailleurs sans doute très subjectif car à enchaîner l’EP éponyme inaugural, Flying Above Scarecrows, Planned Obsolescence et The Abyss Will Gaze Back, on ne peut pas dire que le paradigme change du tout au tout - Berline 0.33 a toujours mis son post-punk au service d’un noise-rock déjà particulièrement froid et vise clairement le zéro absolu - mais on voit bien que les morceaux ne sont pas interchangeables et sont ancrés dans l’album qu’ils contribuent à construire. Ainsi, aucun de ces nouveaux titres ne pourrait faire partie d’un autre et réciproquement. Le même climax mais plus tout à fait la même écriture. Pas un bond de géant non plus, mais clairement un pas en avant. Un album qui dépasse celui d’avant. L’impression que le groupe maîtrise de plus en plus ses desseins et ses envies, qu’il n’a plus peur de se jeter dans l’abîme et assume complètement son côté sombre. Mais bien sûr, encore une fois, c’est totalement subjectif. Quoi qu’il en soit, The Abyss Will Gaze Back convainc tout du long et agrippe nos tympans pour ne plus les lâcher. Toujours plus froid, toujours plus noir, toujours plus enveloppant et cette fois-ci, sans doute parfaitement équilibré. C’est que Berline 0.33 a soigné les atmosphères et ses morceaux montrent un air vertical chargé de tenir le monde à distance particulièrement chiadé. Une beauté un peu hautaine les habillent tous, une retenue très élégante qui leur confère une aura de papier glacé aux insondables reflets anthracites.
D’emblée, le groupe frappe fort avec Solar Striker, titre sec et tendu porté par une guitare répétitive, une voix qui passe successivement de la plainte lointaine au crachat urgent sur fond de basse arachnéenne et de percussions tribales. Une entame pour le moins saisissante qui prépare parfaitement les neurones au marécage noise et glauque de 1st Floor où cette fois-ci, ce sont les ondes de la basse qui bégaient quand tout le reste se montre fuyant. Deux titres qui permettent de souligner la grande variété des armes dont dispose Berline 0.33, positionnant son curseur tantôt au plus près de la borne post-punk tantôt sur l’extrémité noise d’un segment musical qui souffle le froid et l’encore plus froid. Mais c’est bien quand il se place au centre que The Abyss Will Gaze Back impressionne : Full Of Yourself, These Words, Time Is A Fake Healer tout à la fois sacrément tristes et joliment saccagés. Une poignée de titres où les fantômes qui tapissent les fondations se confrontent à l’urgence du monde qui se tient au-dessus. Une confrontation qui trouve sans doute son épiphanie le temps de Whispers Of Seagulls, long morceau qui passe pourtant bien vite. La basse file droit devant mais tapisse le moindre recoin et c’est bien elle que l’on entend le plus, emberlificotée dans les affres d’une répétition maladive et très noise que rien ne semble pouvoir dévier. À côté, le reste du groupe revêt une multitude de masques de pythie quand le propos se montre pourtant exclusivement désespéré. Un sentiment que vient renforcer Teorema, mid-tempo et pas des plus guillerets, envoyant le disque côtoyer les abysses, là où il ne reste plus que le silence. Huit titres et puis s’en va. Huit titres qui montrent une respiration des plus singulières, tenant à la fois de l’apnée et de la strangulation, de la résignation et de la colère. Il se passe quelque chose à l’écoute de The Abyss Will Gaze Back, quelque chose qui tient le tiède à distance.
Emilie Ik (chant), Frédéric Kalfon (basse), Guillaume Verbrugge (guitare) et Gilles Tredez (batterie) ont mis sur pied des morceaux très bien construits sollicitant les tripes et le cortex, réfléchis mais tout autant spontanés, homogènes mais nuancés. Le quatuor lillois joue à l’instinct mais ne sacrifie jamais son intelligence tout au long d’un album octaédrique simplement important et supérieur à tout ce qu’il a déjà sorti. À son écoute, difficile de ne pas se sentir un peu comme le personnage qui orne la belle pochette (signée Dror Daum) : ni là, ni ailleurs, un ectoplasme dont on ne sait pas s’il se réjouit où s’il souffre, cerné d’un bleu doux pourtant profond. Un disque surtout que l’on rêve de rencontrer en vrai car on se doute qu’en live, les nouveaux assauts glacés de Berline 0.33 revêtent encore une autre dimension, bien vivante, et qu’ils sont du genre à ne parler qu’à soi alors même que l’on se fond dans l’assemblée. De quoi attendre impatiemment la suite car le groupe devrait poursuivre sa trajectoire ascensionnelle bien que l’on ait ici de quoi largement patienter.
Magnifique.
The Abyss Will Gaze Back est disponible conjointement chez Rejuvenation Records, Katatak, Tandori Records, Bruisson et Et Mon Cul c’est du Tofu ?, une tripotée de labels particulièrement prolifiques et inspirés.
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