Interview sur un nuage - 11/ Marnitude
Désormais les trois parties de notre compilation Clouds/Ashes, entièrement composée de morceaux inédits offerts par une cinquantaine de musiciens habitués des colonnes d’IRM, sont disponibles en écoute et libre téléchargement via Bandcamp, mais notre série d’interviews continue. En semant ces petits cailloux en forme d’entretiens, inspirés tout comme les compositions de nos contributeurs de tous horizons géographiques et musicaux par les thèmes "Sur un nuage" ou "Sous les cendres" et agrémentés de surprises à intervalles réguliers, nous vous invitons à vous familiariser avec leurs univers, en espérant que ceux-ci vous surprennent et vous enthousiasment autant que nous.
Si Marnitude est aujourd’hui un quintette, c’est à la base le projet solo libre et passionné de Jean-Rémy Papleux. Et c’est ce dernier, dont la fibre artistique dépasse le seul cadre musical, qui nous répond dans un entretien passionnant où l’on découvre, outre quelques références bien placées, la philosophie de vie globale du bonhomme. Ce dernier évoque également Nyctale, morceau progressif et lancinant disponible sur notre compilation Clouds :
L’interview
IRM : Y a-t-il deux ou trois choses que nos lecteurs devraient savoir de toi avant d’écouter la compil’ ?
Jean-Rémy : Marnitude est avant tout une réponse à un besoin d’expression. En parallèle de mon premier groupe, j’ai commencé à exploiter des suites d’accords intimistes, parce que venant de presque rien, parfois sur deux cordes de guitare accordées dans des tonalités inhabituelles avec un chant qui généralement ne fonctionne que sur l’instant dans la magie du moment. Tout en donnant une suite à ces mélodies en les enregistrant à la volée puis en les rejouant plus tard, le morceau se structure alors. Marnitude c’est avant tout la décision de donner une vie et une identité à ces élans créatifs intimes et incertains qui sont une possibilité d’expression, et une liberté d’exister des plus précieuses et importantes.
Qu’est-ce qui t’a décidé à prendre part à ce projet ?
Impossible de refuser une proposition comme celle-là, le fait qu’on nous demande de composer un morceau parce qu’on apprécie notre musique est un honneur. IndieRockMag a de plus écrit une chronique élogieuse à la sortie de notre EP en avril 2011 et depuis, nous suit avec attention. Participer à cette compilation est une évidence.
Et puis c’est aussi la chance d’être diffusé, d’avoir de la visibilité.
Si tu devais décrire Nyctale en une phrase ?
Le morceau a été composé il y a quelques années. Puis Julien Doigny qui forme avec moi le noyau/duo de Marnitude l’a réécouté récemment et était très emballé à l’idée de l’adapter pour le jouer sur scène. C’était l’occasion d’en enregistrer une version nouvelle et de la proposer à IndieRockMag.
Initialement projet solo puis duo, Marnitude est désormais un quintette. A quoi est dû cet élargissement d’effectif et a-t-il eu des répercussions sur la façon de fonctionner du groupe ?
En plus d’être un projet personnel, Marnitude repose sur le duo que l’on forme avec Julien le bassiste. Avant la 1ere démo de Marnitude enregistrée en 2004, nous avions déjà imaginé monter ce projet à deux. J’apporte les idées, la mélodie, et Julien les habille. Peu après notre 1er EP qui officialisait le début du groupe l’année dernière, on a trouvé évident qu’une batterie vienne nous accompagner. Parce que les morceaux, quand même orientés post-rock, l’appelaient. De la puissance mais aussi de l’arrangement : trompette, flûte, orgue… On est dans une approche plus amplifiée et l’envie de sonner plus large modifie l’aspect des morceaux. Notre EP était introspectif, mais aussi un peu rentré en lui-même. Avec cette nouvelle instrumentation, on essaie de sortir un peu de ce repli sur soi, par le côté électrique des guitares, du rythme marqué, mais sans délaisser l’identité de ce projet : l’introspection, la fragilité, la proximité. L’album à venir en sera pourvu mais les morceaux vont gagner en expressivité. C’est ce que j’espère.
Pour financer la production du prochain album de Marnitude, qui sortira en 2013, vous avez fait appel à la générosité des fans via le projet KissKissBankBank qui permet différents types de mécénat allant de la découverte exclusive de deux titres jusqu’à la possibilité d’accueillir le groupe en concert à son domicile. En décembre, l’objectif fixé a été atteint. La générosité des fans est-elle à la hauteur de vos espérances ?
On a entendu parler du site. C’est effectivement une bonne alternative au financement par l’autoproduction, mais ça ne la remplace pas totalement dans notre cas. Nous aimons aller au bout d’un projet d’album avec l’objet à l’arrivée car ça permet de franchir une étape. Avec le support de KissKissBankBank, les fans décident d’acquérir l’album à l’avance tout en collaborant également à sa sortie, à sa construction. Mais il y a aussi des contreparties plus « vivantes », comme le fait d’offrir des bières à nos concerts, ou bien de venir jouer chez toi. Mais nous n’avons pas voulu mettre la barre trop haute dans la somme fixée pour être sûr de pouvoir remporter la collecte. Oui les fans, beaucoup d’amis c’est vrai mais pas seulement, ont été généreux, on a été agréablement surpris !
Plus globalement, penses-tu que ces nouveaux modes de financement représentent le futur des formations relativement confidentielles ? Quant à la musique "gratuite", qu’est-ce que cela t’inspire ?
Pour toutes sortes de projets c’est une solution. Édition, court-métrage… Les gens sont très généreux parce que leur soutien est déterminant, c’est une pierre à l’édifice, et de grosses sommes sont atteintes pour peu que la promo et la communication autour du projet aient été bien menées.
Avant tout, on espère pouvoir enregistrer notre musique, puis la jouer en public. Il faut souvent payer, mettre de notre poche pour y arriver. Si j’étais musicien professionnel ça pourrait poser problème. Mais je ne tiens pas à cette appellation. Je ne considère pas la musique comme un métier même si je fais tout pour que mon projet soit une proposition de qualité. L’argent, ce dénominateur du pouvoir, pervertit l’art qui devrait - dans l’idéal - s’en détacher, comme de l’ego.
Peux-tu nous parler de votre label, Du Haut Du Sol ? A-t-il vocation à accueillir de nouveaux artistes ? Sur quels critères ?
Nous avons mis en place cette structure avec Damien et Mathieu, les deux autres musiciens de march. (notre premier groupe qui existe toujours), pour nous aider à promouvoir notre musique via le net mais aussi pour faciliter l’organisation de concerts. Comme nous avons chacun différents projets musicaux, ainsi que des amis qui en ont, ce micro-label est destiné à les héberger. Concernant les différents styles musicaux, il y a toujours un fil conducteur qui répond de nos affinités musicales. Accueillir d’autres groupes ? Pourquoi pas si la musique nous touche. Il s’agira de se concerter tous les trois. Mais il faut savoir que chaque groupe se promeut lui-même, le label, son nom, son image sont pour l’instant un support. On n’est pas pressé mais les choses peuvent évoluer en fonction des propositions ou rencontres.
Tu es passé par les Beaux-Arts et peins des figures arrêtées dans leur mouvement. Tu réalises également des vidéos où, là aussi, la problématique corporelle est assez centrale. La musique te permet-elle également de mettre en avant cette notion ? Par ailleurs, en quoi l’art musical diffère-t-il des autres dans le processus de création que tu peux mettre en place ?
Mon investissement dans les deux pratiques est contraire. Dans le travail de l’image, je suis effacé, tributaire d’un mode contemplatif. Peindre est à la fois très gratifiant et extrêmement laborieux. Le temps de réalisation est très long, parce qu’il agit à la fois sous un mode révélateur et restitutoire de la présence que j’ai eu sous les yeux l’espace d’une fraction de seconde, et à la fois sous un mode nourricier, comme si je pouvais enfin « vivre » ma relation au paysage, à « l’autre ». Des moments qui m’absorbent totalement dans une durée importante.
En musique, tout est immédiat et les sensations te traversent physiquement. Tu peux ressentir la vibration, ton rapport à l’espace aussi, comme un comédien. C’est important car l’apport de soi n’est plus différé et à sens unique, mais risqué et immédiat avec l’extérieur. Finalement c’est prendre la place qu’occupaient les modèles sur la toile. Le corps sous le signe de la relation à l’autre, la distance qui, plus que sépare, différencie deux personnes, deux consciences, est une image qui j’espère se devine aussi par le biais des paroles et des intentions de jeu, le travail du son etc. dans Marnitude.
Depuis maintenant trois ans j’ai un réel problème avec la peinture. Comme un véritable rejet du pinceau, je ne supporte plus d’en tenir un. Après un vernissage où personne n’est venu, j’ai remis des choses en question. Je me suis rendu compte que je m’étais vraiment laissé absorber dans ces toiles, en y laissant un investissement personnel trop important qui n’était peut-être pas l’objet de l’art… C’est ce rapport au temps que j’ai tellement distendu et dans lequel l’investissement était bien réel. Ça a fini par me dépasser.
La musique demande un temps de réponse plus court qui correspond à mes attentes actuelles. Quand je saurai mettre une juste distance entre la peinture et moi, je reprendrai.
Mais il y a aussi un vrai lien entre ces trois pratiques. C’est le rythme de la narration. Dans les toiles, il s’agit de créer du mouvement, du flou à travers la permanence de l’image peinte. Dans la vidéo, la succession des images dégage du sens. Avec Marnitude, on aime la suspension des notes, le dégagement possible du silence dans un rythme lent. La mélancolie qui émane de mes toiles fait aussi le lien avec la musique. Je réfléchis à rassembler ces deux pratiques et ça pourrait commencer par un site internet où dessins et musique cohabiteraient. J’aimerais bien aussi faire des concerts durant des expositions. Si ça tente quelqu’un....
Un disque à écouter sur un nuage ?
Driving, ce morceau atmosphérique de Smog qui clôt l’album Supper [ndlr : en réalité, il s’agit de l’avant-dernier de l’album]. Une ritournelle au chant désenchanté très caractéristique de Smog, mais qui se répète en boucle, enveloppante, engourdissant, rassurante et belle : « And the rain washed the price off of our windshield ».
La surprise
Si vous avez pris la peine de lire les lignes précédentes - mais comment cela pourrait-il ne pas être le cas ? - vous savez que le prochain album de Marnitude devrait sortir en 2013. Le quintette nous propose une version live d’un futur extrait de celui-ci intitulé The Muse In NYC sur lequel les vents - mais seulement eux - ne sont pas sans rappeler ceux de Lazarus des Boo Radleys. S’il s’est élargi, le groupe n’a pas fondamentalement changé la formule qui faisait mouche sur son dernier EP, et c’est tant mieux. Cet extrait à savourer sans modération nous fait déjà saliver à l’idée de découvrir, enfin, un LP de Marnitude.
Quelques liens utiles
A écouter et télécharger librement :
Clouds :
Clashes :
Ashes :
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