Swans - The Seer
Après l’exalté America de Dan Deacon commenté pas plus tard qu’hier dans notre streaming journalier, c’est un nouveau poids lourd de cette fin d’été, tout aussi ambitieux et réussi, que nous dévoile aujourd’hui la radio NPR à quelques jours de sa sortie. Et en guise de poids lourd, on peut dire en effet que Michael Gira n’a pas fait les choses à moitié avec ce 12ème album de Swans, projet à géométrie variable réactivé en 2010 après 13 années de hiatus.
CD1 :
1. Lunacy
2. Mother of the World
3. The Wolf
4. The Seer
5. The Seer Returns
6. 93 Ave. B Blues
7. The Daughter Brings the Water
CD2 :
8. Song for a Warrior
9. Avatar
10. A Piece of the Sky
11. The Apostate
Résultat de cette reformation inespérée pour les fans des grandes heures du combo new-yorkais et de son post-punk aventureux mâtiné de no wave, d’indus et d’americana voire même de post-rock avant l’heure, le crépusculaire et lunatique My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky avait déjà fortement impressionné public et critique en synthétisant sur à peine trois-quarts d’heure toute la démesure et la puissance d’évocation de Gira et de ses line-up successifs. Mais alors, que dire de The Seer ("Le Voyant" en anglais) et de ses deux galettes pour près de 120 minutes d’odyssées mystiques et de transes électriques ? Et surtout, par quel bout aborder cette expérience faite disque sans prendre le risque de la galvauder ou au contraire de trop en dévoiler ?
Ouvertement décrit par le songwriter, multi-instrumentiste et producteur comme l’aboutissement de trente ans de carrière, cette oeuvre financée par les ventes du récent album live We Rose From Your Bed With The Sun In Our Head est un peu l’équivalent musical d’un film tel que Les fils de l’homme : de faux-airs de blockbuster hollywoodien mais une authenticité et une intensité qui ne trompent pas ; un souffle épique qui nous confronte à chaque instant avec les potentialités d’ébranlement charnel du grand écran mais en dit également beaucoup sur ses auteurs, leurs craintes, leurs espoirs et leur vision du monde qui nous entoure ; une dimension apocalyptique, enfin, qui n’exclut pas pour autant la foi en un avenir meilleur.
Composés en acoustique pour mieux s’étendre, muter et s’auto-cannibaliser à mesure de leur évolution en studio puis sur scène, les 11 titres de l’album, et en particulier ses morceaux-fleuves - les trois plus longs tenant à eux seuls sur 75 minutes de disque - doivent autant à l’inspiration mégalomane de Gira qu’à l’appui à divers degrés d’une pléiade de collaborateurs triés sur le volet, des six membres additionnels du line-up actuel de Swans - dont le guitariste Norman Westberg fidèle depuis le premier album Filth de 1983 - à la quinzaine d’invités d’horizons divers et variés et pour la plupart côtoyés au sein de précédents projets.
On pourrait ainsi tenter de résumer l’album en mentionnant les harmonies funestes d’Alan Sparhawk et Mimi Parker (de Low) sur l’incantatoire Lunacy, entrée en matière du premier CD auxquelles s’opposent en ouverture du second le charme las et désabusé de Karen O (des Yeah Yeah Yeahs) en solo sur l’alt-countrysant Song For A Warrior. Ou pourquoi pas en énumérant les cuivres, cordes et autre cornemuse qui contribuent à la dramaturgie de l’éponyme The Seer, cavalcade lancinante de plus de 32 minutes au final lourd de menace, tandis que les drones incandescents et torturés de Bren Frost suffisent à introduire le versatile A Piece Of The Sky laissant peu à peu derrière lui ces sinistres présages pour cheminer vers la sérénité de cieux plus dégagés qu’incarnent les choeurs d’Akron/Family, déjà croisés au sein d’Angels Of Light.
Même Jarboe, ancienne muse du groupe, est de la partie sur l’habité de The Seer Returns, donnant de la voix au son de la clarinette désaxée de Grasshopper (Mercury Rev) et du magma acoustique (dulcimer, accordéon, piano...) des post-folkeux Caleb Mulkerin et Colleen Kinsella échappés de Big Blood et feu Cerberus Shoal. Mais nulle description ne saurait vous préparer à l’aventure qui vous attend avec The Seer, et lorsque résonne l’ultime catharsis du dissonant et tourmenté The Apostate tout en traînées doomesques et déflagrations belliqueuses, on se dit qu’en cas de tempête Gira est bien seul maître à bord, menant sa barque avec l’assurance forcenée d’un capitaine au long cours bien trop souvent confronté à la mort pour craindre encore de tomber dans ses filets. Une figure de proue farouche et quelque peu intimidante de prime abord, mais finalement plus attachante qu’antipathique à l’image de cette étrange créature poilue montrant les dents sur la pochette de ce double LP d’anthologie.
Bilan habité en ce début de rentrée avec un mois d’août placé sous le signe de l’ambition et d’une certaine immersion instrumentale, entre onirisme abrasif, mysticisme solaire et lyrisme tempétueux.
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