Spain - The Soul Of Spain
Il aura fallu à Josh Haden un hiatus de dix ans, quelques aventures parallèles à la hauteur de sa voix de velours (notamment au côté des Soulsavers en 2003 ou avec l’échappée solo du très soul Devoted en 2007 marqué également par le trip-hop du duo sus-mentionné), une refonte de line-up et une confrontation sans fard avec l’éclat de son passé pour pouvoir à nouveau toucher à l’essence spirituelle de Spain, ce gospel moderne dénudé jusqu’à l’os qui avait accouché en 1995 du genre de chef-d’oeuvre capable de tuer dans l’oeuf toute une discographie.
1. Only One
2. Without A Sound
3. Because Your Love
4. I’m Still Free
5. I Love You
6. All I Can Give
7. Walked On The Water
8. Sevenfold
9. Miracle Man
10. Falling
11. Hang Your Head Down Low
A défaut d’élégance, She Haunts My Dreams (99) et I Believe (2001) manquaient en effet de substance, tentant vainement de combler le vide creusé par les pleurs désespérément secs de The Blue Moods Of Spain en alignant des ballades trop soignées pour en retrouver tout à fait la beauté à nu, bouleversante de détresse contenue. Comment réussir après 10 ans là où l’on avait échoué au faîte de sa carrière, avec les honneurs et la flamboyance des perdants magnifiques ?
The Soul Of Spain offre à cette gageure deux réponses plus complémentaires que contradictoires : d’un côté, faire table rase d’un héritage trop lourd à porter et se faire plaisir, ce qui nous vaut quelques hymnes électriques tels que le groupe n’en avait plus joués tous riffs en avant depuis ses débuts récemment revisités, une époque que la plupart de ses membres actuels n’ont d’ailleurs jamais connue. Et même alors, lorsque prévalait encore la lo-fi décharnée chère à la première moitié des 90’s sous l’impulsion de Pavement ou Sebadoh, rien d’aussi dense et offensif qu’un Because Your Love flirtant avec le psychédélisme saturé d’un BRMC ou d’un Black Box Revelation mais sans se départir de cette clarté de production où tout claque avec classe et précision (avec aux manettes un certain Billy Burke et non pas Rich Machin des Soulsavers un temps pressenti, ces derniers ayant sans doute eu fort à faire avec leur nouvel opus également sorti ces jours-ci), et rien non plus d’aussi martial et résolu qu’un Miracle Man pas loin des compos les plus frontales de Low, groupe avec lequel Spain partageait à l’époque le qualificatif fourre-tout de "slowcore".
D’un côté donc, renouer avec la spontanéité du jam - voire "casser la routine" comme y parvient le guitariste Daniel Brummel en posant sa voix douce et rassurante sur le caressant All I Can Give magnifié par les échos cristallins de ses "bols chantants", les harmonies vocales angéliques de Ihui Wu et le violon vibrant de Petra Haden - et de l’autre temporiser : s’abandonner à la mélancolie, laisser remonter les souvenirs doux-amer, la tristesse, les regrets, la nostalgie des bonheurs passés et leur tisser un cocon pour qu’ils ne meurent jamais. Mais prendre le temps surtout de trouver l’arrangement juste qui touche au coeur sans trop en dire (des vocalises élégiaques de Rachel Haden sur Only One au violoncelle empreint de gravité de sa soeur Tanya sur la ballade western Walked On The Water en passant par le romantisme country du piano de Randy Kirk sur Without A Sound), et raboter tout le superflu pour dire le plus en jouant le moins. Ne plus se contenter en somme de chercher la simplicité mais appeler de toute son âme la pure inspiration, celle qui ne souffre aucune question, pour atteindre l’épure à nouveau.
Et c’est justement le cas sur une poignée de morceaux qui n’auraient pas à rougir de la comparaison avec Untitled #1, Ray Of Light ou I Lied, qu’il s’agisse d’I Love You où la mélodie vocale de Josh et la six-cordes de Daniel rivalisent d’évidence et de mélancolie dans un océan de riffs délicats et de percussions cotonneuses, de Sevenfold sur lequel guitare et piano semble s’enlacer dans une dernière étreinte passionnée jusqu’à l’extase tragique d’un refrain habité, d’un Falling à mi-chemin de la berceuse soul et de la complainte folk transcendé par les choeurs gospel de Petra, ou encore du poignant I’m Still Free en écoute ci-dessous :
Révélé en single il y a déjà plus de deux ans en guise d’avant-goût, ce dernier était accompagné en face-B par Hang Your Head Down Low que l’on retrouve ici en clôture d’album, parfaitement à sa place. Quelques mots susurrés avec une infinie compassion au son d’un orgue en recueillement et d’une guitare bluesy aux accords lumineux, et voilà que l’on oublie pour de bon ces épaules de substitution sur lesquelles nous avions épanchés nos maux pendant toutes ces années, celles des Micah P. Hinson, Jason Molina, Jesse Sykes ou même Mark Kozelek : Spain est de retour, et l’on ne pourra pas imaginer cette année confident plus miséricordieux pour nos bleus à l’âme.
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