Sheik Anorak - Keep Your Hands Low
« Éclectique », « fuselé », « urgent », « excellent » et j’en passe. Difficile de ne pas sortir la grosse artillerie d’adjectifs dithyrambiques à l’écoute de Keep Your Hands Low. J’ai bien essayé, mais c’était trop difficile. Tentative.
1. KEEP YOUR HANDS LOW
2. THE SUMMIT
3. BLOOD
4. ...WHAT WE’VE LEFT BEHIND
5. STUCK IN THERE
6. MLMS
7. TOMORROW NEVER KNOWS
8. OUTRO
Il en va de la musique comme du reste, tout y est affaire de réseaux. C’est ainsi qu’en furetant souvent dans les pages de Gaffer Records à la recherche de saveurs noise/jazz/expérimentales inédites ou tout du moins cinglantes et authentiques, on se retrouve bien vite à scruter celle de Sheik Anorak, car « Sheik Anorak is french, lives in Lyon and runs Gaffer Records ». La connexion est faite. Deuxième véritable album de ce projet solitaire, Keep Your Hands Low marque avant tout par son intensité qui s’exprime même lors des moments les plus calmes. Pour le reste, pas vraiment de rapport avec ce que Gaffer Records donne à entendre habituellement sans en être non plus totalement éloigné. Entendez par là que la musique de Sheik Anorak ne partage pas grand chose avec celle de Marteau Rouge par exemple ou encore de Staer, bien que ces deux entités elles-mêmes ne présentent pas non plus de grands points communs en dehors de leur grande intransigeance qui les pousse à s’affranchir des étiquettes et à explorer les entours de sentiers archi-battus. Ce que fait aussi, à bien y regarder, Sheik Anorak. De prime abord, on dirait de l’indie rock incisif. Mais plus on avance dans le disque et plus on s’en éloigne. Keep Your Hands Low négocie quelques bifurcations vers la noise puis aussi vers le post-rock voire le psychédélisme un peu et donne à entendre quelque chose de fortement personnel qui, au final, n’a que peu d’équivalent. C’est qu’il n’y a pas à proprement parler de véritable ligne directrice au sein de l’album en dehors de son intensité sus-mentionnée : parfois du chant, parfois non, parfois des mélodies à tomber, parfois non, parfois une structure couplet-refrain classique, parfois non. En revanche, ce n’est pas non plus tout et son contraire. Il y a une patte Sheik Anorak bien présente, immédiatement reconnaissable. Il va de soi qu’il sait ce qu’il fait. La guitare en avant qui explore le spectre des aigus, la batterie se chargeant de peupler les interstices, parfois épaulée par la voix, de la répétition, des digressions, de l’éclectisme et un vrai talent pour imbriquer le tout. Oui, car il ne faudrait tout de même pas l’oublier, « Frank Garcia IS Sheik Anorak » et « Sheik Anorak is a solo project ». Du coup, « during these solo performances Sheik Anorak uses a guitar, a drumkit and a shitload of effects pedals ». Excusez la gageure ! Et que Keep Your Hands Low fasse immédiatement oublier ce paradigme en poussant l’auditeur à se concentrer sur sa musique montre à quel point on tient là une indiscutable réussite.
Le titre éponyme en ouverture permet d’entrer directement dans le vif du sujet : batterie fuselée, guitare qui l’est tout autant et voix pressée. Tout de suite intense. Tout de suite accaparant. Un titre que l’on pourrait qualifier de « pop » au regard de son refrain entêtant, des chœurs qui le doublent joliment et surtout au regard de The Summit qui le suit immédiatement, frayant, lui, plutôt du côté des dernières réalisations d’Hella. Caisse claire en avant, guitares stridentes partout ailleurs, architecture d’instrumental incisif sacrifiant cette fois-ci la pop urgente sur l’autel de la noise cinglante. Juste après, Blood voit Sheik Anorak recouvrer sa voix tout en poursuivant le dessein bruitiste de The Summit. Déjà trois morceaux, déjà trois directions bien différentes. Les mêmes instruments, la même personne mais des variations multiples. Et parfois au sein d’un même morceau comme Stuck In There, proprement métamorphe, mutant insidieusement et abandonnant petit à petit son pragmatisme inaugural bien rangé au profit de quelque chose de plus flou et hypnotique. Bref, on le voit bien ou plutôt on l’entend, il y a tellement d’idées là-dedans, tellement de giratoires donnant naissance à tant de chemins que l’ennui, jamais, ne se montre. Et le disque a beau être court, il est aussi très épais et montre une telle quantité de strates que l’on revient sans cesse l’explorer. Aucune baisse de régime, aucun temps mort, aucun moment qui ne soit en dessous des autres, un chapelet intelligent et bien construit de morceaux qui le sont aussi. Autrement dit, Keep Your Hands Low frappe aussi par sa maîtrise. On en vient donc à aborder le pedigree de Frank Garcia. Et comme les mots sont comptés, on le résumera en disant que Sheik Anorak n’est que l’émanation solitaire d’un musicien impliqué dans un bon milliard de projets, touchant une multitude de styles, jouant une multitude d’instruments (pêle-mêle, guitare chez les pandas tristes avant-gardistes et extrêmement efficaces de Neige Morte, batteur chez les noiseux déviants et free jazz de LOUP ou les noiseux déviants tout court de Totale Eclipse, impliqué également chez SoCRaTes, Hallux Valgus, etc.). Ceci expliquant sans nulle doute cela et en particulier le côté Janus de Sheik Anorak, aussi à l’aise dans la dissonance que dans l’évidence mélodique, dans l’apaisement que dans l’attaque frontale. On a souvent l’impression qu’ils sont plusieurs à s’exprimer bien qu’ils soient tous logés dans le même périmètre, la même boîte crânienne. L’altérité, indiscutablement, est un autre trait saillant de cette entité esseulée. Il va de soi que Sheik Anorak fait ce qu’il sait.
Enfin, on terminera en avançant que le stakhanovisme militant de Frank Garcia lui permet de rester hors de l’anecdotique, qu’il explique grandement pourquoi il se jette dans une multitude de genres avec l’intensité d’un mort de faim : patron de label, musicien boulimique, répétant et enregistrant au Grrrnd Zero avant que le lieu ne soit victime d’une politique culturelle on ne peut plus opaque et frileuse. Pourtant, cet album est bien une preuve supplémentaire qu’il se passe des choses par là-bas, en ce moment-même et qu’il faut, plus que jamais, les soutenir. Vous voulez goûter un truc singulier et authentique, jetez-vous sans tarder sur Keep Your Hands Low, levez vos bras et dansez comme des demeurés, le sourire aux lèvres puis asseyez-vous et participez au voyage intérieur auquel son écoute vous convie. Tout cela contenu dans un seul disque.
Brillant.
Keep Your Hands Low est une sortie conjointe Gaffer Records / S.K. Records pour l’instant uniquement disponible en version CD. Un vinyle devrait toutefois voir le jour en milieu d’année.
Depuis Day 01 en 2010, Sheik Anorak, one-man band derrière lequel se cache Frank Garcia, envoie régulièrement de ses nouvelles via des albums où la mélancolie ferraille avec des choses plus retorses. Comme ses disques ne prennent jamais la poussière, à la faveur de la sortie de North Star, on lui pose quelques questions pour tenter de comprendre (...)
Sheik Anorak continue à arpenter un espace qui n’appartient qu’à lui : one-man band à la sensibilité exacerbée, il nous envoie quelques nouvelles par le biais de North Star, carnet de voyage doux-amer qu’on ne se lasse pas d’explorer.
- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- Guillaume Pervieux - L'image
- Mariska Baars / Niki Jansen / Rutger Zuydervelt - Hardanger
- Bibio - Phantom Brickworks II
- Sameer Ahmad - Ras El Hanout EP
- Linus Alberg - Signs from Outer Space EP
- Kotra - Grit Light
- Mind the Beatz - Crazy Bar EP
- Red Snapper feat. David Harrow - Tight Chest EP
- B R A H J A - Nebulizer
- Blockhead - Mortality Is Lit !
- Tarwater - Nuts of Ay
- The Declining Winter - Last April
- Nick Wheeldon - Make Art
- Coilguns - Odd Love
- Father John Misty - Mahashmashana