Interview sur un nuage - 2/ Fuji Kureta
Les plus fidèles de nos lecteurs auront certainement remarqué des messages subliminaux distillés ces dernières semaines sans ostentation dans nos pages, concernant un ambitieux projet prévu pour les fêtes de fin d’année. Coupons court au mystère, si ce n’est au suspense : il s’agit d’une compilation, entièrement composée de morceaux inédits que nous ont gracieusement offerts un certain nombre d’habitués des colonnes d’IRM. Et... c’est tout pour le moment ! Vous en saurez plus très bientôt en suivant les petits cailloux que la rédaction sèmera à raison de deux interviews par semaine, agrémentées d’énigmes et de surprises, jusqu’à la mise à disposition de l’objet. Une invitation à vous familiariser avec l’univers de nos contributeurs de tous horizons géographiques et musicaux, en espérant qu’ils vous surprennent et vous enthousiasment autant que nous.
Débarqués tout droit d’Istanbul, il aura suffi d’un album à Deniz Öztürk et Şahin Kureta pour donner des cheveux blancs à 15 ans de pop électronique, au point qu’on ne se souvient plus avoir autant vibré pour ce genre de kaléidoscope malicieux et jazzy depuis l’éternel Post de Björk. Prenez une chanteuse dont les vocalises semblent constamment sur le fil de la mélancolie, de l’anxiété et de l’émerveillement, un multi-instrumentiste et producteur qui a su tirer le meilleur de l’IDM la plus alambiquée comme du chill-out le plus limpide, offrez-leur une machine à voyager dans le temps et vous obtenez le merveilleux See-Through et ses huit titres en clair-obscur, un pied dans les 90’s, un autre dans le futur d’une poptronica que certains avaient un peu trop vite enterrée, et la tête rêvant d’étranges songes mutants. Toujours en libre téléchargement du côté du netlabel 23 Seconds, ce chef-d’œuvre fulgurant devrait bientôt connaître un successeur chez Tiefhaus, écurie germano-américaine bien décidée à s’émanciper de son étiquette tech-house en accueillant dans ses rangs l’un des duos les plus aventureux du moment, mais en attendant, c’est l’EP Sweets qui ressortira chez eux dans une version remastérisée par le patron Hugo Allen, disponible à compter du 29 novembre sur Beatport pour deux semaines d’exclusivité. Quant au faramineux Conveyor, inédit prévu pour leur compilation Assemblage que cette même plateforme proposera au téléchargement dès demain, on vous l’offre en exclusivité après cet entretien !
L’interview
IRM : Y a-t-il deux ou trois choses que nos lecteurs devraient savoir de vous avant d’écouter la compil’ ?
Fuji Kureta : Une chose importante pour nous : en Turquie il n’y a pas que la musique traditionnelle ou orientale. Comme il n’y a pas que le bal-musette en France !
Ce qui frappe d’abord dans votre musique, c’est sa façon de mêler des éléments immédiatement accessibles et en apparence légers (mélodies vocales, arrangements planants) à d’autres nettement plus tortueux voire inquiétants (structures rythmiques complexes, synthés distordus). Cet équilibre parfois mouvant, c’est quelque chose que vous gardez à l’esprit en composant et en enregistrant ?
On ne peut pas dire qu’on garde cette idée en tête en écrivant ou en studio. En fait on écrit des morceaux simplement, et on aime quand il y a un brin de "décalé" mais aussi on aime la forme classique d’écriture, on veut faire des chansons, pas de l’expérimentation, on veut avoir un cadre. Mais il n’y a rien de vraiment conscient dans tout ça. Les "embryons" des morceaux on les choisit à partir de cette idée de mélange peut-être mais après, tout va librement. On ne sait pas si on a pu s’exprimer.
De même, on sent des influences très disparates, du trip-hop des 90’s à l’IDM en passant par le jazz ou l’acid house. Quelles sont vos musiques de chevet ?
Deniz : J’aime beaucoup le chant et les sons que je n’ai jamais entendus. A part les nouveaux groupes de "bedroom musicians" que je découvre sans arrêt sur internet j’aime beaucoup Bodi Bill, Little Dragon, Oval, Shrift, Akufen, Leila, Wildbirds & Peacedrums, Mickey 3D, Bertrand Belin, mais aussi Nina Simone, Billie Holiday...
Şahin : Je suis plus branché musique classique et contemporaine. J’adore Debussy, Grisey. Dans la musique populaire Thom Yorke est incontournable pour moi. J’aime aussi les manipulateurs de rythme comme Venetian Snares, Edit, Squarepusher...
Qu’est-ce qui vous a décidés à prendre part à ce projet de compilation ?
Indierock Magazine nous a fait des éloges et on n’a pas pu dire non ! C’est pas vrai, en fait ça faisait un moment qu’on n’avait pas écrit de morceaux. Ça nous a boosté la motivation, puis on est honoré de figurer parmi de nombreux musiciens de talent. Un petit cadeau de Noël pour nous tous !
Si vous deviez décrire votre contribution en une phrase ?
"Do not underestimate the power of the basses."
Vous vous apprêtez à ressortir fin novembre votre EP Sweets agrémenté d’un inédit, Conveyor, sur le label Tiefhaus Records. Basé à Berlin et San Francisco, ce dernier est plutôt connu pour s’intéresser à la deep house ou à la techno versant chillout. Pourquoi ce choix de part et d’autre ?
Depuis le début on avait envie de distribuer gratuitement notre musique. Mais après See-Through, qui a atteint les 20 000 téléchargements, nous avons vu que sans structure, maison de disque, agents ou autre, on ne pouvait pas organiser des concerts, faire de la promo, ce sont des métiers à part entière. Il faut avoir un minimum de retour pécuniaire pour pouvoir continuer à faire de la musique. Sinon tu passes ton temps à travailler pour payer le loyer et pour payer la promo, les tournées, tu n’as plus le temps de faire de la musique. Donc on s’est mis à chercher un label, et Tiefhaus nous a ouvert ses portes. Ils avaient envie de redéfinir leur label et on est arrivé au bon moment. Nous tenons à remercier Hugo Allen et Thomas Radman qui, musiciens eux-mêmes, nous ont très bien accueillis. Les morceaux ont été remastérisés par les soins de Hugo et son équipe. On ne les reconnaissait presque plus ! Et sur Conveyor, le morceau inédit, Hugo nous a apporté sa précieuse collaboration.
La musique "gratuite" ça vous inspire quoi ?
Ça nous inspire la liberté, l’idéal à atteindre. Mais il est peut-être encore trop tôt pour ça. On aimerait distribuer gratuitement puis faire 300 concerts par an, ça ne paraît pas possible pour l’instant.
Depuis quelques années Istanbul est réputé pour ses clubs et sa scène électro, mais les artistes locaux demeurent peu médiatisés chez nous. Y en a-t-il certains dont vous vous sentez proche sur le plan artistique ou dont vous souhaiteriez nous conseiller la musique ?
Les artistes électro turcs sont encore moins médiatisés en Turquie... Vous devriez écouter Fecr-i Ati (à ne pas confondre avec les rappeurs, il y a deux groupes du même nom), un duo électronica composé par Nazif Kerem Guroglu et Aziz Hakobian, ils sont absolument géniaux. Il y a aussi Adult Monkey qui est un groupe DIY à cent pour cent, ils sont délirants et ils méritent un coup d’oreille. Pour plus d’électro dansante vous pouvez essayer Portecho et Solardip.
Un disque à écouter sur un nuage ?
Pas un disque mais un morceau peut-être : Matmos - Les Folies Françaises (reprise du compositeur français baroque François Couperin).
Quelques liens utiles
La surprise
Il se pourrait bien que Shapes, composé par Fuji Kureta pour notre compilation, soit notre tube de l’année 2013. Mais en attendant, Conveyor extrait du sampler à venir de Tiefhaus met également la barre très haut dans un registre plus lyrique et percutant qu’à l’accoutumée pour notre duo turc, tout aussi à l’aise à manier basses puissantes et beats en liberté qu’arrangements éthérés et orchestrations virevoltantes :
A écouter et télécharger librement :
Clouds et Clashes, les deux premières parties de notre compilation - qui en comptera trois.
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