Semi Playback - The Album Of The Maturity
Encore une saillie noise locale et iconoclaste balançant une multitude de riffs tronçonneuses contre des cathédrales rythmiques et carrées sur fond de synthés déviants en provenance d’À Tant Rêver Du Roi. L’accroche pour Semi Playback reste la même que pour Calva et Mr Protector (et serait encore la même pour Vélooo, Choochooshoeshoot, voire même Tom Bodlin et l’ensemble du catalogue du label palois) même si leurs musiques respectives n’ont rien à voir. On y trouve toutefois quelques points communs : la singularité, l’efficacité et le bel objet. Aujourd’hui, direction rock instrumental et Lot-et-Garonne (le groupe est originaire d’Agen). Mais bien sûr, c’est pour aller vite puisque Semi Playback ne se résume pas qu’à ça.
1. Crackman
2. Thomas Rameaux
3. Don’t Touch My Wings
4. Sapinou
5. Bambi
6. Rica
7. Bambou
8. Dave Grohl Of 93
9. Bobo
Voilà un disque qui donne irrémédiablement envie de se retrouver étendu dans l’herbe, en position cruciforme, les paumes ouvertes, le sourire aux lèvres et la tête tournée vers les étoiles. Voire de danser nu sur la plage et de jouer à saute-mouton avec les vagues dévastatrices de l’océan déchaîné. Un disque qui accompagne impeccablement l’agonie de l’hiver et ses derniers frimas, un disque roboratif à même de chasser les toiles d’araignées qui occupent la boîte crânienne et d’expédier les idées noires loin devant à grands coups de tatane dans la gueule. Bon, c’est bien joli tout ça, mais de quoi s’agit-il ? Album of the Maturity, troisième album des resserrés Semi Playback, poursuit la même voie que ses deux prédécesseurs : pour faire vite, on parlera de math-rock (ou de power pop, ça marche aussi). Pour être un peu plus précis, on lui accolera l’adjectif « déviant ». Et pour être tout à fait honnête, à peine posées, on prendra ces deux étiquettes pour les faire disparaître parce qu’elles n’ont strictement aucun intérêt. Il se trouve que Semi Playback joue du Semi Playback. C’est pratique.
Une batterie vive et alerte chevillée à une guitare fuselée, toutes cordes en avant. Sur ses premières secondes, Crackman évoque ainsi la grande lignée des duos guitare-batterie explosifs cherchant à franchir le mur du son tout en suivant une trajectoire rectiligne qui n’envisage pas le contournement de l’obstacle mais plutôt la désintégration de celui-ci. Ils sont nombreux, de Pneu à Jucifer en passant par Hella (pour être le plus large possible), à creuser cette dynamique. En revanche, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’irruption d’un synthétiseur sur la 14e seconde exactement, remplaçant peu à peu la guitare qui passe alors à l’arrière plan pour se contenter de souligner les nappes un peu cheap qui en sortent, place le duo en marge de la grande lignée sus-mentionnée. Un contre-pied qui peut désarçonner celles et ceux qui ne connaîtraient pas le groupe mais apporte une diversité salutaire à l’option toute instrumentale qu’il a retenue. Une formule somme toute très basique parce qu’au-dessous des délires synthétiques, ça ferraille dur mais dans le même temps, lorsque le tout se mélange, le duo montre un sens de la composition bien réel qui conduit à des morceaux irrésistibles : des petites bombes pop, punk et noise qui se ruban-adhésivent fortement au cortex. Il en va ainsi de Bambou ou encore de Bobo, mélangeant des poussières de Beastie Boys avec des bouts de Rentals pour l’un ou rappelant de loin l’ambient solaire de Windy & Carl pour l’autre. Tout cela passé à la moulinette excentrique du duo qui ne se refuse rien, n’a peur de rien, même pas de convoquer les synthés tourbillonnants d’un Charly Oleg primitif, de faire de l’œil à Van Halen ou à The Cure, d’évoquer dans un même élan Trans Am et feu Tournez Manège ou de camper un Pan Sonic qui aurait trop forcé sur le rosé. Bref, on le voit tout de même, derrière le name dropping se cache une réelle difficulté pour circonscrire cette musique : elle porte en elle les réminiscences d’une quantité phénoménale de disques mais impossible de savoir précisément lesquels. Une boule à facettes dégénérée constituée d’une myriade de souvenirs, parfois bien enfouis, que le duo oblige à déterrer, un kaléidoscope qui montre pourtant une belle personnalité parce qu’il est indéniable que cette musique tient debout et qu’il s’en dégage une vraie singularité. Semi Playback sait comment s’y prendre pour mêler ambiance et dynamique, jamais l’une ne passe au premier plan au détriment de l’autre, les deux restent bien accrochées ensemble, permettant aux mélodies d’éclore comme les bourgeons au printemps, à leur heure, ni trop ni trop tard, pile poil au bon moment. Derrière l’apparente futilité, quelque chose de bien construit et donc, de vrais morceaux.
Mais sans doute est-il temps de faire les présentations : Semi Playback donc parce qu’ils ne sont que deux mais voudraient sonner comme quatre. D’où l’adjonction du synthétique au couple cordes-peaux. Anthony Saint-Martin à la guitare, Camille Gaudou à la batterie et un périphérique de stockage de masse pour les claviers, les samples, la basse et quoi que ce soit d’autre. Après l’éponyme de 2007 et les huit titres de Top 14 Album en 2010 voici donc le bien nommé Album of the Maturity, non pas que le groupe s’y montre plus mûr, plus mature puisque sa musique garde toujours son côté régressif mais sans doute est-il parvenu à parfaitement équilibrer la part de semi dans celle de playback même si, au fond, rien ne change, les morceaux restant courts (un seul dépasse les trois minutes) et faisant référence, souvent, à l’entourage du groupe (comme à l’époque de l’éponyme). S’ensuivent des titres assez irrésistibles, tous ces Sapinou, Bambi, Rica et autres qui réveillent le danseur débile et décérébré tapi en chacun de nous. Avec sa superbe pochette (imaginée par Yoann Puisségur) d’éléphant feuillu se désintégrant dans le vent, illustrant parfaitement la mixture de Semi Playback, nul doute que cet album devrait nous accompagner un petit moment. À Tant Rêver Du Roi, toujours dans les bons coups en matière de musique binaire fuselée et déviante, ne s’y est d’ailleurs pas trompé.
De quoi défier dignement les derniers flocons de l’hiver.
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