Pjusk - Tele
Révélés par la compil’ Blueprints de 12k en 2006 avec deux titres dont les exhalaisons de givre et les pulsations suspendues aux confins de l’électronica et de l’ambient-jazz cristallisaient déjà en une poignée de minutes toute l’éphémère beauté des étendues arctiques menacées par la fonte des glaces, les Norvégiens de Pjusk avaient transformé l’essai dans la foulée sur le label new-yorkais avec deux albums, Sart et Sval, qui reprenaient les choses là où le Biosphere de la grande époque les avait laissées en rivalisant d’élégance mouvante et de grâce engourdie.
1. Fnugg
2. Gneis
3. Flint
4. Skifer
5. Krystall
6. Granitt
7. Kram
8. Bre
9. Polar
Si Rune Sagevik et Jostein Dahl Gjelsvik devaient un jour faire une infidélité à la prestigieuse écurie de Taylor Deupree, ça ne pouvait donc que se passer du côté de Glacial Movements, label ambient "isolationniste" de l’Italien Alessandro Tedeschi (Netherworld) en passe de devenir l’un des incontournables du genre (cf. ici) et dont le parti-pris affiché de cartographier en musique les territoires inexplorés des pôles ne pouvait assurément pas laisser indifférents nos deux bonshommes, influencés par le climat extrême de leurs villages d’origine au Nord-Ouest de la Norvège et la beauté sauvage des montagnes d’où ils enregistrent aujourd’hui leur albums.
Le mot Tele décrit en Norvégien les eaux souterraines gelées. On pourrait ainsi s’attendre à ce que Pjusk nous entraîne dans les entrailles de son royaume de glace, de boyaux en excavations, à la façon claustrophobe et magnétique à la fois des Italiens de Retina.it dont le nouvel album à paraître chez Glacial Movements le 19 mai fait déjà l’objet d’une chronique ici streaming à l’appui... et c’est exactement l’impression que donnent d’emblée Fnugg et Gneis, descente verticale à la torche dans un gouffre sans fond dont les parois suintantes nous renvoient l’écho de basses fréquences grondantes et autres réverbérations opalines
Toutefois, Flint a tôt fait de déjouer nos prévisions d’aventures spéléologiques à l’issue dramatique : la musique des Norvégiens, malgré la prééminence de son spleen anxieux et de ses textures organiques, n’a pas tiré un trait sur ses qualités d’abstraction et en fait de piolet c’est un microscope qui pénètre la glace pour en épouser le mouvement à l’échelle atomique, sombre jeu de respirations et de transformations de ses cristaux rendus instables par des conditions de température et de pression fluctuantes. Ainsi de Skifer dont les basses résonnent et pèsent sur la délicate structure, de Granitt dont l’horloge naturelle des programmations savamment enchâssées entame l’inéluctable fonte ou de Kram qui en organise la lente fusion dans un silence quasi religieux, tandis que Kristall, divine chorégraphie de battements diastoliques, de glitchs hypnotiques et de nappes évanescentes, insuffle à la glace une vie propre.
Un enchantement de l’infiniment petit que Polar transcendera finalement par une mise en abîme à double tranchant, d’abord remontée ténébreuse à échelle humaine vers une surface tant redoutée avant que la lumière du monde extérieur et son ballet de reflets irisées sur un champ de glace à perte de vue ne vienne déjouer nos craintes de crépuscule musical au fil d’un long travelling de percussions solaires digne de Cliff Martinez, et donner tout son sens à cette expédition au coeur même de la matière sonore. Magistral.
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