Le streaming du jour #1041 : Carla Bozulich - ’Boy’
Il ne faut pas se laisser berner par les couleurs criardes de la couverture du disque. Si l’Américaine présente le troisième album qu’elle produit sous son propre nom comme un "album pop", il faut l’entendre au sens d’une artiste expérimentale, c’est-à-dire constitué de chansons avec des couplets, des refrains, des ponts, des choses qui sortent de l’ordinaire de son point de vue. Mais on est loin d’une oeuvre "pop" au sens "facile", car en bouleversant les structures et les instrumentations conventionnelles du rock, Carla Bozulich a mis au monde une nouvelle entité indescriptible, teintée de la noirceur punk propre à son âme désenchantée. Après ses débuts au sein de The Geraldine Fibbers, ses performances muséales (et musicales : le projet Eyes for Ears) et un passage par Evangelista (déjà chez Constellation), Carla Bozulich a accouché d’un magnifique bébé... et c’est un garçon !
L’album s’ouvre sur un blues suave (Ain’t No Grave), à la fois lourd et épuré, il traîne un fardeau de rage contenue qui prend le masque de la douceur pour mieux faire entendre palpiter son coeur étrange sur orgue psychédélique où résonne la maline profondeur de l’Américaine. L’épure, le blues, l’étrange, la rage, voilà donnés d’emblée les éléments essentiels de ce disque somptueux qui de bout en bout manifeste la maîtrise d’une artiste au sommet de son art.
Chaque morceau s’avance avec lenteur, s’insinuant par des voies obscures, rampe jusqu’en nos âmes difficiles et les fait vibrer d’une façon inouïe. Des ballades lancinantes où Bozulich alterne de sa voix rauque (qui rappelle souvent celle de Patti Smith) entre un spoken word lyrique et des mélodies tendues et habitées. Un songwriting exigeant qui réinvente à chaque titre la grammaire de la chanson rock.
Boy forme un ensemble homogène et équilibré dont les moments les plus forts sont constitués par les titres One Hard Man et son fond indus et âpre, Don’t Follow Me au refrain choral redoutable, et surtout Deeper Than The Well, le plus puissant, où la chanteuse appuie son verbe sur un amalgame instrumental noisy pour suggérer au monde entier d’aller voir ailleurs si elle s’y trouve.
Si ce dernier est le plus puissant, Lazy Crossbones est sans conteste le plus beau, qui s’organise autour d’un groove doux et déchirant.
Petit Boy est déjà grand !
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