Tim Hecker - Virgins
Figure quasiment intouchable de l’ambient d’aujourd’hui, Tim Hecker échoue pourtant à se renouveler sans tomber dans les travers d’un raisonnement superficiel et laborieux sur ce nouvel opus dévoilé en avant-première par NPR, qui sans être raté à proprement parler devrait mal supporter les comparaisons avec les monuments qui s’annoncent ce mois-ci du côté de Chris Weeks, Talvihorros, Noveller, Thisquietarmy ou encore EUS.
1. Prism
2. Virginal I
3. Radiance
4. Live Room
5. Live Room Out
6. Virginal II
7. Black Refraction
8. Incense At Abu Ghraib
9. Amps, Drugs, Harmonium
10. Stigmata I
11. Stigmata II
12. Stab Variation
Si c’est du drone et que tout le monde en parle, ne cherchez pas plus loin, c’est de Tim Hecker dont il est question. Pour autant, on n’aurait jamais osé reprocher jusqu’ici au séculaire séquoia de l’ambient crépitante de cacher la forêt qu’il aura lui-même contribué à semer au côté de son compère Fennesz, précurseur comme lui de ce versant sismique du genre dont les héritiers offrent depuis leurs lettres de noblesse à des labels tels que Root Strata, Futuresequence, BLWBCK ou Nomadic Kids Republic - sans omettre Witxes désormais chez Denovali ou les autoproduits visionnaires que sont Sun Thief ou Caulbearer.
Jusqu’ici disait-on, car malgré le semi-échec artistique d’un Instrumental Tourist dont on avait peut-être un peu trop vite attribué les errements kitsch et fatigants au seul Daniel Lopatin (la faute aux égarements inexplicablement portés aux nues de son propre projet solo Oneohtrix Point Never), on y croyait et dur comme fer à ce Virgins, quatrième LP de la période Kranky dont deux des précédents au moins sont toujours aujourd’hui d’absolus chefs-d’œuvre de drone abrasif et radiant. Et pourtant, voilà que Tim Hecker nous fait justement le coup du chaos un peu trop désorganisé pour être honnête avec un album qui semble se délecter de ne pouvoir être entièrement apprécié ou compris du commun des mortels et dont les coutures apparentes annihilent dans le même temps toute aura de mystère dans l’abstraction et d’harmonie dans l’instabilité, cette mystique cosmogonique d’Harmony In Ultraviolet devenue quête du merveilleux avec An Imaginary Country.
Au-delà d’un Virginal II entêtant aux fascinantes mutations électro-acoustiques ou d’un Radiance indéniablement réussi mais sans la moindre originalité ni ambition, il faudra ainsi attendre que Prism, Live Room ou Stab Variation en aient fini, respectivement, avec leurs roulis de ruptures poussives, d’arpèges désaccordés et d’effets éculés pour sentir enfin de nouveau les tsunamis du Montréalais irriguer nos âmes avec un tant soit peu de souffle et d’émotion. Ce chaos et la dimension noisy qu’il incarne chez lui ne sont certes pas neufs, déjà au centre du propos sur Acephale en ouverture du beau Mirages il y a près de 10 ans. Sous-jacentes à l’époque, les mélodies au spleen troublant de l’ex Jetone avaient peu à peu affleuré sur Harmony In Ultraviolet , pour prendre le dessus au gré des pulsations stellaires et des distorsions oniriques du trop sous-estimé An Imaginary Country et finalement devenir légèrement trop pressantes sur un Ravedeath, 1972 dont on est un peu revenu (que celui qui n’a jamais retourné sa queue de pie jette le premier piano).
Tandis qu’In The Fog I avec ses gimmicks en reverse et ses pianotages nébuleux annonçait à bien y regarder les dérives à venir, la série des In The Air flirtait en effet dans un crescendo de clarté instrumentale avec les approximations d’un classical ambient fragile dont les rouages exposés dans la foulée par un Dropped Pianos vite oublié en disent long aujourd’hui sur les ambitions de Virgins. Un coup d’œil à la cover et à ses airs de cathédrale style Renaissance en pleine restauration et la suspicion devient évidence : pour soumettre son art à l’approbation des puristes du classique contemporain, Tim Hecker a choisi de délier après les avoir si subtilement et inextricablement mêlés pendant plus de 10 ans une instrumentation devenue tape-à-l’œil (des martèlements de Virginal I aux loops de Black Refraction) et des crescendos de bruit blanc eux-mêmes nettement moins saisissants qu’avant (Stigmata I).
Comme si le musicien souhaitait à chaque instant souligner cette science du contraste (en l’occurrence toujours aussi impressionnante mais un peu vaine) et de l’arrangement qu’il avait jusqu’ici, à l’image de Ben Frost et Valgeir Sigurðsson justement aux manettes de ce nouvel opus, si bien réussi à faire oublier derrière l’abstraction fascinante de sa tectonique des rêves tourmentés - cf. Live Room Out ou Amps, Drugs, Harmonium, un nom résumant à lui seul l’échec de ce Virgins dont le pouvoir d’évocation se résume désormais à (dé)montrer et non plus à ouvrir en grand les vannes de l’imagination.
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