Io Monade Stanca - Three Angles
Troisième album de Io Monade Stanca, Three Angles voit le triangle italien entamer une mue subtile. Toujours les mêmes armes et les mêmes intentions mais plus tout à fait le même résultat. Véloce et carrée, complètement folle, leur musique gagne encore épaisseur.
1. Birichino Sarai Tu
2. 90 Gradi
3. Telefilm Feat. Xabier Iriondo
4. Momra Rusia
5. Va tutto Bene È Tutto Bellissimo
6. Tamarrismi
7. Ma Grand-Mère Est Méchante
8. Un Giro In Bici
9. Vivaldi
Three Angles triche un peu. Des angles, sur ce troisième album de Io Monade Stanca, il n’y en a pas que trois, mais bien plus. Une multitude en fait, qui rend leur dénombrement bien compliqué. Aigus, obtus, peu importe, ils recouvrent la carapace de ce trio venu d’Italie qui avait croisé une première fois mon empan auditif à la faveur de la sortie du toujours excellent The Impossible Story Of Bubu en 2009. À l’époque, leur musique revêtait une étoffe noise foutraque à la coloration math très prononcée. Ce qui frappait alors, c’était surtout leur sens du bariolé. Imprévisible et drôle, ce deuxième album plaçait alors Io Monade Stanca dans l’ombre tutélaire d’autres grands tarés notoires type US Maple et de ses illustres aînés, Pere Ubu ou Captain Beefheart. Three Angles maintient cette filiation et son parcours emprunte un chemin toujours cabossé fait d’embranchements impossibles, de carrefours mal définis et de lignes droites vraiment gauches. Difficile à suivre, même avec une carte sous les yeux, celle-ci dessinant un énorme point d’interrogation. Et si rien ne change, tout est différent. À commencer par la voix d’Edoardo Baima qui devient plus profonde, plus veloutée et peut-être aussi plus présente. Seule ou accompagnée de chœurs harmonieux qui recouvrent les angles de velours. Certes, on est encore loin de Barry White, mais les cris d’orfraie et les vocalises dégénérées qui habitaient The Impossible Story Of Bubu semblent avoir subi leur mue et adoptent aujourd’hui la tessiture d’un presque crooner franchement post-punk. L’autre changement, c’est l’amplitude. Le son autrefois sec et revêche se fait ici plus chaud. Les lignes de crête, encore adeptes de dénivelés vertigineux, sont moins apparentes bien que toujours présentes, inutile d’en douter. Enfin, on constate l’injection de force mélodies dans la tambouille matheuse de Io Monade Stanca. Elles étaient bien sûr déjà là lors des précédents efforts mais n’apparaissaient peut-être pas au grand jour comme c’est le cas ici sur des morceaux tels que Momra Rusia, Va tutto Bene È Tutto Bellissimo ou Un Giro In Bici.
Io Monade Stanca conserve certes son génotype profondément surréaliste mais le phénotype a ainsi légèrement bougé. Quelques petites mutations subtiles qui montrent que le groupe, loin de faire du surplace, explore d’autres voies ou, plus précisément, va cette fois-ci jusqu’au bout de l’exploration. Il donne l’impression d’être plus sûr de lui, toujours déterminé mais peut-être plus résolu et opiniâtre. En revanche, n’allez pas croire qu’il se soit assagi, on trouve ici et là, voire partout ailleurs, ce grain de folie caractéristique qui faisait tout le sel de The Impossible Story Of Bubu. Les vocalises loufoques, la répétition iconoclaste de riffs excentriques, l’apex multidirectionnel qui coiffe l’ensemble des morceaux, les idées par milliers habitant la moindre seconde d’un disque foutraque et très attachant. Tout cela est donné en pâture dès les premières secondes d’un Birichino Sarai Tu à la mue permanente, à la dynamique fracturée, tantôt apaisé, tantôt rageur, abandonnant les plans les uns après les autres au profit d’un renouvellement constant. Un truc impossible à décrire, les prises se dérobant sous les mains dès qu’elles y sont posées. Dans ces conditions, on se retrouve au sol plus souvent qu’à son tour mais on reprend bien vite l’escalade, mû par l’envie irrésistible d’explorer les multiples recoins de ce mur plastique et métamorphe. Même chose du côté de 90 Gradi : quel que soit ce que l’on suit - batterie schizophrène, basse et guitares indécises quant à la direction à suivre, préférant les suivre toutes, ou voix aux contorsions multiples - on ne sait jamais où l’on va. Une multitude de morceaux dans les morceaux, c’est bien ce qui impressionne. Car à faire le grand écart entre tout et son contraire, l’évaporation guette Three Angles. Mais celle-ci ne vient jamais, Io Monade Stanca étant bien trop carré pour que sa musique puisse se diluer malgré la multitude de mélanges et de nuances que le trio lui impose. Foufou, excentrique et hésitant peut-être mais toujours concentré et s’il donne parfois l’impression de ne pas trop savoir où il va, il reste bien déterminé à aller quelque part. Et nous à le suivre.
Va tutto Bene È Tutto Bellissimo, noisy et mélancolique, Ma Grand-Mère Est Méchante, matheux et agile, Un Giro In Bici, saccadé et grandiloquent, Vivaldi, imparable et presque pop, autant de sommets parmi une collection de morceaux parfaits cachés sous une belle pochette qui délaisse les nuances de gris pour un noir et blanc christique où seules comptent les oreilles de Mickey planquées en plein milieu du vitrail central. Parfaite illustration d’un groupe prenant au sérieux sa musique qui ne l’est pas. Et puis en évacuant le trop-plein de structures alambiquées qui peuplent le commun des disques attirés par les mathématiques pour ne garder que les meilleures, en élaguant les plans pour les rendre accueillants, en injectant quelques gouttes de liquide dans sa sécheresse et un peu de pop dans sa noise, Io Monade Stanca adoucit ses angles mais ne les gomme pas, gardant intactes sa rage et sa folie. Jusqu’ici, on aimait et maintenant, on adore. Une nuance bien plus qu’une différence. De l’ordre de celle qui sépare Three Angles de son excellent prédécesseur. Quelque chose de subtil mais néanmoins présent. Presque impalpable mais déterminant.
Brillant.
Pour être tout à fait complet, huit labels sortent conjointement Three Angles : À tant Rêver Du Roi, Whosbrain Records, New Sonic Records, Canalese Noise Records, Goat Man Records, Onlyfuckingnoise Records, Human Feather et T Collectible Distribution. Il fallait bien ça étant donnée l’excellence de l’ensemble.
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