Balkansky - The Temple
Avec The Temple, Balkansky œuvre dans l’introspection et propose une IDM aux multiples visages qui ne sont que le reflet de celui d’Ivan Shopov et de ce qui l’habite. Une mise à nu impressionnante.
Mind
1. Badun - EF10 (Balkansky Remix)
2. Herb
3. Koi
Body
4. Mraked
5. Propan
6. The Temple (with Loop Stepwalker featuring Nyree)
Soul
7. Rock the Block (featuring Xepha)
8. Pollution (with Scorn)
Spirit
9. Yatak
10. Cloudy (with End.user)
Ivan Shopov, Balkansky, Cooh, voici quelques noms qui ne vous disent peut-être rien. Simplifions les choses d’emblée : les trois représentent une seule et même personne. Une discographie déjà impressionnante pour ce Bulgare qui a grandi à l’ombre de la chaîne du Balkan, dans la ville de Troyan. Et on sent très bien à quel point cette chaîne de montagnes a influencé sa musique, amalgame minéral de sons électroniques et d’éléments plus traditionnels empruntés au folklore de son pays natal (à ce titre, son Kuker paru en 2009 chez Ad Noiseam est des plus représentatifs de cet alliage). Sur The Temple, il s’agit toujours d’IDM bien sûr, de dubstep aussi, un peu, avec un zeste de drum’n’bass pour compléter le tout, en revanche, Balkansky se déleste un peu de ses origines bulgares ou en tout cas les englobe dans un plan plus large tout en recentrant le sujet sur lui-même, sur son corps et sur ce qui l’habite. Bref, sur sa machinerie humaine. Tout en faisant valser les étiquettes. Sa musique n’appartient qu’à lui et cet album, The Temple, le prouve en dix vignettes qui tiennent lieu de photographies intimes, regroupées en quatre grandes catégories : Mind, Body, Soul et Spirit.
Il ne s’agit pas là de se mettre en avant ou d’œuvrer dans le pompier parce que l’on est sûr de soi. The Temple montre au contraire toutes les caractéristiques de l’autoportrait, le vrai, sans embellissements et sans complaisance aucune. Celui qui a pour origine l’interrogation, sur soi et sur ce que l’on a à l’intérieur, sur ce que l’on est et ce qui nous représente. Un peu comme Egon Schiele ou Lucian Freud, quand les chairs sont flasques et grises, presque trop réelles, fantasmées, à la limite de l’irréalité : Je est ma musique semble-t-il dire tout au long de The Temple. Balkansky a sans doute sculpté la matière sonore en premier lieu pour lui et qu’il nous offre le résultat de ses observations montre sa générosité. Bref, ce disque est donc avant tout très personnel et à son écoute, on a plus d’une fois l’impression d’avoir Ivan Shopov devant soi ou tout à côté, comme un vieux copain pas vu depuis longtemps qui tente de résumer sa vie en quelques phrases. La relation avec le disque devient donc plus profonde. D’ailleurs la pochette – qui tranche un peu avec la charte graphique habituelle d’Ohm Resistance tout en restant des plus intéressantes (enfin, je trouve mais sans doute certain(e)s la trouveront-ils(elles) affreuse) – ne trompe pas : assis en tailleur, un écorché décharné (Balkansky) nous ouvre son bas-ventre et montre ses tripes, celles-ci sont des montagnes, probablement le Balkan, la plus longue chaîne de montagnes de Bulgarie. Hors de question de refuser le trek qu’il nous propose et comme toute randonnée, celle-ci comprendra son lot de chausse-trappes, de segments parfois simples ou parfois ardus, plus d’une fois on frôlera la chute ou on manquera d’eau, le sac à dos trop lourd nous vrillera les épaules et l’on terminera épuisé mais heureux.
The Temple s’ouvre sur EF10, en fait un remix du morceau de Badun présent sur l’album du même nom, un morceau déjà magnifique en soi auquel Balkansky ajoute un beat très sec et mouvant qui griffe son enveloppe originelle et lisse, réorganisant les nappes, les basses et ajoutant ici et là quelques effets qui salissent idéalement l’original. Bref, une appropriation qui montre la personnalité bien ancrée du Bulgare. Herb, très sec et à l’apparente simplicité quand il fourmille en fait de quantité de détails (les samples, la basse, la ligne mélodique tout en bas, les sons annexes, etc.) amène doucement l’auditeur vers Koi, une pièce plus agressive aux delays tranchants qui clôt le chapitre Mind de l’album et précipite les neurones vers l’observation du Body de l’artiste. Effectivement, les morceaux apparaissent ici plus disloqués, plus stridents, plus physiques, pour preuve le morceau éponyme qui voit Balkansky s’allier au producteur espagnol Loop Stepwalker (ils ont déjà collaboré ensemble le temps de l’excellent EP Fraktals sorti sur Ad Noiseam en début d’année) pour une pièce effilée comme une lame de rasoir qui balance ses beats comme autant de coups de surin et ce n’est pas la voix de Neery qui apparaît en son milieu qui vient adoucir l’affaire. Rock The Block (exécuté en compagnie de l’Australien Xehpa) apporte quant à lui diversité et plomb à un album jusqu’ici très maîtrisé, en témoigne ce curieux solo de guitare qui s’intègre parfaitement à la minéralité du morceau. On ne s’attendait pas à pareil amalgame. C’est que l’on vient de pénétrer dans la partie Soul de The Temple et l’âme de Balkansky, comme le label qui l’accueille, semble être attirée par les chemins de traverse et le grand melting-pot musical. Pollution le bien nommé, avec Scorn en soutien, est un morceau impressionnant et si l’on reconnaît aisément la noirceur atavique de Mick Harris, Balkansky n’est pas en reste car son âme à lui aussi recèle évidemment quelques sombres recoins. Pour terminer la balade, un petit détour par Yatak, sans doute inspiré par l’architecture du monastère orthodoxe de Troyan datant du XVIIe siècle, qui fait danser chants liturgiques et beats synthétiques dans le même mouvement, c’est qu’avec l’à peine moins spirituel bien que plus frontal Cloudy (avec la participation d’End.user), on se situe dans la partie Spirit de The Temple et c’est aussi la dernière.
On arrive ainsi à l’épilogue, le trek a tenu toutes ses promesses : l’IDM de Balkansky est ouverte à tous les vents, parcourue de lames de fond issues du dubstep, de la drum’n’bass, du rock et de tant d’autres choses encore. Elle est dure et combinée comme la pierre, lisse et transparente comme un bout de glacier et, bien que fondamentalement synthétique, ne néglige pas d’injecter force évocations organiques dans sa mixture. Comme ses chères montagnes, ici, le relief est varié et alors que l’on franchit un col, il n’est pas rare de tomber sur un plateau ou sur un bout de végétation au détour d’un à-pic, la glace se mêle aux rochers, aux herbes folles et la température reste tout le temps froide. Dans le même temps, The Temple est un disque-ethnologue, l’observation des muses d’un artiste, une approche qualitative où le chercheur se confond avec son sujet, explorant non pas autour de lui mais en lui et avec beaucoup de curiosité. Une réussite de plus à porter au volet plus électronique adopté par Ohm Resistance depuis le Metamorphosis de Melamin & Wicked Sway sorti au début du mois. Un disque qui donne envie de parcourir toute la discographie de Balkansky et d’explorer tous ses alias. Un disque qui devrait occuper la platine encore longtemps.
Magnifique.
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